Archives de catégorie : Projet de vie

« Homme et femme il les créa »

Triste constat encore une fois : en 2018, 121 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-compagnon, soit un décès tous les 3 jours, tandis que 220 000 femmes, environ, ont déclaré avoir été victimes de violences conjugales. Ce fléau touche tous les milieux et toutes les classes sociales. Il s’inscrit dans une relation où la femme n’est plus perçue comme telle, mais rabaissée au rang d’objet ; et, à ce titre, elle peut être insultée, humiliée, menacée, battue, violentée et…assassinée. L’amour n’a pas sa place dans tout cela, il est perverti par un besoin de possession, où l’objet n’est là que pour satisfaire le désir d’un homme, propriétaire de « sa femme ». Ce n’est certainement pas la relation voulue par Dieu entre l’homme et la femme lorsqu’ il les créa…

« Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. » (Gn 1,27) Dans ce 1er récit de la Genèse, Dieu crée un couple : l’homme et la femme. Après les avoir bénis et leur avoir confié l’ensemble de la Création, Dieu contemple son œuvre avec satisfaction : « cela était très bon » (1,31). A aucun moment, il n’est question de domination de l’homme sur la femme. Le texte souligne leur égale valeur. Ils sont créés en même temps, l’un et l’autre à l’image de Dieu, ce qui est propre au genre humain et le distingue des autres créatures. Ils reçoivent même bénédiction et même mission : « soumettre » et « dominer » tout ce que la Parole créatrice du Père a fait surgir par pur amour, non pour en être les maîtres, mais les intendants bienveillants.

Dans le 2nd récit, après avoir modelé l’homme de ses mains, Dieu fait ce constat : « il n’est pas bon pour l’homme d’être seul. Je veux lui faire une aide qui lui soit assortie » (Gn 2,18) (A noter : c’est le seul « il n’est pas bon » de ces 2 récits). Dieu façonne alors les animaux, auxquels l’homme donne un nom, mais aucun ne lui correspond et ne peut combler sa solitude ; aussi «de la côte qu’il avait tirée de l’homme, Yahvé Dieu façonna une femme et l’amena à l’homme. Alors celui-ci s’écria : Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! Celle-ci sera appelée « femme », car elle fut tirée de l’homme, celle-ci !» (Gn 2,22-23) Oui, l’homme, îsh en hébreu, a enfin trouvé celle qui lui est assortie : ishsha, la femme, et il peut laisser éclater sa joie! Les deux termes hébreux sont intéressants, d’ailleurs, car ils montrent bien la similitude de ces deux êtres. L’homme ne peut cacher son émerveillement devant cette compagne, de même nature que lui, mais aussi toute autre, ce qui confère à la femme une valeur essentielle et irremplaçable. Le texte se poursuit ainsi : « C’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair.» (Gn 2,24) En s’attachant l’un à l’autre, l’homme et la femme créent un lien plus fort que celui de la parenté, ils ne sont plus deux mais deviennent « une seule chair ». Le récit s’achève sur ces mots : « Or, tous deux étaient nus, l’homme et sa femme, et ils n’avaient pas honte l’un devant l’autre » (Gn 2,25) L’harmonie de la Création est là : l’homme et la femme vivent en toute transparence et confiance, rien ne trouble ou ne dénature, alors, leur relation…

Bien sûr, l’Église, selon les époques et les contextes, n’a pas toujours eu un discours valorisant sur la place de la femme, mais aujourd’hui le Catéchisme de l’Église catholique est très clair : « L’homme et la femme sont créés, c’est-à-dire ils sont voulus par Dieu : dans une parfaite égalité en tant que personnes humaines, d’une part, et d’autre part dans leur être respectif d’homme et de femme. « Être homme », « être femme » est une réalité bonne et voulue par Dieu : l’homme et la femme ont une dignité inamissible qui leur vient immédiatement de Dieu leur créateur » (article 369). Dès les origines, la création de l’être humain a une dimension relationnelle : l’homme n’est pas fait pour vivre seul, sinon il est voué à la mort, il est destiné à entrer en relation avec un autre que lui-même, qui lui soit semblable ; et l’homme et la femme ne sont pas appelés à vivre l’un à côté de l’autre, mais dans l’union, l’un pour l’autre. « Mon bien-aimé est à moi, et moi à lui. » (Ct 2,16)

