Quelques témoignages anciens sur Saint Jean et le quatrième évangile

Les plus anciens témoignages sur l’apôtre Jean nous viennent de PAPIAS et de POLYCARPE, par l’intermédiaire d’IRENEE.

Papias a été évêque de Hiérapolis en Phrygie, Asie Mineure, où il est mort vers 120-130. D’après IRENEE, il était « lui aussi auditeur de JEAN et compagnon de POLYCARPE » (Eusèbe, Hist. Eccl. III.XXXIX.I). Il avait composé une « Explication des sentences du Seigneur », en cinq livres. Voici ce qu’il dit lui-même dans la Préface :
« Pour toi, je n’hésiterai pas à ajouter à mes explications ce que j’ai bien appris autrefois des presbytres et dont j’ai bien gardé le souvenir, afin d’en fortifier la vérité. Car je ne me plaisais pas auprès de ceux qui parlent beaucoup, comme le font la plupart, mais auprès de ceux qui enseignent la vérité ; je ne me plaisais pas non plus auprès de ceux qui font mémoire de commandements étrangers, mais auprès de ceux qui rappellent les commandements donnés par le Seigneur à la foi et nés de la vérité elle-même. Si quelque part venait quelqu’un qui avait été dans la compagnie des presbytres, je m’infor¬mais des paroles des presbytres : ce qu’ont dit André ou Pierre ou Thomas, ou Jacques ou Jean, ou Matthieu, ou quelque autre des disciples du Seigneur ; et ce que disent Aristion et le presbytre Jean, disciples du Seigneur. Je ne pen¬sais pas que les choses qui proviennent des livres ne fussent aussi utiles que ce qui vient d’une parole vivante et durable. »

Polycarpe a été évêque de Smyrne. Il est né vers 70 ap. J.C. et mort martyr à l’âge de 86 ans, vers 156. Il est l’un des derniers témoins de l’âge apostolique. Il avait connu saint Jean et avait été établi évêque par les apôtres (d’après Irénée), par S. Jean lui-même, (d’après Tertullien). Voici ce que dit de lui Irénée, qui a été son disciple vers 140, dans une lettre à son ami Florinus :
« Je l’ai vu en effet, quand j’étais encore enfant, dans l’Asie Inférieure, auprès de Polycarpe ; tu brillais à la cour impériale et tu t’ef-forçais d’avoir bonne réputation auprès de lui. Car je me souviens mieux des choses de ce temps-là que des événements récents. En effet les connaissances acquises dès l’enfance grandissent avec l’âme et s’unissent à elle, de telle sorte que je puis dire l’endroit où s’assoyait le bienheureux Polycarpe pour parler, comment il entrait et sortait, sa façon de vivre, son aspect physique, les entretiens qu’il tenait devant la foule, comment il rapportait ses rela¬tions avec Jean et avec les autres qui avaient vu le Seigneur, comment il rap¬pelait leurs paroles et les choses qu’il leur avait entendu dire au sujet du Seigneur, de ses miracles, de son enseignement, comment Polycarpe, après avoir reçu tout cela des témoins oculaires de la vie du Verbe, le rapportait conformément aux Ecritures. » (cité par Eusèbe, Hist. Eccl. V. 20, 6).

Saint Irénée, qui était lui aussi originaire d’Asie Mineure, comme les deux précédents dont il rapporte le témoignage, est venu en Gaule avec les premiers missionnaires chrétiens. Il était né vers 120 et a été le disciple de Polycarpe. D’abord, il a été prêtre à Lyon sous l’évêque Pothin qui est mort martyr au cours des persécutions. Irénée devait alors être en voyage à Rome. A son retour à Lyon il a été nommé évêque de cette ville. Il est mort vers 202-203, après avoir laissé des écrits qui font de lui un des plus grands théologiens du deuxième siècle. Dans un de ces écrits, il apporte ce témoignage au sujet des Evangiles :
« Matthieu donc publia chez les Hébreux et dans leur propre langue un Évangile écrit, alors que Pierre et Paul annonçaient la bonne nouvelle à Rome et posaient les fondements de l’Eglise. Ensuite après leur départ, Marc, disciple et interprète de Pierre, nous a transmis lui aussi par écrit ce qui avait été prêché par Pierre. Quant à Luc, le compagnon de Paul, il a mis dans un livre l’Evangile prêché par celui-ci. Enfin Jean, le disciple du Seigneur, celui-là même qui a reposé sur sa poitrine, a publié lui aussi l’Evangile, tandis qu’il vivait à Ephèse, en Asie. » (cité par Eusèbe, Hist. Eccl. V. 8, 1-4)

Fr Joseph

Dans les liens de la foi

Il est des mondes intérieurs que la seule conscience ne peut décrire. À peine effleurer. La conviction d’une habitation profonde, d’une confiance en ce qui ne peut se dire avec des mots, en un Verbe créateur, ce « souffle » de vie permanente : tout cela fait partie de l’indescriptible. La foi. Trois lettres alignées, à l’image de la Trinité. La fidélité, l’oreille attentive du divin, l’intime.

En tant que déiste, j’ai toujours été admiratif, et le reste, de ces êtres capables de se fondre dans cette conviction située au-delà du tangible. Dans leur capacité à croire sans se défaire de l’humain. Jusqu’à rayonner parfois en dehors de leur enveloppe corporelle. J’ai, par exemple, le souvenir de déjeuners parmi des moines bénédictins, dans le silence juste ponctué d’une lecture d’un ouvrage d’Alain Decaux sur Paul. Ou de sœur Rébecca, des Fraternités monastiques de Jérusalem, à Paris. Nous avions rendez-vous dans le cadre d’une enquête que je menais sur le monde (justement) monastique. À l’église Saint-Gervais-Saint-Protais, j’ai été saisi par la simplicité intense de leur liturgie, mixte par ailleurs. Et lorsque, l’office terminé, je me suis approché de sœur Rébecca, elle s’est retournée. Son visage rayonnait d’une beauté spirituelle fascinante. Comme si tout en elle était habité d’une lumière à la fois intense et apaisée, sans cesse en mouvement tout en étant dépouillement. Un Buisson ardent personnel. De même les frères et les autres sœurs qui l’entouraient. Comment étaient-ils parvenus à cette grâce, puisqu’il s’agissait bien du divin ? Au repas qui suivit, également dans le silence, la réflexion que m’avait faite un moine de l’abbaye Notre-Dame d’Aiguebelle m’est revenue : « Il faut plusieurs vies pour devenir moine. » Plusieurs vies…

Une autre interrogation intervient de manière récurrente. La foi peut-elle se transmettre, notamment par l’éducation, l’environnement culturel, la tradition ? Et les rites suffisent-ils à l’entretenir ? Aucune réponse n’est satisfaisante. Cette habitation est tellement personnelle. Tout individu la vit de façon distincte. Dieu ne s’adresse-t-il pas à tous, et à chacun en particulier ? Les cas de conversion, puis de vocation, sont très nombreux, à l’image de Max Jacob, et de bien d’autres.
Ensuite, lorsque l’on est croyante, ou croyant, où peut-on se situer ? Ici intervient la conscience et le choix individuels conduisant à un engagement. Ainsi que la notion de « religion », ce qui unit, crée un lien autour d’une foi, de textes sacrés et fondateurs, d’une organisation – parfois hiérarchique. En tant qu’historien (précisément encore) des religions, je demeure fasciné par leur capacité à fédérer, que l’on soit juif, chrétien, musulman, c’est-à-dire des frères qui partagent le même Dieu au sein d’une formidable diversité ; hindouiste, bouddhiste, etc. Aussi, si nous laissons de côté le passé et ses errements, ses drames, ainsi que la manipulation au profit d’une radicalisation dont la religion n’est qu’un prétexte politique, que nous reste-t-il ? À revenir sans cesse aux racines, à l’essentiel, aux fondements de chaque religion. Si nous prenons les monothéismes : « Dieu est avant tout un créateur qui, par conséquent, tient à ce qu’il crée, en l’occurrence l’univers, les êtres vivants. Il les entoure d’amour paternel, de protection, de grandeur. En retour, juifs, chrétiens et musulmans s’engagent à vivre leur foi dans le respect de ces préceptes de charité et de fraternité. » Cet extrait est tiré de l’avant-propos du Dictionnaire de Dieu, à paraître en septembre 2023. Ce livre explique simplement, en mille notices, ce que sont ces trois « fois », ou croyances. Parce que l’Homme a toujours ressenti le besoin de « croire », et, lorsqu’elle est d’essence spirituelle, de structurer sa croyance, depuis les premières inhumations identifiées, il y a cent mille ans environ. Parce que, fidèle ou non d’une religion, nous ressentons et ressentirons toujours ce besoin, cet appel. Savoir, comprendre, expliquer, transmettre, restent des actes fondamentaux.

