Saint François est né à la fin du XIIe siècle, dans une période bouillonnante d’activités : la production agricole s’est intensifiée, les échanges se sont multipliés, y compris avec les pays voisins, favorisant le développement des villes et la naissance d’une classe de nouveaux riches : les bourgeois. La concurrence entre cités et un commerce florissant sont venus bouleverser l’ordre établi et disputer le pouvoir jusque-là réservé aux seuls seigneurs. Une autre société a vu le jour, qui ne s’est pas révélée plus juste que la précédente à l’égard des « minores » car, très vite, l’argent a creusé les différences et accentué les inégalités entre les hommes. Rivalités et guerres en tous genres ont jalonné la vie de ces cités ; et, parmi elles, Assise n’a pas été épargnée.
A la même époque, l’Église est traversée par de profonds mouvements de contestation. L’institution est remise en cause dans sa volonté de pouvoir temporel et ses richesses démesurées et elle est perçue comme très éloignée du peuple de Dieu. Les ordres monastiques s’apparentent à de grands propriétaires terriens car leurs biens et possessions, accordés à l’origine pour assurer leur subsistance, ne cessent de s’accroître. Le clergé n’échappe pas non plus à la critique : absence de zèle ou de formation, concubinage, trafic de reliques, achats de charges ecclésiastiques…
De cette Église, qui cherche peu à peu à se réformer, émergent des groupes contestataires, radicaux et parfois hérétiques. Ces mouvements ont tous en commun la soif d’un retour à une vie évangélique, basée sur la pauvreté, la simplicité et la prédication. Cependant, ce n’est pas comme religieux, mais comme laïcs, hommes et femmes, qu’ils veulent suivre le Christ pauvre et abandonné, et en cela rejoindre tous les laissés- pour-compte de la société. Or, certains vont mettre en avant cet idéal pour s’opposer à l’Église, non seulement à son autorité mais aussi à ses fondements, et se verront excommuniés.
Citons, par exemple, les Vaudois, très implantés dans le sud de la France, le nord et le centre de l’Italie. Ce qui les caractérise : le choix volontaire de la pauvreté, le rejet de la hiérarchie ecclésiale et le refus des sacrements administrés par des prêtres « indignes », la prédication itinérante, le retour à la seule autorité de l’Écriture. Mais aussi la négation du purgatoire, de la prière pour les morts, du culte des saints…
C’est dans ce contexte qu’apparait François, mais comment s’y inscrit-il ?
Pour commencer, c’est la rencontre avec Dieu, avec son Bien-aimé, qui est à l’origine de sa conversion et de son itinéraire spirituel, et non le désir de fonder un Ordre pour réformer l’Église ou pour combattre des hérésies.
Ainsi, chez François, le choix de la pauvreté ne répond pas à des aspirations sociales ou même religieuses, il épouse Dame Pauvreté car en chacun des pauvres, des petits, des exclus, il reconnait le visage du Christ pauvre et humble auquel il veut tant se conformer.
Son seul « programme » est celui-ci : suivre les traces du Christ en basant sa vie sur l’Évangile : « La règle de vie des Frères Mineurs est la suivante: observer le saint Evangile de notre Seigneur Jésus-Christ, en vivant dans l’obéissance, sans avoir rien en propre et dans la chasteté. » (2 Reg1)
Vivre l’Évangile au cœur du monde, certes, mais en demeurant au sein de l’Église. François se démarque donc en bien des points de tous ces mouvements contestataires.
Le Seigneur lui ayant donné des frères, dont le nombre de cesse de grandir, il lui faut rédiger une première Règle « en peu de mots bien simples, et le seigneur pape me l’approuva » (Test 15) puis vient la Règle définitive, qui reçoit l’approbation du pape en 1223.
François est donc résolument d’Église : s’il est bien conscient des faiblesses ou des dérives de l’institution, il n’y a chez lui ni jugement, ni procès de la hiérarchie ou du clergé. Dans le prologue de la Règle, il « promet obéissance et respect au Seigneur Pape Honorius et à ses successeurs, et à l’Église romaine ». Dans ses écrits, il témoigne de sa foi dans les églises et dans les prêtres en précisant que c’est le Seigneur qui lui donne cette foi : « Le Seigneur me donna une grande foi aux églises…Ensuite le Seigneur m’a donné et me donne encore, à cause de leur caractère sacerdotal, une si grande foi aux prêtres qui vivent selon la règle de la sainte Église romaine, que, même s’ils me persécutaient, c’est à eux malgré tout que je veux avoir recours. » (Test 4-6) et à propos des prêtres vivant dans le péché : « Eux et tous les autres, je veux les respecter, les aimer et les honorer comme mes seigneurs. Je ne veux pas considérer en eux le péché ; car c’est le Fils de Dieu que je discerne en eux, et ils sont réellement mes seigneurs. » (Test 8-9)
Si François a cette attitude, ce n’est pas parce qu’il a une haute opinion du prêtre et de sa personne, mais c’est parce qu’il voit en lui le serviteur d’un mystère qui le dépasse, le ministre dont les mains, souillées ou non, ne peuvent rendre impur le corps du Seigneur, et c’est à ce titre qu’il le vénère.
S’adressant aux frères, il écrit dans le Testament de Sienne : « Que toujours ils se montrent fidèles et soumis aux prélats et à tous les clercs de notre sainte Mère l’Église. » (Test Si 5)
Sa dévotion à l’Eucharistie le pousse également à demander aux frères de tout faire pour conserver le Corps du Christ et les manuscrits qui contiennent ses paroles dans un lieu décent, alors que trop souvent, dans les églises, ils sont négligés. (Test 11-13)
Enfin, François affirme son respect pour les théologiens, car ils sont porteurs et serviteurs de la Parole divine : « Tous les théologiens, et ceux qui nous communiquent les très saintes paroles de Dieu, nous devons les honorer et les vénérer comme étant ceux qui nous communiquent l’Esprit et la Vie. » (Test 13)
P. Clamens-Zalay