Lors de sa 1ère messe de cette année 2020, le pape François dénonçait les violences faites aux femmes, insistant sur « la dignité de toute femme » et sur le fait qu’elle « est donneuse et médiatrice de paix et doit être pleinement associée aux processus décisionnels ». Le 15 janvier, il nommait la première femme laïque, Francesca Di Giovanni, sous-secrétaire aux relations du Saint-Siège avec les États, faisant d’elle la n°3 de ce dicastère. Un évènement, au Vatican, qui n’est pas passé inaperçu !

A nous donc de retrouver l’harmonie originelle entre l’îsh et l’ishsha et de poser un regard nouveau sur leur relation, ce regard de Dieu plein d’admiration pour l’homme et la femme qu’il venait de créer, lorsqu’il conclut au soir du sixième jour que « cela était très bon »…

P. Clamens

Un vœu pour 2020 ? Se laisser convertir !

La conversion est donc un retournement de tout l’être, un changement profond et radical dans sa façon de penser, de se comporter et de vivre…

Au seuil de cette année nouvelle, nous allons exprimer des vœux de toutes sortes, nous allons également prendre de grandes résolutions que nous essaierons de tenir…quelque temps… et que nous finirons par oublier. Mais, dans notre vie de foi, que pourrions-nous souhaiter pour 2020 ?

Il y a peu, nous entendions Jean le Baptiste proclamer : « Convertissez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche. » (Mt 3,2) ; après l’arrestation de Jean, Jésus inaugure son ministère en annonçant la Bonne Nouvelle de Dieu et en déclarant : « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. » (Mc1,14-15) Alors, pourquoi ne pas émettre le vœu de nous laisser convertir tout au long de cette année…

Que faut-il entendre par “conversion“ ? Le mot grec qui lui correspond est “metanoïa“et il a longtemps été traduit par “repentance“, ce qui signifie se détourner du mal et des idoles et poser des actes de pénitence. Mais le mot “repentance“ à lui seul est quelque peu restrictif et ne rend pas compte de la foi qui est cet élan qui nous pousse à nous tourner vers Dieu. Ce sont ces deux mouvements, ensemble, qui constituent la “conversion“ comme l’écrit Paul aux Thessaloniciens : « Car chacun raconte […] comment vous vous êtes tournés vers Dieu en vous détournant des idoles, pour servir le Dieu vivant et véritable ». (1 Th1,9) Dans le livre des Actes 3,19 on peut lire également : « Repentez-vous donc et convertissez-vous ».

La conversion est donc un retournement de tout l’être, un changement profond et radical dans sa façon de penser, de se comporter et de vivre… Pour autant, il ne faudrait pas imaginer que ce retournement s’accomplit par la seule force de notre volonté. C’est un processus dynamique qui permet à l’homme d’entendre un appel et d’y répondre en s’ouvrant totalement au changement qu’opère en lui la Parole du Christ. Il ne s’agit pas de “se convertir“ mais plutôt de “se laisser convertir“. A l’origine, il y a toujours un appel du Seigneur, à travers un évènement ou une rencontre, et la conversion est liée à notre aptitude à accueillir cet appel et à y répondre, sous l’action de l’Esprit. C’est une grâce qui nous est faite et qui nous met en chemin à la suite du Christ. Comme aux pêcheurs, Pierre et son frère André, Jacques et Jean les fils de Zébédée, comme à Matthieu le collecteur d’impôts, comme au jeune homme riche, Jésus nous dit : « Viens, suis-moi ». De la même façon, il nous demande de quitter tout ce qui nous entrave et nous rend esclaves du péché. « Quiconque suit le Christ, homme parfait, devient lui-même plus homme » (Gaudium et Spes 41,1). Sa Parole nous libère de tout ce qui nous enferme sur nous-mêmes : nos richesses et nos possessions, nos habitudes et nos certitudes, notre égoïsme, nos faiblesses et nos manques d’amour. Elle vient donner sens à notre vie, elle nous donne la Vie. Dans les dernières heures que Jésus partage avec ses disciples, il déclare à Thomas : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père que par moi. » (Jn 14,6)