Pierre

Un franciscain engagé : Léonardo Boff.

Le souci du pauvre doit-il conduire à un engagement terrestre de l’Église ?

Léonardo Boff

Le XIX°siècle a bouleversé l’ordre social établi qui reposait depuis des siècles le rapport avec la terre. La société fut progressivement celle d’une bourgeoisie triomphante et d’une catégorie sociale que Marx nomma le prolétariat[1]. La situation d’extrême pauvreté pour certains et de richesse démesurée pour d’autres a interpellé des gens d’Église[2]. Confrontée à une situation totalement nouvelle, l’Institution catholique favorisa un ordre établi et se réfugia dans une « théologie néoscolastique ». À la notable exception de Léon XIII, elle établissait des frontières entre Dieu et l’homme, entre Église et monde, foi et histoire. À l’instar de ce que gouvernait son analyse depuis des siècles, elle considérait que la vie humaine n’était qu’une étape fugace sur le chemin de l’éternité́. Il s’agissait d’œuvrer pour le salut des âmes. Toutefois, l’émotion suscitée par les inégalités abyssales conduisit au mouvement des prêtres-ouvriers ou prêtres au travail considéré par certains de « plus grand événement religieux depuis la Révolution française »[3].  L’Église avait perdu le monde ouvrier[4]mais le contexte de la seconde guerre mondiale qui conduisit nombre de prêtres au contact avec des femmes et des hommes dans leur vie quotidienne sous l’occupation, dans des camps de prisonniers voire dans le cadre du service du travail obligatoire changea les perspectives. Pourtant, l’expérience ébranla les certitudes de la hiérarchie romaine et conduisit le pape Pie XII à interdire cette pratique le 1er mars 1954[5]. L’Institution serait-elle plus sensible à la défense d’un ordre établi qu’à l’appel des « périphéries » ?

Le contexte de Guerre froide, le soutien des États-Unis à des dictatures sud-américaines au nom de la lutte contre le communisme fut accueilli avec la bienveillance de certains membres du clergé.

Pourtant, un mouvement de pensée naquit au sein de l’Église latino-américaine dans les années 60, à partir du Concile de Vatican II : celui de la théologie de la libération concept créé par un prêtre péruvien Gustavo Gutierrez dans son livre Teología de la liberación (1971)[6].

Nombre de religieux s’engagèrent dans ce combat dont un prêtre brésilien, Leonardo Boff. Ce fut à Concordia dans l’État de Santa Catarina[7] que naquit le 14 décembre 1938, au sein d’une famille de onze enfants, Leonardo Boff. Petit-fils d’immigrants italiens venus du Tyrol du sud[8], migrants économiques poussés, comme nombre de ceux qui ont peuplé ce pays-continent, par la pauvreté[9]. À l’âge de vingt ans, Leonardo Boff entra dans l’ordre des Franciscains, fut ordonné en 1964. Il effectua des études au Brésil puis en Allemagne. Du reste, ce fut à Munich qu’il obtint son doctorat en théologie systématique[10]. Il y rencontra Joseph Ratzinger dont on connaît l’image d’ouverture qui semblait la sienne lors de Vatican II[11]. Il regagna le Brésil en 1970. Il enseigna alors à l’Institut théologique franciscain de Petrópolis, près de Rio de Janeiro. Comme les autres tenants de la théologie de la libération, il dénonçait les inégalités socio-économiques du continent sud-américain, et choisit de soutenir les pauvres, d’après lui, à l’exemple du Christ. Il s’agissait du devoir moral et éthique de l’Église de s’engager dans la lutte aux côtés du peuple. Léonardo Boff proposait une libération des populations opprimées, projet purement terrestre et matérialiste. Il considérait que la hiérarchie de l’Église était dans l’erreur car elle appartenait elle-même à la classe dominante et participait donc à la reproduction des inégalités sociales. Pour lui : « Toute véritable théologie naît d’une spiritualité, c’est-à-dire d’une rencontre profonde avec Dieu survenant dans l’histoire. La théologie de la libération, elle, a trouvé sa source dans la foi confrontée à l’injustice infligée aux pauvres. On ne parle pas ici du pauvre individuel, de celui qui frappe à la porte et demande l’aumône. Le pauvre auquel nous nous référons désigne un terme collectif, ce sont les classes populaires, qui englobent beaucoup plus que le seul prolétariat étudié par Karl Marx […] : ce sont les ouvriers exploités dans le système capitaliste ; ce sont les victimes du sous-emploi, les marginalisés du système de production […] ; ce sont les paysans[12]». Dans le contexte de Guerre froide et d’interventionnisme américain[13], les théologiens de la libération comme L. Boff étaient souvent influencés par les idées marxistes, s’opposaient volontiers à l’impérialisme et au capitalisme exercés par les États nationaux. De fait, une relecture du christianisme et des textes sacrés sur base d’une grille d’analyse marxiste permettait à certains d’associer le pauvre de la Bible au prolétariat du XXe siècle. Léonardo Boff comme ses amis se trouvèrent au cœur du débat sur un continent latino-américain où l’Église catholique jouait un rôle considérable. Il souhaitait faire du pauvre un sujet de sa propre libération et non un objet de charité. 

« L’assistencialisme[14] engendre toujours la dépendance des pauvres : ils restent suspendus aux aides et aux décisions d’autrui, incapables de devenir sujet de leur libération[15]». À côté de cette pensée théologique, les partisans de la théologie de la libération prônèrent un mouvement socio-politique appelant à la libération des peuples opprimés contre le système en place. 

Pour Léonardo, il s’agissait d’adopter « l’option préférentielle pour les pauvres ». Dans la Bible, les pauvres sont enfants de Dieu, ils sont sujets d’une libération. Puisque Dieu lui-même a fait ce choix, les Églises doivent le faire aussi. Le royaume de Dieu se réalise dans l’histoire, à partir de l’Église des pauvres, et non pas de l’Église pour les pauvres.

Ils s’opposèrent aux régimes dictatoriaux et militaires du continent, utilisèrent comme base la « communauté », qui devint l’instance fondamentale et la seule autorité à interpréter la foi, à la place de l’Église catholique et moururent parfois avec leurs fidèles.

Les autorités romaines considérèrent qu’une classe d’intellectuels, formée à l’occidentale, imposait une nouvelle idéologie mêlant marxisme et religion. Ils estimèrent que ce mouvement d’émancipation populaire ne venait pas du peuple lui-même mais de ces intellectuels, menant un néocolonialisme influencé par l’internationale communiste pour conquérir les masses chrétiennes du continent. Il y avait en effet une peur permanente d’une part de l’influence marxiste dans l’idéologie chrétienne et d’autre part de l’attribution de sens politique aux textes religieux. Depuis leur création, les relations entre les mouvements de libération et le Saint-Siège étaient tendues. La Congrégation pour la doctrine de la foi, commission menée alors par le cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI, formula une « mise en garde » contre la présence trop importante de la pensée marxiste dans la théologie de la libération. La Congrégation mit à l’index Gutiérrez et Boff, dont les thèses furent déclarées « insoutenables » mettant « en péril la sainte doctrine de la foi ». L’arrivée sur le trône de Saint-Pierre de Jean-Paul II, Pape polonais très hostile au communisme n’arrangea pas la situation de Léonardo et de ses amis. On se souvient du sort du trappiste Ernest Cardenal tancé par Karol Wojtyla lors de sa visite à Managua le 4 mars 1983, suspense a divinis[16] de 1984 à 2019. Le Pape fut hué à Managua et célébra la messe devant des portraits de Sandinistes. Jean-Paul II nomma des évêques conservateurs sur le continent, afin d’affaiblir l’influence de la théologie de la libération. 

