Si François a pu comprendre certaines des aspirations des mouvements religieux contestataires de son époque, il s’est toujours situé dans l’Église romaine, lui témoignant sa fidélité et professant sa foi. Par contre, c’est à travers son itinéraire spirituel, avec l’Évangile comme Règle de vie, qu’il va contribuer à renouveler une institution bien mal en point.
La conversion de François s’est faite en plusieurs étapes, mais l’une d’elles a été décisive : au terme d’une jeunesse dorée, sous le signe de la fête et des plaisirs, le voilà, sous l’impulsion du Seigneur, au milieu des lépreux, figures des laissés pour compte et des exclus de son époque ; le voilà soignant et embrassant ceux-là mêmes qui lui faisaient tant horreur par le passé : « Voici comment le Seigneur me donna, à moi Frère François, la grâce de commencer à faire pénitence. Au temps où j’étais encore dans les péchés, la vue des lépreux m’était insupportable. Mais le Seigneur lui-même me conduisit parmi eux ; je les soignai de tout mon cœur ; et au retour, ce qui m’avait semblé si amer s’était changé pour moi en douceur pour l’esprit et pour le corps. Ensuite j’attendis peu, et je dis adieu au monde. » (Test 1-3) François choisit de suivre les pas de son Bien-Aimé et de vivre pleinement l’idéal de la pauvreté et de la simplicité évangéliques : « Et après que le Seigneur m’eut donné des frères, personne ne me montrait ce que je devais faire; mais le Très-Haut lui-même me révéla que je devais vivre conformément au saint Evangile.» (Test 14)
Il refuse donc de se laisser imposer une Règle, qu’elle soit de saint Augustin, de saint Bernard ou de saint Benoît (LP 114). Ce n’est pas d’une vie monastique, cloîtrée, où tout est ordonné et immuable, dont il rêve. Animé par le souffle de l’Esprit, il aspire à plus d’itinérance, à l’image de ce que le Christ et ses apôtres ont vécu, et c’est l’Évangile sans glose qu’il veut pour forme de vie. S’il passe, aux yeux des sages, pour un illuminé, sa Règle lui donne plus de liberté et de force pour rejoindre son Seigneur dans une vie authentiquement pauvre et humble, au cœur du monde.
Ce retour à l’Évangile conduit le Poverello et ses frères sur les routes, et donc hors des murs de l’Église, pour aller à la rencontre des hommes et des femmes de leur temps. François leur prêche, leur recommande la pénitence ; non pas « des pénitences » ou des actes de contrition, aussi importants soient-ils, mais « la pénitence », autrement dit la conversion. Loin des sermons convenus auxquels était habitué le peuple de Dieu, François annonce à tous une Bonne Nouvelle qui ne peut que transformer leur existence, comme l’a été la sienne, et les mettre en chemin à la suite du Seigneur. « Et le voilà qui, d’une âme brûlante de ferveur et rayonnante d’allégresse, prêche à tous la pénitence, édifiant son auditoire en un langage simple mais avec une telle noblesse de cœur ! Sa parole était comme un feu ardent qui atteignait le fond des cœurs » (1 Cel 23) Et les conversions sont nombreuses…
Imiter le Christ en tout point, c’est faire le choix d’une pauvreté radicale et rompre avec la société marchande que François a si bien connue, rompre également avec les habitudes et les travers d’une Église toujours plus riche. Ainsi, François encourage-t-il ses frères à demander l’aumône : « Mes très chers frères, le Fils de Dieu était beaucoup plus noble que nous, et cependant il s’est, pour nous, fait pauvre en ce monde. Par amour pour lui nous avons choisi le chemin de la pauvreté ; nous ne devons pas avoir honte d’aller mendier. » (2 Cel 74) Il les pousse également à s’employer à un travail honnête, « non pour le cupide désir d’en recevoir salaire, mais pour le bon exemple et pour chasser l’oisiveté. » (Test 19-21)
François renonce à tout bien, y compris à posséder des couvents, et s’abandonne à la divine providence pour imiter le Christ pauvre. Car c’est le Christ qui est premier, et non la pauvreté. Et c’est parce qu’il reconnait en eux le visage du Christ qu’il peut se faire proche de tous les pauvres, qu’il peut avoir un amour préférentiel pour les plus petits.