François d’Assise, lui aussi, l’a expérimenté, puisque le cœur de la vie franciscaine, c’est de : « suivre l’enseignement et les traces de notre Seigneur Jésus-Christ » (1 Reg1,1). Celano raconte qu’à la fin de sa vie, François « était loin de se croire arrivé, mais, tenace dans sa volonté de perpétuel renouvellement dans la sainteté, il gardait toujours l’espoir de commencer. Il voulait même reprendre le service des lépreux et sa vie méprisée de naguère, fuir la compagnie des hommes et se retirer dans la plus profonde solitude pour être débarrassé de tout autre souci et n’avoir plus, entre lui et Dieu, que la seule cloison provisoire de la chair. » C’est pourquoi il disait à ses frères : « Commençons, mes frères, à servir le Seigneur Dieu, car c’est à peine si nous avons jusqu’alors accompli quelque progrès ! » (1 C 103)

Suivre le Christ, mettre nos pas dans les siens chaque jour, accueillir sa Bonne Nouvelle et nous laisser transformer et “retourner“, c’est l’itinéraire de toute une vie, c’est notre vocation franciscaine, comme le souligne le Projet de Vie de la Fraternité Franciscaine Séculière : « Comme “frères et sœurs de la pénitence“, en raison même de leur vocation, animés du dynamisme de l’Évangile, ils conformeront leur façon de penser et d’agir à celle du Christ, par ce changement intérieur radical que l’Évangile appelle “conversion“ ; celle-ci, en raison de la fragilité humaine est à reprendre tous les jours. » (PdV 7)

Alors, sœurs et frères, ne tardons pas…commençons !

P. Clamens

Accepter ou accueillir la différence ?

Accueillir l’autre dans sa différence, c’est avoir soif de la rencontre.

Il nous est souvent demandé d’ »accepter » la différence, or le mot est-il vraiment bien choisi ? Accepter la différence, on peut y parvenir, par défaut, en étant plus ou moins contraint et forcé, convaincu que l’on finira par « faire avec »… Il n’y a là aucune adhésion véritable de notre part, et cette acceptation du bout des lèvres risque de s’envoler au premier obstacle. C’est pourquoi, nous ne sommes pas seulement appelés à « accepter la différence », mais bien plus à « accueillir la différence ». L’accueil suppose l’ouverture, l’écoute bienveillante, l’envie de découvrir et de comprendre une réalité qui n’est pas la mienne mais qui ne peut que m’enrichir. Dans Lettre à un otage, Antoine de Saint-Exupéry écrit : « Je suis si las des polémiques, des exclusives, des fanatismes ! Je puis entrer chez toi sans m’habiller d’un uniforme, sans me soumettre à la récitation d’un Coran, sans renoncer à quoi que ce soit de ma patrie intérieure. Auprès de toi je n’ai pas à me disculper, je n’ai pas à plaider, je n’ai pas à prouver ; je trouve la paix, comme à Tournus. Au-dessus de mes mots maladroits, au-dessus des raisonnements qui me peuvent tromper, tu considères en moi simplement l’Homme. Tu honores en moi l’ambassadeur de croyances, de coutumes, d’amours particulières. Si je diffère de toi, loin de te léser, je t’augmente. »