Léonardo Boff écrivit une centaine d’ouvrages[17], il fut conseiller de la Conférence nationale des évêques du Brésil. En 1984 Il fut convoqué au Vatican, et soumis à un procès par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, présidé par le préfet Joseph Ratzinger. Son livre Église : Charisme et puissance critiquant le fonctionnement ecclésiastique qui reposait sur le pouvoir au mépris du charisme évangélique avait déclenché l’ire des autorités vaticanes. Boff fut condamné en 1985 à un silence respectueux (Silentium obsequiosum)[18]et frappé d’interdiction de prédication et d’enseignement dans les Facultés catholiques par la Congrégation romaine pour la doctrine de la foi. En 1992, il fut l’objet de nouvelles menaces de mesures disciplinaires par Jean-Paul II suite à sa participation au Sommet de la terre. Il abandonna l’ordre des Franciscains[19], se maria avec Marcia Monteiro da Silva Miranda, et s’engagea à Petrópolis[20] dans le Service d’organisation populaire d’aide aux mères et aux enfants des rues. Il expliqua dans une lettre ouverte « aux compagnons et compagnes de notre marche commune vers l’espérance » qu’il n’abandonnait pas, mais changeait de tranchée. « J’abandonne le ministère sacerdotal, mais je reste dans l’Église. Je m’éloigne de l’ordre des Franciscains mais pas du songe, tendre et fraternel, de saint François d’Assise. Je continue et je serai toujours un théologien dans la matrice catholique et œcuménique (…) Je sors pour maintenir ma liberté de travail qui a été grandement entravée. Ce travail est la raison de ma lutte depuis vingt-cinq ans ».

Durant les années 1990, Leonardo Boff poursuivit ses activités en s’intéressant aux questions afférentes à l’écologie et à la durabilité, fidèle en cela à sa sensibilité franciscaine. Ainsi, publia-t-il en 1995 : Dignitas Terrae. Écologie : cri de la Terre, cri des pauvres. Il reçut en 2001, le Prix Nobel alternatif à Stockholm.

Dans le contexte actuel de dénonciation des scandales d’abus sexuels frappant des membres du clergé, il considère que l’institution catholique ne peut se réformer et changer la règle inhumaine du célibat obligatoire sauf conversion radicale. Il estime que cette règle imposée au XI° siècle assurerait une fonction importante dans le dispositif de pouvoir proprement castrateur qui s’auto-entretient et refuse de se réformer. 

Léonardo Boff fut un des pères de la théologie de la libération.  Cet engagement fut considéré par beaucoup comme une « perversion de la chrétienté », une « théologie des rues ». Il lui fut reproché une dérive idéologique, à connotation marxiste dans le discours. On dénonça son recours à la lutte des classes comme grille de lecture des conflits sociopolitiques. Comme un nombre non négligeable de membres du clergé s’engagèrent dans les luttes politiques y compris parfois en prenant les armes, cette participation ne fit qu’alimenter la méfiance des pouvoirs en place et celle du Vatican

Léonardo Boff réduisait-il l’histoire du Christ à celle d’un libérateur social et politique ? À n’en point douter, il considérait que la mission de l’Église consistait à aider les pauvres à prendre leur destin en main. Cette mission était réalisée en communautés de base chrétiennes, en essayant de combiner le message de l’Évangile avec un message et une activité de libération sociale.

À l’instar du catholicisme social du XIX° siècle Léonardo Boff et ses amis bousculent une Église, souvent perçue comme un des piliers de défense d’un ordre social.

Érik Lambert.



[1] L’étymologie reflète la situation de cette nouvelle catégorie sociale puisque le terme provient du latin proletarius, de proles, lignée. Or, chez les Romains, il s’agissait des citoyens de la plus basse classe, dont les enfants étaient la seule richesse.
[2] On peut se référer avec profit à Mt 25, 31-46.
[3] Expression du dominicain Pierre Marie-Dominique Chenu.
[4] Henri Rollet écrivit dans Le Monde du 23 juin 1959 : « Surpris par la soudaine accélération de la production due à l’intervention en série de la machine, l’homme a perdu le contrôle du travail. Il en est devenu la victime, comme un chimiste peut l’être d’une réaction imprévue. Il en a subi les effets dans sa chair et dans son âme. Il a manqué aux industriels ; aux économistes et aux hommes d’État ce sens chrétien de la personne qui lui subordonne le progrès ».
[5] Toutefois les années 1960-1970 virent le nombre de prêtres engagés dans cette « mission » croître. Même si les évêques français accord avec le pape Paul VI, relancèrent l’expérience le 28 octobre 1965, ces prêtres ne sont plus qu’une poignée.
[6] Gustavo Gutiérrez écrivit à l’été 1968 : « La théologie de la libération dit aux pauvres que la situation qu’ils vivent actuellement n’est pas voulue par Dieu ».
[7] État du sud du Brésil qui a une frontière avec l’Argentine.
[8] Le Tyrol du sud fut rattaché à l’Italie après le traité de Saint-Germain-en-Laye Le 10 septembre 1919, mettant fin officiellement à l’Empire d’Autriche-Hongrie. Fut alors créée une petite Autriche de 7 millions d’habitants. Trop petite pour être viable, avec une capitale démesurée de 2 millions d’habitants, Vienne. 17 ans à peine s’écoulèrent avant qu’Hitler ne décidât de la rattacher au IIIe Reich
[9] Ils furent 14 millions entre 1860 et la Grande Guerre et environ 26 millions, entre les années 1860 et les années 1960. Les difficultés économiques, l’archaïsme social et les tensions politiques constituaient l’origine de cette grande migration.
[10] Le but de la théologie systématique est de classer les enseignements bibliques par catégories.
[11] Futur Benoit XVI. Il avait 35 ans à l’ouverture du concile Vatican II en 1962. Il y participa en tant qu’expert de l’archevêque de Cologne, le cardinal Joseph Frings, l’un des chefs de file des réformateurs.
Il se fit remarquer par des idées plutôt ouvertes. Lors du débat sur la constitution Lumen Gentium, il défendit une vision plus démocratique de l’Église « Peuple de Dieu » et promut l’idée d’une décentralisation du gouvernement de l’Église. 
[12] Léonardo BOFF et Clodovis BOFF, Qu’est-ce que la théologie de la libération ? Paris, Éditions du Cerf, Paris, 1987, p.16.
[13] Il peut être intéressant de lire le livre de C. Julien, L’Empire américain, Paris, Grasset, 1968, 419 pages.
[14] L’assistancialisme latin adsistere (assistere)  « se tenir auprès de » « être présent » « être ensemble », « se mettre de côté́ »). Le mot « assistancialisme » a un sens plutôt négatif puisqu’une chose qui caractérise spécifiquement l’assistancialisme est qu’il ne se soucie pas d’éradiquer les causes des maux sociaux. En tant que doctrine, l’assistancialisme soutient que rien ne peut être fait, en termes de réformes structurelles, en réduisant toute action sociale à l’application des palliatifs. 
 https://iris-recherche.qc.ca/blogue/international-et-libre-echange/l-assistencialisme-bresilien-et-la-desolidarisation/
[15] Léonardo BOFF et Clodovis BOFF, op. cit., p.17.
[16] En droit canonique, la suspense est une sanction pénale qui ne touche que les clercs. Elle peut être prononcée par le pape pour tous les clercs ou par les évêques, pour les clercs de leur diocèse. Elle consiste à priver le clerc de son office et/ou de son bénéfice. Suspense a divinis : le clerc ne peut plus exercer son pouvoir d’ordre, c’est-à-dire l’administration des sacrements.
[17] Le travail le plus important est considéré Jesus Cristos Libertador (1972), Un des textes fondateurs de la théologie de la libération, publié un an après Teología de la Liberación de Gustavo Gutiérrez, est abordée la question de Jésus-Christ par rapport au problème de la liberté de la personne, à la fois individuelle et sociale.
[18] La Silentium obsequiosum fait référence à l’obligation pour un croyant catholique de se conformer publiquement à une disposition de Saint-Siège bien que cela ne possède pas la propriété de l’infaillibilité. Dans la pratique, pour un théologien, il est d’interdire l’enseignement et les publications. Le terme provient de la janséniste controverse de 1701-1702 qui a été suivie par la bulle Vineam domaines.
[19] Il expliqua sa décision en disant que « En 1992, ils ont voulu me faire taire à nouveau. Enfin, je dis non. La première fois était un acte d’humilité et je l’ai accepté. La deuxième fois était l’humiliation, et je ne pouvais pas l’accepter. «, in Newsweek International, le 28 Juin 1999.
[20] Ville de l’État de Rio surnommée la Cité impériale car elle fut résidence d’été des empereurs du Brésil au XIX° siècle. 