Alors que l’Eglise affiche sa puissance et son désir accru de domination, François, fidèle à l’Evangile, fait le choix de la minorité. A l’exemple de Jésus, dans l’épisode du lavement des pieds, il invite ses frères à se faire petits, les plus petits parmi les hommes, et à se faire leurs serviteurs. « Jamais nous ne devons désirer d’être au-dessus des autres ; mais nous devons plutôt être les serviteurs et les sujets de toute créature humaine à cause de Dieu. » (1 Let 47) Aussi s’oppose-t-il, devant l’évêque d’Ostie, à ce que ses frères reçoivent des titres ou des dignités : « Seigneur, si mes frères ont reçu le nom de petits (mineurs) c’est pour qu’ils n’aspirent jamais à devenir grands. Leur vocation est des rester en bas et de suivre les traces de l’humilité du Christ…Si vous voulez qu’ils fassent du bon travail dans l’Église de Dieu, maintenez-les et conservez-les dans le cadre de leur vocation, ramenez-les, même contre leur gré, toujours plus bas…ne leur permettez jamais d’accéder aux dignités. » (2 Cel 148) De même, dans l’Ordre, et c’est une nouveauté, les supérieurs sont appelés « ministres », c’est-à-dire serviteurs : « Les ministres et serviteurs se rappelleront que le Seigneur dit : Je ne suis pas venu pour être servi mais pour servir ; ils se rappelleront que l’âme de leurs frères leur a été confiée » « On ne donnera à aucun frère le titre de prieur, mais à tous indistinctement celui de frères mineurs. Ils se laveront les pieds les uns aux autres. » (1Reg 4,6 ; 6,3-4)
Alors que l’Église à son plus haut sommet prend une part active aux conflits et guerres de son époque, François se présente résolument comme un homme de paix. De nombreux exemples dans sa vie en attestent (la rencontre avec le Sultan, le Loup de Gubbio, la réconciliation du podestat et de l’évêque d’Assise…) Libéré de tout esprit de domination, soumis à toute créature à cause de Dieu, c’est en homme pacifié qu’il peut accueillir l’autre dans une attitude ouverte et fraternelle.
« Que le Seigneur vous donne sa paix ! », cette salutation que le Seigneur lui a enseignée, il l’adresse avec conviction à tous ceux qu’il rencontre ou croise sur son chemin et, nous dit Celano, cela aura souvent des effets bénéfiques (1 Cel 23). C’est pourquoi il insiste tant auprès de ses frères : « La paix que vos bouches proclament, il vous faut d’abord et bien davantage l’avoir en vos cœurs : ainsi vous ne serez pour personne occasion de rancœur ou de chute. Tout au contraire, votre paix et votre gentillesse ramèneront la paix et la tolérance parmi les hommes. Car c’est bien là notre vocation » (AP 38c)
«François, va et répare ma maison qui, tu le vois, tombe en ruines ! » Au vu de l’itinéraire spirituel de François, on comprend mieux pourquoi ses premiers biographes ont interprété ces paroles du Crucifix de Saint Damien, ou encore le songe du pape Innocent III (le saint d’Assise soutient la basilique du Latran dangereusement inclinée) comme l’affirmation que le Poverello était sans conteste le réformateur dont l’Église de son temps avait tant besoin…
Le 19 mai 1971, le pape Paul VI s’adressait ainsi aux tertiaires franciscains : « Inspirés par saint François et appelés avec lui à renouveler l’Église, ils s’engageront à vivre en pleine communion avec le pape, les évêques, les prêtres, dans un dialogue confiant et ouvert de créativité apostolique. » (Projet de Vie 6)
P. Clamens-Zalay