Accueillir celui dont l’univers m’est totalement étranger et dont j’ai le sentiment qu’il va m’apporter quelque chose, qu’il va me faire grandir, pourquoi pas ? Soyons honnêtes, c’est avant tout au quotidien que la différence est la plus difficile à vivre. Combien de conflits professionnels, de disputes familiales et de ruptures au sein du couple parce que la différence n’est plus accueillie mais subie, supportée ? Elle vient chaque jour me bousculer dans mon confort, mes habitudes, mes certitudes, elle est une atteinte à ma chère liberté…Si je ne suis pas prêt à convertir mon regard et mon cœur, la tâche est impossible. Il me faut d’abord me reconnaître et m’accepter comme un être limité et imparfait : l’imperfection, je la partage avec l’autre. Ensuite, il me faut parvenir à me décentrer de moi-même pour ne pas me fermer au changement, à l’inconnu. La vie ne naît pas de l’immobilisme, mais elle jaillit du mouvement, de l’échange, de la nouveauté. Si c’est moi que je cherche chez l’autre, nous n’avons pas d’avenir commun, par contre si je décide de le rencontrer dans son altérité, alors tout devient possible. Sans les gommer, nous faisons de nos différences un lieu de questionnements et de dialogue, un lieu également de miséricorde et de pardon, un lieu de conversion mutuelle, nous faisant grandir l’un l’autre dans l’amour et dans la grâce. Malgré tout ce qui nous sépare, je reconnais en l’autre un frère, issu d’un même Père, aimé comme moi d’un même amour divin.

François d’Assise, avant de devenir le frère de toute créature, a commencé par fuir ce qui lui était étranger. Ainsi peut-on lire dans son Testament : « Au temps où j’étais encore dans les péchés, la vue des lépreux m’était insupportable. Mais le Seigneur lui-même me conduisit parmi eux ; je les soignai de tout mon cœur ; et au retour, ce qui m’avait semblé si amer s’était changé pour moi en douceur pour l’esprit et pour le corps. » (Test 1-3) Mais c’est dans la contemplation du Fils du Très-Haut et dans la volonté de l’imiter en toutes choses que s’inscrit sa conversion. Le Christ ne rejette pas la femme pécheresse, la Cananéenne ou le centurion romain ; se moquant des préjugés de son temps, il mange avec les publicains et les pécheurs. D’ailleurs, de Lévi il fait un de ses apôtres et de Zachée, le riche collecteur d’impôts chez qui il s’invite, il fait surgir cet élan de foi : « Voici Seigneur, je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres, et si j’ai extorqué quelque chose à quelqu’un, je lui rends le quadruple. » (Lc 19,8)
François s’inspire de ce modèle dans ses relations avec les frères mais aussi avec tous ceux qu’il rencontre, particulièrement les exclus. Citons l’épisode des brigands convertis (Légende de Pérouse 90) ou celui du loup de Gubbio (Fioretti 21). Bienveillance et patience, confiance et paix ont raison de la peur et de la violence : les regards sont transformés, les cœurs sont convertis, pour les brigands comme pour les frères, pour le loup comme pour les habitants de Gubbio. François insiste auprès de ses frères : « Quiconque vient à eux, ami ou ennemi, voleur ou brigand, doit être bien reçu » (1 Reg 7,14) ; « Lorsque mes frères vont de par le monde, je leur conseille, je les avertis et je leur recommande en notre Seigneur Jésus-Christ d’éviter les chicanes et les contestations, de ne point juger les autres. » (2 Reg 3, 10)

Accueillir l’autre dans sa différence, c’est avoir soif de la rencontre : c’est donc l’écouter avec patience et douceur, être attentif à ses besoins, créer un espace de dialogue respectueux de chacun, reconnaître en lui le frère qui m’est donné, un frère infiniment précieux puisqu’il me révèle un visage du Tout Autre.