Prière

En union avec nos sœurs et nos frères chrétiens persécutés à travers le monde, nous publions ci-dessous la prière de Polycarpe de Smyrne (69-154/155) la veille de son martyre sous Statius Quadratius, proconsul romain

« Seigneur, Dieu tout-puissant, Père de Jésus Christ, ton enfant bien-aimé et béni, qui nous a appris à te connaître, Dieu des Anges, des Puissances et de toute la création, Dieu de toute la famille des justes qui vivent en ta présence, je te bénis pour m’avoir jugé digne de ce jour et de cette heure, digne d’être compté au nombre de tes martyrs, et d’avoir part avec eux au calice de ton Christ, pour ressusciter à la vie éternelle de l’âme et du corps dans l’incorruptibilité de l’Esprit Saint !… Pour cette grâce et pour toutes choses, je te loue, je te bénis, je te glorifie par l’éternel grand-prêtre du ciel, Jésus Christ, ton enfant bien-aimé. Par lui, gloire soit à Toi, avec Lui et le Saint-Esprit, maintenant et dans les siècles à venir.

Amen. »

Martyre de Polycarpe, 14.

Une Expo, Un film

L’expo Mini-monstres

Les mini-monstres en question ne sont pas nos enfants, bien que nous soyons parfois tentés de les voir tendrement ainsi… Non, ceux dont il s’agit dans cette exposition destinée aux 7-12 ans sont les bestioles qui entourent et habitent partout et constamment petits et grands, et souvent les gratouillent ou les chatouillent, comme dirait le docteur Knock, quand elles ne les envahissent pas purement et simplement avec un sans-gêne inversement proportionnel à leur taille minuscule, aux frontières de l’invisible. Mouches, poux, tiques, punaises, moustiques, puces, acariens… Ces noms évoquent immédiatement le désagrément, la répugnance, et finalement la peur confuse éprouvée à l’égard ce qui échappe aux géants infatués que nous sommes, ridiculement impuissants devant la menace d’une faune aussi indiscernable qu’omniprésente qui s’invite dans nos draps, nos armoires, nos cheveux, les replis de notre peau, se nourrit de nos déchets microscopiques et, pour certaines de ces créatures, de notre sang-même, d’une manière il est vrai plus ou moins courtoise.

L’exposition, par d’habiles artifices de scénographie, remet d’emblée le visiteur à l’échelle de ces animalcules trop vite et trop injustement réputés immondes. Répugnance et peur disparaissent au fil de la visite pour laisser place à la curiosité, l’étonnement, la rencontre, la connaissance et même la fascination devant leurs formes délicates, leurs pattes graciles et puissantes, leurs yeux panoramiques, leurs ailes transparentes qui battent plus vite que nos réacteurs. Ces bestioles — le mot est celui de la Genèse — font en effet partie de la création, au même titre et depuis bien plus longtemps que nous. Nous leur devons donc le respect, et même l’admiration pour leur incroyable variété dans chaque espèce, et plus spectaculairement encore pour leurs extraordinaires facultés qui, si nous en étions dotés, feraient de nous des super-héros capables de sauter à des hauteurs vertigineuses, de supporter des jeûnes de plusieurs années, de soulever des poids cyclopéens, de filer à des vitesses telles que nous semblerions comme elles douées d’ubiquité dans les nuits estivales. Ces aptitudes ne sont pas gratuites : ces petites bêtes accomplissent des tâches ingrates, indispensables à l’équilibre des écosystèmes, si bien qu’avant de les écrabouiller avec un dédain vengeur, nous serions bien inspirés de les remercier de leur invisible et néanmoins déterminante participation au vivant et de mieux apprendre à coexister avec elles comme l’exposition nous y incite de manière très pédagogique. Les bonnes clôtures font les bons voisins, dit-on. Il faut reconnaître notre propension à détruire ce qui nous incommode avec un manque de discernement qui tôt ou tard se retourne contre nous, et y substituer la négociation, le compromis grâce auquel il est possible de vivre en bonne intelligence et en juste équilibre. Ainsi, l’usage immodéré de la chimie pour éradiquer ce que l’on a tôt fait de considérer comme une infestation ne provoque que des complications plus désagréables encore que la nuisance réputée, en plus d’être contreproductives puisque nos commensaux au grand banquet de la nature apprennent très vite à résister aux produits qu’on leur inflige, de sorte que nous finissons par ne nous les infliger qu’à nous-mêmes. À cette échelle aussi nous sommes appelés à tempérer notre orgueil brutal de dominants et à rechercher l’harmonie plutôt qu’affirmer une vaine et dangereuse suprématie solitaire. Admettons plutôt que nous ne nous débarrasserons jamais de nos infimes compagnons, que nos modes de vie sont la cause principale de leur prolifération excessive comme du désordre qui s’insinue à tous les étages de la création. Admettons que, comme on dit, la nature fait bien les choses, bien mieux que nous en tout cas, et qu’il est beaucoup plus judicieux de se mettre à son écoute que de s’évertuer à la contrarier.

L’exposition se tient au Jardin des Plantes, dans la galerie de minéralogie que l’on peut également visiter pour l’occasion, en repayant toutefois le ticket d’entrée assez modique (7 à 10 €) et gratuit pour les enfants. C’est toujours un ravissement de se rendre au Jardin des Plantes, d’y admirer les serres tropicales, de redécouvrir et de montrer aux petits les richesses des différentes galeries, comme celle de paléontologie si fascinante, toujours « dans son jus » de poésie intemporelle, ou simplement de se promener dans les jardins si artistement entretenus et de s’arrêter un moment au pied du cèdre imposant qui trône au sommet du « Labyrinthe » comme un sage géant protecteur. Peut-être de là-haut nous voit-il lui aussi comme de nuisibles et fragiles bestioles.

Jean Chavot


Tirailleurs
un film de Mathieu Vadepied
, coproduit par Omar Sy

un film de Mathieu Vadepied, coproduit par Omar Sy

Il y eut Indigènes de Rachid Bouchareb en 2006. Un voile se levait alors sur le rôle essentiel joué par les troupes d’Afrique du Nord dans la reconquête de la métropole et le peu de reconnaissance de la mère-patrie. Tirailleurs a été pensé par son réalisateur Mathieu Vadepied et le coproducteur Omar Sy comme une contribution à la mémoire du sacrifice des soldats d’Afrique Noire durant la grande Guerre. Le sujet est plus original qu’il n’y paraît. En effet, le corps fut créé en 1857 par Léon Faidherbe pour participer à la constitution de l’Empire français. En effet, la France colonisa mais ne peupla pas. Or, il ne suffit pas de vaincre, il faut ensuite tenir le territoire.

