A l’époque de François, celui ou celle qui était à la tête d’une communauté religieuse portait un titre qui n’était pas sans évoquer une certaine forme de pouvoir : le « supérieur » d’une congrégation, par exemple…François n’a rien voulu de tel pour ses frères. Dès qu’il a fallu structurer et organiser la vie de l’Ordre, il s’est démarqué de cette conception d’un pouvoir très hiérarchisé, et parfois sans partage, au sein même de l’Église. Pour celui qui aura la responsabilité de ses frères, François a retenu le titre de « ministre », c’est-à-dire de « serviteur » : « Sur aucun homme, mais surtout sur aucun autre frère, nul frère ne se prévaudra jamais d’aucun pouvoir de domination. Comme dit le Seigneur dans l’Évangile, les princes des nations leur commandent, et les grands des peuples exercent le pouvoir ; mais il n’en sera pas de même parmi les frères : qui voudra être le plus grand parmi eux sera leur ministre et serviteur, et le plus grand parmi eux sera comme le plus petit. » (1 Reg 5, 9-12)
Pour François, exercer son « autorité », terme qu’il utilise plus volontiers, ne peut se faire que dans un esprit de service, qui se vit dans l’humilité et la minorité.
Le Christ qu’il se plaît à contempler est un Christ humble et pauvre de cœur qui s’est abaissé pour nous rejoindre dans notre condition humaine et nous révéler l’amour du Père, un Père dont il s’est fait le serviteur obéissant jusqu’à la mort, comme nous le rappelle Paul quand il exhorte les Philippiens à faire régner entre eux humilité et service, à l’exemple de Jésus : « n’accordez rien à l’esprit de parti, rien à la vaine gloire, mais que chacun, par l’humilité, estime les autres supérieurs à soi ; ne recherchez pas chacun vos propres intérêts, mais plutôt que chacun songe à ceux des autres. Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus : lui de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes. S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix ! » (Ph 2, 3-8)
Observer le Saint Évangile et suivre les traces du Seigneur Jésus Christ, telle est la Règle de François pour lui et pour ses frères, à qui il confère l’appellation de « mineurs » : les plus petits parmi les hommes, les humbles serviteurs de tous. « On ne donnera à aucun frère le titre de prieur, mais à tous, indistinctement celui de frères mineurs. Ils se laveront les pieds les uns aux autres. » (1 Reg 6,3)
Le lavement des pieds, geste d’amour et d’humilité que Jésus accomplit en s’abaissant, lui le Maître, pour prendre la condition de serviteur, va inspirer à François sa conception de l’autorité, dans un esprit de service et de minorité. « Vous m’appelez le « Maître et le Seigneur » et vous dites bien, car je le suis. Dès lors si je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; car c’est un exemple que je vous ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi. » (Jn 13, 13-15)
Certains textes nous décrivent l’empressement des frères à vivre de cet esprit : « Enracinés dans la charité et l’humilité et fondés sur elles, chacun révérait l’autre comme son maître et seigneur. Et ceux que signalaient leur fonction ou leurs capacités, se reconnaissaient à leur plus grande humilité et leur souci de toujours prendre la dernière place. » (AP 26b)
Et pour ceux qui s’en écartent, François ne manque pas de le leur rappeler, quitte à être cinglant : « Malheur au religieux qui, appelé à de hautes fonctions, refuse ensuite d’en descendre de son plein gré. Heureux le serviteur qui, appelé malgré lui, à de hautes fonctions, n’a d’autre ambition que de servir les autres et de s’abaisser sous leurs pieds. » (Adm 20, 3-4)
Il va même plus loin : non seulement il demande à ses frères de se faire les plus petits, les minores, de se considérer comme des serviteurs inutiles, mais il leur demande également d’être soumis à toute créature : « Jamais nous ne devons désirer d’être au-dessus des autres ; mais nous devons plutôt être les serviteurs et les sujets de toute créature humaine à cause de Dieu. » (1 Let 47)
Il se montre également très circonspect vis-à-vis des frères trop férus d’études et de science car il sait pertinemment que le savoir peut éloigner du service des frères et peut aussi donner un réel pouvoir sur autrui : « La science, disait-il, rend difficile l’obéissance ; elle entretient une certaine raideur qui refuse de se plier aux exercices d’humilité. » (2 Cel 194) « Négliger la vertu pour courir après la science était un spectacle qui lui causait beaucoup de peine, surtout de la part de ceux qui cherchaient ainsi à éluder la vocation dans laquelle ils avaient d’abord été appelés…Mes frères que travaille un appétit excessif pour la science, disait-il, se trouveront les mains vides au grand jour du rendement des comptes…Il ne disait pas cela pour détourner de l’étude de l’Écriture Sainte, mais pour leur éviter à tous une passion immodérée de la science et, pour certains, il aurait aimé les voir vraiment généreux plutôt qu’à demi érudits » (2 Cel 195)
François n’était pas quelqu’un de faible et de mièvre, comme certaines représentations pourraient nous le laisser imaginer, il avait un fort tempérament et des propos parfois très durs. C’est un long processus de conversion qui l’a conduit à renoncer à tout ce qui peut s’apparenter au pouvoir et à la domination, pour suivre le chemin de la désappropriation : se détacher de tout bien, se libérer de toute forme de possession, se dépouiller totalement jusqu’à délaisser sa volonté propre pour mieux s’abandonner à celle du Seigneur (en consentant, par exemple, à remettre l’avenir de l’Ordre entre les mains de Dieu…). Et il encourage ses frères sur cette voie : « Mais nous, nous avons rompu avec le monde ; nous n’avons plus rien d’autre à faire que de nous appliquer à suivre la volonté du Seigneur et à lui plaire. » (1 Reg 22, 9)
Exercer l’autorité reçue en se faisant l’humble serviteur de tous, en écartant toute tentation ou volonté de domination et en se conformant à l’exemple du Christ, lui le Serviteur par excellence, voilà ce que François nous enseigne à travers sa vie et ses écrits.
« Dieu tout puissant, éternel, juste et bon, par nous-mêmes nous ne sommes que pauvreté ; mais toi, à cause de toi-même, donne-nous de faire ce que nous savons que tu veux, et de vouloir toujours ce qui te plaît ; ainsi nous deviendrons capables, intérieurement, purifiés, illuminés et embrasés par le feu du Saint-Esprit, de suivre les traces de ton Fils notre Seigneur Jésus-Christ. » (3 Let 50-51)
P. Clamens-Zalay