P. Clamens

La beauté sauvera-t-elle le monde ?

Dans L’Idiot, un des personnages de Dostoïevski s’interroge : est-ce « la beauté qui sauvera le monde ? » Pour beaucoup de philosophes la beauté est bien difficile à définir, on ne peut l’expliquer par des mots, on ne peut qu’en donner des exemples. Cependant, pour Platon, le Beau, le Bien et le Vrai sont indissociables.
En ce qui nous concerne, nous avons tous fait l’expérience de la beauté : que ce soit celle d’un paysage ou d’une œuvre d’art, celle d’un regard, du sourire d’une personne aimée, ou même inconnue. Beauté d’un instant qui nous saisit de manière fulgurante ou contemplation qui nous procure un sentiment de plénitude…Cette expérience, d’abord sensorielle, suscite en nous un plaisir qui peut se transformer en une joie beaucoup plus profonde et guérir bien des maux, qui peut également nous amener à nous tourner vers Dieu.
Le récit de la création est ponctué par cette exclamation « et Dieu vit que cela était bon », or le mot hébreu tov signifie à la fois « beau », « bon » et « porteur de vie ». Après avoir fait l’homme à son image et lui avoir confié l’ensemble de la Création, Dieu est le premier à se réjouir de la beauté de son œuvre : « cela était très bon ». Nombreux sont les textes bibliques qui chantent les merveilles du Dieu Créateur : « Bénissez le Seigneur dans toutes ses œuvres. Proclamez la grandeur de son nom et publiez sa louange par les chants de vos lèvres et sur vos cithares et vous parlerez ainsi dans l’action de grâce : Qu’elles sont belles les œuvres du Seigneur […] Les œuvres du Seigneur sont toutes bonnes ». (Si 39,14-16 ; 33)
« La grandeur et la beauté des créatures conduisent par analogie à contempler leur Créateur » nous dit le Livre de la Sagesse (Sg 13,5), mais la Création, dans toute sa magnificence, n’en reste pas moins un pâle reflet de son Créateur, car il est, Lui, la source de la beauté. « Devant lui, splendeur et majesté, dans son sanctuaire, puissance et beauté. » (Ps 96,6) Non pas une beauté éphémère et subjective, marquée par une époque ou une culture, mais une beauté éternelle et indicible : la Beauté.
Dans les Louanges de Dieu pour frère Léon, à deux reprises St François écrit : « Tu es beauté, tu es douceur ».Thomas de Celano explique : « En toute œuvre, il admirait l’Ouvrier ; il référait au Créateur les qualités qu’il découvrait à chaque créature. Il se réjouissait pour tous les ouvrages sortis de la main de Dieu et, de ce spectacle qui faisait sa joie, il remontait jusqu’à celui qui est la cause, le principe et la vie de l’univers. Il savait, dans une belle chose, contempler le Très Beau ; tout ce qu’il rencontrait de bon lui chantait : Celui qui m’a fait, celui-là est le Très Bon » (2C, 165)
S’émerveiller devant chaque créature, animée ou inanimée, reconnaître en elle les traces de la beauté et de la bonté du Seigneur Dieu fait naître chez François un chant de louange au Père et à son amour créateur qui culmine dans le Cantique de Frère Soleil.
Si l’homme a été institué pour « dominer », pour gérer la Création, il en a, cependant, défiguré la beauté originelle par le péché. Associés à l’œuvre de Dieu, « cocréateurs », nous avons à restaurer l’harmonie perdue. Ce peut être en éveillant le regard à la beauté car elle ouvre le cœur et l’âme à l’autre et au Tout-Autre ; d’ailleurs, depuis Paul VI tous les papes ont adressé des messages aux artistes en soulignant leur rôle et leur responsabilité (Benoît XVI parle d’une « beauté authentique » qui « peut devenir une voie vers le Transcendant, vers le Mystère ultime, vers Dieu » mais aussi, à l’inverse, d’une beauté « illusoire » et « mensongère » qui peut asservir l’homme).
Mais c’est aussi en posant des actes d’amour qui sont, par nature, porteurs de beauté et de bonté, qui suscitent l’espérance et qui révèlent le Visage de Dieu. Nous redevenons alors image de Dieu. « L’homme est appelé à devenir libérateur et créateur de beauté en rendant ressemblante l’image de Dieu qui le fonde et l’appelle. » nous dit Olivier Clément. (Tychique n°164)
Affirmer que la beauté sauvera le monde, c’est croire qu’elle peut contribuer à restaurer l’harmonie perdue et à orienter la Création toute entière vers Celui qui est à l’origine de toute beauté, son Sauveur et Maître.
Concluons avec Benoît XVI dans son Discours aux artistes de novembre 2009 : « Qu’est-ce qui peut redonner l’enthousiasme et la confiance, qu’est-ce qui peut encourager l’âme humaine à retrouver le chemin, à lever le regard vers l’horizon, à rêver d’une vie digne de sa vocation sinon la beauté? »