À la veille de la Première Guerre mondiale, l’idée que des Noirs puissent affronter des Européens restait taboue : « races inférieures » et « supérieures » ne sauraient se mêler sur un champ de bataille. Dans un livre très remarqué, La Force noire, publié en 1910, le colonel Mangin fut le premier à braver l’interdit. Plombée par le recul de sa natalité, la France tremblait alors face à l’insolent dynamisme démographique de l’ennemi allemand. Cet officier de l’armée coloniale, n’était lui-même pas exempt de préjugés : « Le Noir naît soldat », assurait le colonel, et l’armée française ne pourrait que se féliciter d’employer « ces primitifs pour lesquels la vie compte si peu, et dont le jeune sang bouillonne avec tant d’ardeur, et comme avide de se répandre ».

Seuls les Français utilisèrent des soldats de couleur durant les combats. 45 000 hommes soit 3% des morts français de la Grande Guerre. Le film de Vadepied a des qualités certaines. Ainsi, Omar Sy est un Sénégalais qui ne parle que le peul ; il ne comprend pas les ordres de son lieutenant français et a tout autant de mal à communiquer avec la plupart des tirailleurs de son unité. L’organisation de ces peuples était tribale et les soldats étaient originaires de plusieurs ethnies, parlant des langues différentes : le peul, le wolof, le mandingue, le sérère, le diola… Or, la communication étant vitale sur le champ de bataille, les officiers imposèrent à leurs soldats une langue commune, le « français tirailleur », nom militaire officiel du « petit nègre », ce français simplifié et humiliant. En 1916, l’armée française distribua aux officiers des bataillons noirs un manuel intitulé « le Français tel que le parlent nos tirailleurs sénégalais »[1]. Comme le montre le film, les tirailleurs étaient souvent logés dans des camps dédiés, encadrés par des sous-officiers indigènes. Mais l’encadrement militaire était systématiquement français et blanc. Au début du conflit, le recrutement était « volontaire »[2], mais, lorsqu’en 1915 l’état-major décida d’intensifier massivement le recrutement de soldats noirs, beaucoup d’entre eux furent enrôlés de force.

Pour échapper à l’enrôlement, de nombreux jeunes Africains quittèrent leur village et se réfugièrent dans la brousse ou les forêts alentour. Certains rejoignirent même les colonies britanniques ou portugaises voisines. La réponse des autorités coloniales fut sans nuance : les fuyards furent poursuivis et saisis par la force, l’arme à la main, lors de véritables chasses à l’homme, comme la scène spectaculaire qui ouvre le film. Vadepied évoque les vagues promesses de citoyenneté française pour les anciens combattants, vœu de la majorité des élites qui étaient assimiliationnistes[3] plus qu’intégrationnistes[4].  

Le film montre bien que l’équipement était semblable à celui des métropolitains, avec en plus le coupe-coupe qui, pour les Allemands, illustrait leur sauvagerie. Les brodequins étaient souvent les premières chaussures que portaient ces hommes, calvaire pour eux. N’oublions pas leur sensibilité au climat qui fit que chaque année d’octobre à avril, ils furent placés dans des camps dans le Var, la Gironde voire l’Afrique du Nord[5]. La question de la misère sexuelle est aussi suggérée. Cette question fut d’autant plus sensible que l’on prêtait aux Africains une frénésie sexuelle débridée et que l’on évitait les contacts avec les femmes blanches. Des établissements spécifiques étaient réservés aux Africains[6]

Comme le suggère le film, le tirailleur qui rentre n’est plus celui qui est parti en côtoyant la population française ; ainsi en est-il de Thierno Diallo qui eut une aventure avec une blanche. Le tirailleur rentre avec la déception du peu de reconnaissance de la mère-patrie et de minces avantages qui lui valent d’être mal accueillis à son retour au village. Il lui est reproché d’être un fainéant, ou encore de vouloir remettre en cause l’ordre traditionnel au nom des médailles rapportées de France. 

Le film de Vadepied est souvent critiqué sans doute parce qu’il n’est pas résolument politique comme le fut Indigènes, parce qu’il ne se pose pas en dénonciation du racisme et n’idéalise pas les tirailleurs. Les combats sont rares mais l’angoisse de l’assaut n’est pas éludée. Pourtant, ce n’est pas un film de guerre, son intérêt réside aussi dans le conflit entre le père et le fils ; l’un peu concerné par les conflits de blancs et l’autre entraîné dans un élan patriotique. 

« Souvenez-vous de moi. Souvenez-vous de nous… » en langue Peule sont les dernières paroles du film. Sur le site de l’ossuaire de Douaumont qui commémore la bataille de Verdun, en 1916, il y a des Aimé, Lazare, Maurice, Jacques, René, Émile, mais pas de Fofana, ni de Bakary. Toutefois, pourquoi le soldat inconnu qui repose sous la « dalle sacrée » de l’Arc de Triomphe depuis le 11 novembre 1920 ne serait-il pas un tirailleur ?

Un film quelque peu éreinté par la critique qui contribue à imaginer ce que vécurent ces unités durant la Grande Guerre et qui participe à l’évolution qui fut et est celle du cinéma dans la manière d’appréhender la Grande Guerre.

Érik Lambert.


[1] En 1915, Banania créé en 1914 se fait connaître avec ses affiches publicitaires mettant en scène un tirailleur qui sourit de toutes ses dents. « Y’a bon », s’écrie l’Africain en dégustant son Banania. Le slogan attribué au « grand enfant » n’a été abandonné par la marque qu’en… 2006. 
[2] Il était en fait délégué par les autorités coloniales aux chefs de village, sommés de réunir chaque année un contingent de candidats au service ; or ces derniers étaient souvent désignés contre leur gré.
[3] Adopter la culture et les valeurs du colonisateur afin de devenir à terme des citoyens à part entière donc disparition des spécificités culturelles.
[4] Ne supprime pas les différences mais les intègre.
[5]Le camp de Courneau en Gironde et nécropole de La Teste-de-Buch 936 tirailleurs morts entre avril 1916 et août 1917. Sous des tentes puis des baraques Adrian qui ont servi ensuite lors des déportations de Juifs organisées par l’État français.
[6] Un seul des « BMC » (bordels mobiles de campagne) destinés aux Africains comportait 10 femmes blanches sous autorité d’une femme de couleur.

Événements de Mars

Retraite régionale des fraternités franciscaines séculières de la région Créteil, St Denis, Meaux

Dimanche 19 mars 2023 de 9h30-17h
Thème : « Être artisan de paix »
Retraite animée par frère Daniel Painblanc, ofm cap
La messe sera célébrée, entre nous, en fin de journée.Où ? Fraternité des Capucins, 32 rue Boissonnade, 75014 Paris
Repas : prévoir un repas partagé froid

👉 Fraternité des Capucins, 32 rue Boissonnade, 75014 Paris

Participation aux frais de la journée 👉 entre 5€ et 10€


Une plongée dans les sources franciscaines

Formation sur 1 week-end
(écrits de François et spiritualité franciscaine) : 18-19 mars 2023

Par qui 👉 François Delmas-Goyon, ofs, spécialiste de la spiritualité franciscaine et l’un des traducteurs de François d’Assise. Écrits, Vies, témoignages, édition du VIIIe centenaire (le « nouveau Totum »).

👉 Chez les sœurs Franciscaines Réparatrices de Jésus-hostie,
127 avenue de Villiers 75017 PARIS
Pour s’inscrire 👉 Voici le bulletin !


Formation Franciscaine : Ecologie et expérience franciscaine

Clameur de la terre et clameur des pauvres à l’école de François d’Assise
Comment François d’Assise peut-il être « patron céleste des écologistes » alors que l’écologie n’était pas une préoccupation du monde du XIIIème siècle ?
La tradition franciscaine offre une lumière précieuse pour éclairer nos défis contemporains et approfondir notre conversion à l’évangile, car le Poverello est « l’exemple par excellence de la protection de ce qui est faible et d’une écologie intégrale, vécue avec joie et authenticité. » (Laudato Si §10).
Point essentiel : pas de cantique de frère Soleil sans le baiser au lépreux.

Avec qui 👉 Frère Frédéric-Marie Le Méhauté, ofm
👉 Au Centre Sèvres
cours en ligne du 21 février au 4 avril 2023
12 h, prix 70 € – Tutorat collectif le mardi de19h30 à 20h15
Pour s’inscrire 👉 C’est ici !!!


Parcours spirituel franciscain «Jusqu’en Dieu»

Animé par Brigitte Gobbe, laïque franciscaine et les frères Eric Moisdon, ofm, Marcel Durrer et Pascal Aude ofmcap
Ce parcours nous initie à entrer dans la contemplation de Dieu à travers toute réalité qu’il crée, ainsi que l’a vécu saint François : « Mon Dieu et toute chose !», lui qui fut rendu capable de saisir par l’amour de l’Esprit en lui tout être dans ce qu’il a d’unique et de précieux, ainsi que les liens entre tout. Le parcours, par de moyens variés – lecture et enseignements, implication du corps et des sens, liturgie, oraison et accompagnement – aide à déployer progressivement ce regard du cœur et de la foi.
Il s’agit d’une expérience bien spécifique, en silence, mais fortement fraternelle et active. Elle est un moyen de resourcement et de structuration spirituels et franciscains. La durée tient au texte de Bonaventure qui déploie les 7 jours de la création, et en fait de notre recréation.

Quand 👉 du samedi 15 avril, 18h au dimanche 23 avril 2023, 14h
👉 Foyer Sainte Anne – 16, rue d’Avanne, 25320 MONTFERRAND LE CHATEAU
📞 03 81 56 51 38
📤 foyersteanne@wanadoo.fr
En savoir plus 👉 C’est par là !
Pour s’inscrire 👉 Téléchargez le tract

Édito de mars 2023

Le sabbat de toute une vie

L’accroissement de l’espérance de vie est l’effet heureux de beaucoup de facteurs con-jugués : progrès scientifique et technique ; généralisation et approfondissement de l’éducation ; conquêtes sociales le plus souvent arrachées de haute lutte : diminution du temps de travail, congés payés, sécurité sociale, indemnisation du chômage… Et bien sûr la retraite. Le gain d’espérance de vie est le fruit de l’effort collectif qui a permis toutes ces avancées, et non le ca-deau de bons princes à la communauté. Il est bon de le rappeler au moment où l’on entend répé-ter l’argument selon lequel, puisque l’on vit plus longtemps, on devrait logiquement travailler plus longtemps. Observons ce qui sous-tend cette équation aux allures algébriquement indiscu-tables.

« Le sabbat a été fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat. » (Marc 2,28). De même, le travail est fait pour l’homme et non l’homme pour le travail, qui est la condition de sa survie biologique tel que Hannah Arendt le définit selon la tradition philosophique (La Condition de l’homme moderne). Parce que l’homme a accru le temps de sa survie biologique, est-il condamné à utiliser ce gain à travailler plus longtemps ? Pourquoi, s’il n’en retire pas le bénéfice ? Pour qui, s’il n’est pas libre d’en jouir lui-même ? À chacun de déterminer où s’entassent les surplus de richesse ainsi produits. Pas, en tout cas, chez ceux qui participent le plus durement à l’effort commun et qui se trouvent, comble d’injustice, être ceux dont l’existence est la moins confor-table et la plus brève. De même que le repos et le partage du dimanche sont de plus en plus sacrifiés aux exigences économiques et consuméristes, de même la retraite qui est en quelque sorte le sabbat de toute une existence, devrait se réduire comme peau de chagrin au nom des mêmes exigences de production alors que le monde — le nôtre, du moins — n’a jamais été glo-balement aussi riche ? C’est notre effort collectif qui a créé cette richesse comme il a permis l’allongement de la vie, et cela justifierait maintenant de travailler plus longtemps ? On voit bien le non-sens absolu de cette arithmétique vicieuse ; à moins de viser l’immortalité…

Dès lors l’argument change de point d’attaque : il oppose les actifs aux inactifs, les se-conds pesant dangereusement et coupablement sur les premiers. La réalité de la vie y apporte un premier démenti : les « inactifs » sont très loin de l’être ; ils sont au contraire et généralement plus occupés qu’au temps de leur activité professionnelle contrainte, cette fois par des tâches essentielles à la collectivité, familiales, associatives, éducatives, humanitaires, artistiques, spiri-tuelles… Second démenti, anthropologique celui-ci : l’homme est le seul mammifère qui survit à l’épuisement de ses facultés procréatives. Depuis des temps immémoriaux, les anciens font par-tie intégrante de la collectivité, ils assument la protection et l’éducation des petits enfants inca-pables de survivre sans eux, ils maintiennent la cohésion et la continuité biologique et culturelle de l’espèce. Devraient-ils aujourd’hui délaisser ces fonctions primordiales pour claudiquer comme au temps de leur vaillance derrière rennes et mammouths, fussent-ils ceux du CAC 40 ? À moins d’une rupture anthropologique aux conséquences incalculablement désastreuses, la réalité de la vie humaine n’est pas scindée en actifs et inactifs, mais une : elle repose sur la fra-ternité qui commande que chacun participe selon ses moyens à la vie collective dont il reçoit ce qui est nécessaire à ses besoins (Acte 2, 44-47 ; Acte 4, 32-35).

Arguer de l’allongement de la vie pour reculer l’âge de la retraite revient à considérer ce temps de libre disposition de ses capacités comme un temps de « non-vie », inutilement coûteux pour la société. Cela induit également que le travail n’aurait de réalité et de sens que dans le cadre de l’emploi, très majoritairement salarié. Or, celui-ci est en dernière instance subordon-né aux choix d’élites socio-économiques qui apparaissent de plus en plus préoccupées de leurs seuls intérêts. Nul doute donc que la question des retraites révèle d’autres interrogations fon-damentales sur la justice sociale, sur la démocratie réelle, sur le partage des richesses et sur ce qu’est le travail, sa nature, son organisation et ses finalités. Quel que soit le résultat du conflit en cours, l’ampleur du mouvement a déjà montré l’urgence et la volonté d’y réfléchir collectivement.

Le Comité de rédaction

UN CAPUCIN PLONGÉ DANS L’HISTOIRE DU XX°SIÈCLE.

Épisode 3 : Ut boni fiamus,[1] 

Pierre Péteul durant la Grande Guerre.

Réfugié au Vatican entre 1943 et 1944, Marie-Benoît Péteul poursuivit son action et accrut ses activités. En effet, il constitua une organisation internationale d’aide aux familles juives persécutées. II fut confronté à la frilosité du Pape Pie XII déchiré entre son souci d’aider les Juifs et sa hantise viscérale du communisme[2]. Le Père Marie-Benoît affronta dans son entreprise la lourdeur des rouages de la diplomatie pontificale poursuivant cependant avec vigueur l’action de sauvetage des Juifs qu’il avait déjà entreprise, au risque d’être victime de la répression menée par les Allemands. Ses activités reçurent toutefois le soutien discret mais explicite du Pape.  

À l’issue du conflit, médaille de la Résistance, croix de guerre, chevalier de la Légion d’honneur, il nourrit le souci de la réconciliation entre Juifs et Chrétiens, luttant pour que l’Institution reconnut ses « frères aînés ». 