P. Clamens

« En Toi j’ai mis ma confiance »

La confiance, nous dit le dictionnaire, est « le sentiment de sécurité de celui qui se fie à quelqu’un ou à quelque chose ». Mais à qui ou à quoi un monde qui affiche son indifférence ou son hostilité au divin peut-il se fier ? L’homme d’aujourd’hui est devenu son propre maître et croit pouvoir se suffire à lui-même en se choisissant des idoles, toujours les mêmes (argent, pouvoir, domination…), dont il découvre peu à peu qu’elles ne peuvent satisfaire ses désirs les plus profonds. La déception fait place à la défiance, à un sentiment d’insécurité qui peut mener bien vite au désespoir face aux difficultés.

Le croyant, lui, a mis sa foi en Dieu, cependant il peut être tenté de s’en détourner ou voir sa confiance entamée lorsque se présentent les épreuves.

Dans l’Ancien Testament, déjà, les exemples ne manquent pas où le peuple hébreu préfère se fier à son propre jugement plutôt qu’à la sagesse divine. Malgré les mises en garde, il se tourne vers des idoles que les prophètes qualifient de « mensonge » (Jr 13,25) et de « néant » (Is 59,4).

A l’inverse, la foi d’Abraham ne vacille pas à l’heure du sacrifice de son fils car il a l’assurance que « Dieu pourvoira » (Gn 22,8-14). Il est pour nous le modèle du juste qui obéit par la foi. Dans les psaumes, c’est au cœur des ténèbres que surgissent les appels au secours et que se manifeste la confiance en un Dieu fidèle et miséricordieux : « qui se fie en Yahvé, la grâce l’entoure » (32,10), « En Dieu seul repose-toi, mon âme, de lui vient mon espoir ; lui seul mon rocher, mon salut, ma citadelle » (62,6-7). Tout au long de l’histoire d’Israël, Yahvé est le Dieu qui « écoute », « garde », « protège », « défend », « console », « rachète », « sauve »… particulièrement les petits et les faibles. Le psaume 131 traduit la prière humble et confiante de celui qui a gardé l’esprit d’enfance : « Yahvé, je n’ai pas le cœur fier, ni le regard hautain. Je n’ai pas pris un chemin de grandeurs ni de prodiges qui me dépassent. Non, je tiens mon âme en paix et en silence ; comme un petit enfant contre sa mère, comme un petit enfant, telle est mon âme en moi. Mets ton espoir, Israël, en Yahvé, dès maintenant et à jamais. » Jésus utilise également cette image du petit enfant : « Laissez les enfants venir à moi ; ne les empêchez pas, car le Royaume des cieux est à ceux qui sont comme eux. En vérité, je vous le déclare, qui n’accueille pas le Royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera pas. » (Lc 18,16-17) car le petit enfant est celui qui s’abandonne dans la confiance et qui accueille tout ce qui lui est donné avec simplicité et émerveillement.