Avec son ami L’écrivain et philosophe Edmond Flegenheimer, dit Edmond Fleg, il participa à la création de l’Amitié judéo-chrétienne de France qui avait pour ambition de cultiver entre Juifs et Chrétiens la connaissance, la compréhension, le respect et l’amitié. Il s’agissait de lutter contre les peurs, les chimères et fantasmagories multiséculaires entre les communautés[3]. Le poids de la Seconde Guerre et particulièrement de de la Shoah incitait à ce que les Églises chrétiennes revissent leur façon d’appréhender le peuple juif et son histoire dans leur enseignement et leurs conceptions théologiques. Suivant le chemin tracé par l’historien Jules Isaac, il s’agissait de dénoncer ce qu’il nommait l’enseignement du mépris. Des siècles de catéchèse avaient en effet incité les chrétiens à rejeter la perfidie juive et son caractère satanique. Les Dix Points de Seelisberg [4] identifièrent et condamnèrent les sources chrétiennes de l’antisémitisme et suggérèrent des réformes indispensables à la réconciliation entre juifs et chrétiens. La première équipe comprenait un petit groupe de protestants, de catholiques, d’orthodoxes et de juifs qui oeuvraient à l’éradication de l’antisémitisme mais avaient aussi le souci d’inciter Juifs et Chrétiens à orienter la société en reconstruction par leur présence civique et spirituelle. L’initiative s’inscrivit dans le grand courant de Risorgimento insufflé par le Concile Vatican II dont la déclaration Nostra Ætate approuvée par 2 221 voix contre 88[5] constitua une manifestation spectaculaire. Ce texte fut en effet à l’origine d’une vraie révolution doctrinale pour l’Église qui s’engagea ainsi dans un dialogue interreligieux. 

Après avoir à vécu à Rome jusqu’en 1953, le Père Marie-Benoît fut envoyé dans un séminaire au sud de la péninsule jusqu’en 1956 puis renvoyé en France où il mourut en 1990 à l’âge de 94 ans.

Padre Benedetto, « Père des Juifs » qui sauva 4 500 juifs, était un diplomate mais aussi un franc -tireur, doté de beaucoup d’imagination et un grand sens de l’humour d’après l’historienne américaine Susan Zuccotti qui le rencontra. 

Sans chercher à convertir les Juifs, le capucin de Bourg d’Iré nourrit son philosémitisme tant dans sa culture biblique que dans sa connaissance de l’hébreu.  Les Capucins, à l’image de Pierre-Marie Benoît et Callixte Lopinot jouèrent un rôle considérable pour renouer les liens entre Juifs et Chrétiens. Statue à Washington en 1964,  » Juste des nations  » en 1967[6], il reçut en 1984 du grand rabbin Jacob Kaplan les insignes d’officier de la Légion d’honneur, la croix de chevalier lui ayant été remise, à Rome, en 1946, par Jacques Maritain. À l’image de saint François avec les musulmans, il fut l’artisan d’un dialogue pacifié avec les juifs. 

Il fut un témoin de l’action d’une partie de l’Église durant la période sombre des années noires.  Ainsi, dans son Journal, Paul Morand, alors membre du cabinet civil de Pierre Laval écrivit : « Les évêques font une démarche collective des plus énergiques en faveur des Juifs en zone libre. C’est inouï l’enjuivement des curés ! C’est à vous rendre anticlérical ! » Padre Benedetto contribua à la déclaration de Serge Klarsfeld : « dette immense à l’égard de l’Église», dette qu’il aimerait que « notre pays reconnaisse, partage et mette en lumière, plutôt que de la laisser dans l’ombre par préjugé anticlérical  »[7].

Érik Lambert.


[1] Saint-Bonaventure, (1217-1274). « Pour que nous devenions bons ». Septième ministre général de l’Ordre des Frères Mineurs, il fut évêque d’Albano
[2] On peut lire sur cette question les biographies nuancées de J.Chélini, L’Église sous Pie XII, La Tourmente, 1939-1945 et celle de P.Milza, Pie XII ; toutes deux parues chez fayard et voir le film à charge Amen de Costa Gavras.
[3] Il serait intéressant de se reporter aux conséquences de l’appel à la croisade d’Urbain II lors du Concile de Clermont en 1095 puis au traité contre les Juifs de Pierre le Vénérable (vers 1140) et au Concile de Latran IV de 1215.
[4] 30 juillet au 5 août 1947 eut lieu à Seelisberg (canton d’Uri en Suisse) une conférence internationale destinée à discerner les causes de l’antisémitisme. 
[5] « À notre époque » : Texte promulgué par le Pape Paul VI en octobre 1965.
[6] Un arbre fut planté dans l’allée des Justes parmi les Nations, arbre, symbolisant le renouveau de la vie, sur le site de Yad Vashem. À proximité de chaque arbre, des plaques rappellent les noms de ceux auxquels ils rendent hommage et le pays où ils résidaient durant la guerre. 
[7] Lire à ce propos : J.Semelin, Une Énigme française, Paris, Albin Michel, 2021.

« François et l’Eucharistie »