S’inspirant de la prière du Christ, qui fait sienne la volonté de son père, Charles de Foucauld exprime ainsi sa confiance en Dieu : « Mon Père, je m’abandonne à toi, fais de moi ce qu’il te plaira. Quoi que tu fasses de moi, je te remercie. Je suis prêt à tout, j’accepte tout, pourvu que ta volonté se fasse en moi ». Avec une « infinie confiance » il s’en remet entièrement à la volonté et à la bienveillance de son Père car il se sait fils bien-aimé.

François d’Assise, lui, renonce à toute prétention pour se faire petit et humble serviteur, pour pouvoir tout recevoir et se recevoir du Père, Lui le seul Bien. C’est une confiance simple et joyeuse qui le porte à la louange. « Tu es le bien, tu es tout bien, tu es le souverain bien, […] tu es notre abri, notre gardien et notre défenseur, tu es la force, tu es la fraîcheur. Tu es notre espérance, tu es notre foi, tu es notre amour ». (Louanges de Dieu pour frère Léon) .

Nous sommes tous les enfants bien-aimés du Père, aimés d’un amour qui, seul, peut nous combler. Un amour de toujours à toujours, qui peut tout, qui supporte tout et qui ne se dément pas. Mais c’est dans la détresse que se vérifie notre confiance en Dieu ; l’expérience de ces grandes figures peut alors affermir notre foi et nous redonner l’assurance qui nous fait tant défaut, à l’exemple de Ste Thérèse d’Avila : « Que rien ne te trouble, que rien ne t’épouvante, tout passe, Dieu ne change pas, la patience obtient tout ; celui qui possède Dieu ne manque de rien : Dieu seul suffit […] Aime-Le comme Il le mérite, Bonté immense ; mais il n’y a pas d’amour de qualité sans la patience. Que confiance et foi vive maintiennent l’âme, celui qui croit et espère obtient tout. »

Croyons avec le pape François que « seule la confiance en Dieu peut transformer le doute en certitude, le mal en bien, la nuit en aurore radieuse. » (tweet posté le 11 avril 2014)

P. Clamens

De quels pauvres parlons-nous ?

A la lecture de ce passage des Béatitudes : « Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous. Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés. Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez. » (Luc 6, 20-21), on peut se questionner : qui sont les pauvres que mentionne Luc, et Jésus encourage-t-il la pauvreté ? 

Dans l’Ancien Testament, les Juifs, s’appuyant sur le principe de rétribution, considèrent la richesse comme une bénédiction, une récompense pour leur fidélité à Dieu et à ses préceptes. Par opposition, la pauvreté est perçue comme le résultat d’un comportement peu vertueux ou, pire, du péché. Ceux qui la subissent sont donc souvent traités avec mépris. Cependant, les prophètes se font les défenseurs de ces déshérités et n’ont de cesse de dénoncer les injustices dont ils sont les victimes. Ignorés par les uns, rejetés par les autres, spoliés de leurs droits par les puissants, les pauvres n’ont d’autre appui, d’autre secours que le Seigneur et ils attendent le Messie, celui qui les défendra et leur fera justice. « Qu’il gouverne ton peuple avec justice, et tes humbles selon le droit. » (Ps 72,2), « Qu’il fasse droit aux humbles du peuple, qu’il soit le salut des pauvres, qu’il écrase l’exploiteur ! » (Ps 72,4), « Oui, il délivrera le pauvre qui appelle, et les humbles privés d’appui. Il prendra souci du pauvre et du faible ; aux pauvres, il sauvera la vie : Il les défendra contre la brutalité et la violence, il donnera cher de leur vie. » (Is 72,12-14) Les psaumes se font l’écho du cri des pauvres, de tous les petits, les exclus, les derniers. Il ne s’agit donc pas uniquement de pauvreté matérielle, d’ailleurs les psaumes nous parlent des « humbles ». Les « humbles » restent fidèles à Dieu, même dans l’épreuve, ils vivent dans la confiance, dans « la crainte de Dieu », car ils savent que leur salut vient de Lui. Ils sont les « Pauvres de Yahweh », ceux pour qui Dieu a un amour bienveillant et compatissant. « Cieux, poussez des acclamations ; terre, exulte, montagnes, explosez en acclamations, car le Seigneur réconforte son peuple et à ses humiliés il montre sa tendresse. » (Is 49,13). 

Ce peuple humble et modeste connaîtra la joie et la paix car il a pour refuge le nom du Seigneur, et non le pouvoir ou les vaines richesses. (So 3, 11-13)

Avec Jésus, les pauvres apparaissent comme les héritiers privilégiés du Royaume, ceux à qui il est venu annoncer la Bonne Nouvelle. Les promesses de l’Ancien Testament vont se réaliser : « les pauvres mangeront et seront rassasiés. » (Ps 22,27)  Mais le Christ insiste aussi, auprès de tous ceux qui veulent le suivre, sur une pauvreté choisie, une pauvreté d’ordre spirituel qui conduit à se détacher des biens matériels, qu’on en possède ou pas, pour leur préférer les vraies richesses. « Cherchez d’abord le Royaume et la justice de Dieu, et toute chose vous sera donnée en plus» (Mt 6,33). Avoir une âme de pauvre pour se reconnaître humblement et totalement dépendant de Dieu. Ainsi Matthieu, dans la béatitude des pauvres, précise-t-il : « Heureux les pauvres de cœur »(Mt 5, 3).

Jésus ne fait donc en aucun cas l’éloge de la misère. L’Évangile, comme les prophètes, appelle à plus de justice sociale et rappelle aux riches leurs devoirs envers les plus pauvres.

L’Église, dans sa fidélité au Christ, s’est engagée sur la même voie à travers toute sa doctrine sociale. Il en est ainsi, par exemple, de Jean XXIII, qui déclarait peu avant l’ouverture du concile Vatican II : « L’Église se présente telle qu’elle est et veut être : l’Église de tous et particulièrement l’Église des pauvres. » au pape François exprimant son souhait d’une « Église pauvre pour les pauvres », en passant par la théologie de la libération et l’option préférentielle pour les pauvres.

Ceci signifie-t-il le rejet de tous ceux qui sont riches et bien portants ? Évidemment non ! Marc nous dit bien que Jésus regarda le jeune homme riche « et l’aima » (Mc 10, 21). C’est pourquoi cet amour pour les pauvres est une priorité, non une exclusivité ; l’Église veut souligner le souci qu’elle a des plus petits et des plus faibles.

Mais, à l’exemple de St François, nous sommes invités à nous reconnaître pauvres, à « renoncer à être au-dessus des autres pour être avec eux, pour devenir l’un d’eux, le plus petit d’entre eux : leur frère. » (Éloi Leclerc, François d’Assise, le retour à l’Évangile) ; nous pourrons alors marcher sur les traces de ce Dieu qui s’est fait pauvre pour nous, afin de nous enrichir de sa pauvreté (2 Co 8, 9). 

L’Apocalypsenous avertit :« Que n’es-tu froid ou bouillant ! Mais parce que tu es tiède, et non froid ou bouillant, je vais te vomir de ma bouche. Parce que tu dis : je suis riche, je me suis enrichi, je n’ai besoin de rien, et que tu ne sais pas que tu es misérable, pitoyable, pauvre, aveugle et nu » (3, 15-17). Qu’elles soient volontaires ou subies, nos pauvretés sont bien réelles ; oui, nous sommes tous pauvres, et, en ce sens, nous sommes tous la priorité et l’avenir de l’Église.

Pascale Clamens