Bien avant de vouloir suivre les pas de Jésus Christ, François d’Assise a connu une Église traversée par des courants contestataires très influents, parmi lesquels les Cathares et les Vaudois. En réaction aux comportements d’une institution qui oubliait trop souvent les enseignements du Christ et donnait plus à voir ses richesses et son pouvoir, ces mouvements prônaient le retour à une forme de vie plus évangélique, ce qui n’a pas manqué de séduire le jeune François. Mais certains se sont écartés de l’Église, en particulier pour tout ce qui touche à l’Eucharistie. Les uns allaient jusqu’à refuser ce sacrement parce qu’ils jugeaient les prêtres qui l’administraient indignes de leur fonction ; les autres niaient que le pain et le vin puissent « réellement, vraiment et substantiellement » être convertis en corps et sang du Christ tout en gardant leurs caractéristiques physiques (transsubstantiation), et par-là même ils niaient la présence réelle du Christ dans les espèces consacrées.
C’est dans ce contexte de crise eucharistique qu’en 1215 le Concile de Latran, auquel selon toute vraisemblance François assiste, définit comme dogme la transsubstantiation et décide d’imposer la communion au moins une fois par an, à Pâques, car les fidèles avaient pris l’habitude d’assister à la messe sans communier.
En vrai fils de l’Église, François porte ces préoccupations et ses écrits foisonnent de recommandations relatives à l’Eucharistie. Ainsi, il exhorte les clercs à ne pas oublier le respect avec lequel ils doivent traiter les très saints Corps et Sang du Christ, parfois laissés « à l’abandon en des endroits malpropres », et le soin qu’ils doivent apporter aux objets du culte destinés à les accueillir : « les calices, les corporaux, les ornements de l’autel et tout ce qui concerne le sacrifice, ils doivent les tenir pour précieux. » (Lettre à tous les custodes 3, Lettre à tous les clercs). Il témoigne également de sa foi dans les prêtres dont il refuse de considérer le péché car c’est le Fils de Dieu qu’il discerne en eux, ce sont les ministres de son Corps et de son Sang très saints qu’il reconnait en eux. (Test 9-10)
Comment expliquer une telle ferveur eucharistique chez François ?
Parce que l’Eucharistie est pour lui le prolongement de l’Incarnation : « Voyez : chaque jour il s’abaisse, exactement comme à l’heure où, quittant son palais royal, il s’est incarné dans le sein de la Vierge ; chaque jour c’est lui-même qui vient à nous, et sous les dehors les plus humbles ; chaque jour il descend du sein du Père sur l’autel entre les mains du prêtre. » (Adm1, 16-18) François énonce admirablement le parallèle entre Eucharistie et Incarnation : même mouvement d’abaissement de Dieu pour nous rejoindre dans notre chair, même simplicité, même humilité, dans l’hostie consacrée, comme dans la venue du Christ dans notre histoire. « Et de même qu’il se présentait aux saints apôtres dans une chair bien réelle, de même se montre-t-il à nos yeux maintenant dans du pain sacré… Lorsque, de nos yeux de chair, nous voyons du pain et du vin, sachons voir et croire fermement que c’est là, réels et vivants, le Corps et le Sang très saints du Seigneur. » (Adm1, 19-21) A l’image des Apôtres qui ont cheminé avec le Christ, vécu à ses côtés et partagé son humanité, ce que François souhaite le plus ardemment, c’est de pouvoir suivre les traces de son Bien-Aimé.
Or, l’Eucharistie est pour lui le sacrement privilégié de la présence du Christ, qui lui donne à voir et à contempler son Seigneur : « du très haut Fils de Dieu, je ne vois rien de sensible en ce monde, si ce n’est son Corps et son Sang très saints » (Test 10) Par ce sacrement, le Seigneur dévoile sa présence, il demeure avec nous chaque jour et pour toujours : « Tel est en effet le moyen qu’il a choisi de rester toujours avec ceux qui croient en lui, comme il l’a dit lui-même : Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde. » (Adm1, 22)
Cette rencontre intime avec le Seigneur passe par le « voir » et le « croire »…Il est intéressant de remarquer que l’homme a souvent besoin d’un signe pour croire, il lui faut d’abord voir pour croire ; c’est le cas de nombreux auditeurs de Jésus, c’est même le cas de Thomas, qui est pourtant l’un des douze. Dans l’Eucharistie, la perspective est renversée : c’est croire qui rend capable de voir, et les deux sont indissociables. C’est l’Esprit-Saint, Esprit de Vérité, qui nous donne de croire, et donc de voir, dans le pain et le vin, le Corps et le Sang très saints du Seigneur « réels et vivants ». C’est l’Esprit qui ouvre notre cœur et notre intelligence pour que nous puissions donner foi aux paroles de Jésus : « Ceci est mon corps…ceci est mon sang… » et François nous invite à « voir et croire, selon l’Esprit et selon Dieu ».
François associe également Incarnation, Eucharistie et Croix dans un même « Mystère rédempteur ». Ainsi dans la seconde rédaction de la Lettre à tous les fidèles, son commentaire sur l’Eucharistie s’inscrit entre ceux sur l’Incarnation et sur la Croix, et ce n’est pas un hasard. Voici ce qu’il écrit : « A l’approche de sa Passion, il célébra la Pâque avec ses disciples : prenant le pain, il rendit grâces, le bénit et le rompit, et déclara : Prenez et mangez : ceci est mon corps. Et prenant le calice il dit : Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle Alliance, qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés…Or, la volonté du Père fut que son Fils béni et glorieux, qu’il nous a donné et qui est né pour nous, s’offrit lui-même par son propre sang, en sacrifice et en victime sur l’autel de la croix ; non pas pour lui-même, par qui tout a été fait, mais pour nos péchés, nous laissant un exemple afin que nous suivions ses traces. Il veut que tous nous soyons sauvés par lui » (v. 6-7 ; 11-14). Il poursuit dans le passage sur la vie sacramentelle : « Nous avons aussi l’obligation de confesser au prêtre tous nos péchés et de recevoir le Corps et le Sang de notre Seigneur Jésus-Christ. Celui qui ne mange pas sa chair et ne boit pas son sang ne peut entrer dans le royaume de Dieu. » (22-23
Si François a une telle vénération pour l’Eucharistie c’est parce qu’il y voit la présence réelle de Celui qui nous a tant aimés qu’il a donné sa vie pour nous sur la Croix, et parce qu’il croit fermement que ce sacrement participe au salut de l’homme. « Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle…Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. » (Jn 6,54 ; 56)
Pour François, adorer le Christ dans sa présence eucharistique c’est enfin vivre en communion totale avec le Fils et donc avec le Père, ce à quoi il aspire de tout son cœur, de toute son âme.
Que sa ferveur eucharistique puisse nous éclairer pour que nous puissions nous aussi « voir » et « croire » et redonner tout son sens à ce sacrement lorsque nous nous approchons de la table eucharistique. « Que tout homme craigne, que le monde entier tremble, et que le ciel exulte, quand le Christ, Fils du Dieu vivant, est sur l’autel entre les mains du prêtre ! O admirable grandeur et stupéfiante bonté ! O humilité sublime, ô humble sublimité ! Le maître de l’univers, Dieu et Fils de Dieu, s’humilie pour notre salut, au point de se cacher sous une petite hostie de pain ! Voyez, frères, l’humilité de Dieu, et faites-lui l’hommage de vos cœurs. Humiliez-vous, vous aussi, pour pouvoir être exaltés par lui. Ne gardez pour vous rien de vous, afin que vous reçoive tout entiers Celui qui se donne à vous tout entier. » (Lettre à tout l’Ordre, 26-29)

P. Clamens-Zalay

Saint Jean Chapitre 17 : Partie 2/2

La prière de Jésus (suite)

Le pendant du prologue

Cette prière rappelle le prologue, elle donne l’impression d’en être le pendant, comme si la fin faisait symétrie avec le début. En effet, le Christ ici :
• annonce qu’il retourne chez le Père (dans le Prologue, il venait de chez Dieu)
• il rend compte au Père de l’accomplissement de sa mission (le Prologue disait qu’elle avait pour but d’engendrer des enfants de Dieu)
• il explicite ce qui était dit de manière condensé dans le Prologue, comme on va le constater dans le contenu des 2 textes, mis en regard dans le schéma suivant.

Condensé du Prologue

  1. Le Verbe en Dieu (v. 1-2)
    le Fils dans le sein du Père (18)


  1. …ses dons de Lumière
    et de Vie (4.5.9)

  1. …l’opposition des ténèbres, la méconnaissance et le refus du monde (10-11)
  1. Deviennent enfants de Dieu ceux qui croient en son nom, qui croient que le Verbe s’est fait chair (12-13.14a)
  1. …ces enfants de Dieu contemplent sa Gloire de Fils unique (14b)
  1. …et bénéficient de la grâce en plénitude (16)

Répondant dans la prière sacerdotale

Le Fils quitte le monde et retourne au Père (11.13)
Qu’est-ce que être Fils dans le sein du Père ?

  • c’est y être depuis toujours avant la création (1.24)
  • c’est vivre avec le Père une unité parfaite (11.21-22)
  • c’est avoir avec lui une réciprocité d’avoir (10)
  • c’est se consacrer, se vouer au Père (19)
  • c’est tout recevoir du Père, tout accueillir comme un don :
    ->son amour (23.26)
    -> ses disciples (6.9.24)
    -> ses paroles (8.14)

Qu’est-ce que cette illumination donnée par le Fils ?

  • Il a manifesté, « fait connaître » le nom du Père,
    c’est à dire le cœur de sa personnalité, Père d’un Fils unique (6.26)
  • aux disciples il a donné la parole même du Père (14)

Qu’est-ce que cette Vie donnée par le Fils ?
c’est la vie éternelle, l’intimité avec le Père (2-3)

En quoi consiste cette haine du monde ?

  • le « monde » n’accepte pas ceux qui ne sont pas de son bord (14)
  • le « monde » ne « connaît » pas le Père, n’est pas intime avec lui (25)


Qu’est-ce que « croire en son nom » ?

  • c’est le « connaître » (être intime avec Jésus – 3)
  • c’est croire que ses paroles sont celles du Père (8)
  • c’est croire que Jésus est sorti du Père (8)
  • et que cette ‘sortie’ était un envoi du Père (8)

    Qu’est-ce que cette Gloire du Fils ?
  • c’est sa condition divine dans sa manifestation plénière, qu’il demande au Père de lui redonner (1)
  • cette Gloire n’est autre que celle du Père (1)
  • c’est la relation filiale spécifique de Fils unique (1) (ton fils / et le duo « toi – moi »)

    Qu’est-ce que cette « plénitude de grâce », sinon être fils nous aussi. Et qu’est-ce donc être fils ?
  • c’est être pris dans le même mouvement et la même relation d’amour (23.26) et d’unité (11.21-22) qui relient le Père et le Fils.
  • c’est être sous la garde du Père et du Fils (11-12.15)
  • c’est être consacré, voué à Dieu (16.19) comme Jésus
  • c’est être envoyé, comme Jésus (18)
  • c’est être promis à la gloire du Fils unique (24)
  • c’est être envahi par la plénitude de sa joie (13).

    Fr Joseph