Du fait de son étrangeté et de son hermétisme, elle a suscité des interprétations très variées :
1. Les interprétations « historicisantes » : l’Apocalypse viserait des faits de l’histoire :
Pour certains, elle prédirait le déroulement de toute l’histoire de l’Eglise, depuis Jésus jusqu’à la fin du monde. – … mais personne ne s’entend sur les époques ni les dates, en particulier celle de la fin du monde.
Pour un exégète contemporain, il s’agirait de la description symbolique de l’Ancienne Alliance seulement, jusqu’à la Résurrection-Ascension du Christ (E. Corsini).
Pour les « millénaristes », qui prennent 20, 1-6 au pied de la lettre, il faudrait envisager très réelle¬ment une seconde venue du Christ sur la terre, qui durerait 1.000 ans, avant que n’arrive la fin du monde. … mais ces 1.000 ans ne sont-ils pas le symbole du temps de l’Eglise ici-bas avant le retour du Christ ?
Pour d’autres (Renan par ex.), l’Apocalypse ne ferait allusion qu’aux événements politiques contemporains de Jean, c.-à-d. à l’histoire romaine de Néron à Domitien (de 64 à 96). L’allusion fréquente aux « derniers temps » s’expliquerait par le fait que Jean se figurait la fin du monde comme toute proche. – … mais puisque Jean voit sans cesse aux prises Satan et Dieu, cela ne vaut-il pas pour toute période de l’histoire ?
2. Les interprétations « eschatologiques » : c.-à-d. qui misent uniquement sur la fin de l’histoire, sur les « derniers temps » (eschata en grec = derniers) :
Pour les « fondamentalistes », ceux qui prennent toute l’Ecriture au pied de la lettre, les bouleversements cosmiques décrits dans l’Apocalypse sont le scénario exact de ce que sera la fin du monde !
Pour les autres « eschatologues » et presque toute l’ancienne tradition, l’Apocalypse ne nous parlerait effectivement que des « derniers temps », mais sous une forme purement symbolique.
3. L’interprétation qu’on pourrait appeler « globalisante » – La plupart des exégètes actuels pensent que Jean, tout en visant les persécutions de Néron et de Domitien, les inscrit toutefois dans un cadre bien plus large. Un peu comme le photographe qui règle son appareil photo de façon à disposer d’une bonne « profondeur de champ », c.-à-d. qui lui permette d’avoir une image nette aussi bien de près que de loin. Donc Jean viserait le passé, le présent et l’avenir.
D’abord, avant de s’en prendre à la Rome impie et persécutrice, et de proclamer la ruine finale du paganisme romain (ch. 12 à 20), Jean commence par évoquer le passage du judaïsme au christianisme (ch. 3 à 11). La persécution par Rome étant la suite logique du manque de foi d’Israël qui avait éliminé Jésus.
Ensuite il est notable que l’Apocalypse fournit un esprit et des données valables pour toute époque, afin de signifier le combat éternel de Satan contre Dieu et contre son peuple, 1’Eglise.
Enfin, tout l’esprit de l’Apocalypse consiste à fonder l’espérance chrétienne sur le Retour et la victoire finale du Christ : » Un jour Jésus reviendra vaincre pour nous la mort » (Christian Ducoq op)
Prière d’offrande totale, attribuée à Saint François
Seigneur, je t’en prie, que la force brûlante et douce de ton amour prenne possession de mon âme et l’arrache à tout ce qui est sous le ciel, afin que je meure par amour de ton amour, comme tu as daigné mourir par amour de mon amour.
La chambre de Mariana, un livre d’Aharon Appelfeld
Aharon Appelfed, La Chambre de Mariana, Paris, Points Seuil, 320 p., 7€20.
Comme nombre de rescapés de la Shoah,Aharon Appelfeld se demande pourquoi lui a vécu, et pourquoi tant d’autres ont disparu. Cette question obsédante guide sa plume pour écrire ce qu’il qualifie de « saga de la tristesse juive ».
Traqués par les Allemands et leurs supplétifs locaux, les juifs tentèrent de sauver leurs enfants, sollicitèrent en urgence des amis, des proches, parfois même des anonymes ; ceux qu’au sens biblique on nomma par la suite des « Justes ». Sauvé par l’amour infini que lui vouèrent ses parents partis pour toujours lors de l’abominable « solution finale », il conte dans un émouvant roman ses souvenirs d’orphelin âgé de 11 ans. Caché dans une maison close par Mariana, une prostituée alcoolique amie d’école de sa maman ; dissimulé dans un cagibi attenant à la chambre de la jeune femme, il découvre les réalités de la vie à un âge qui aurait dû le préserver des turpitudes humaines. Dans son refuge dépourvu de fenêtre et de chauffage, il entend les bruits, les cris, les soupirs lorsque Mariana reçoit des clients dont certains sont allemands. L’enfant prend conscience de ce qui se trame à l’extérieur comme à l’intérieur et vit dans l’angoisse d’être découvert. Assailli par l’ennui il cultive son imagination, se réfugie dans le rêve et l’onirisme. Il est capable de faire apparaître ses parents, ses amis ou les gens de sa famille. Pourtant, malgré le froid, la faim, la peur et le désœuvrement, il y eut de l’amour dans l’aventure que vécut ce petit garçon que Appelfeld nomme Hugo. Parfois laissé à la bienveillance de « collègues » de Mariana, Hugo connaît l’angoisse de l’abandon et la crainte de la dénonciation. Pourtant, la prostituée au grand cœur demeure fidèle.
Lorsque la défaite du « Reich millénaire » approcha, l’arrivée de l’Armée rouge déclencha un vent de panique dans l’établissement de plaisir menacé par d’éventuelles représailles. Fuyant la ville, les pensionnaires et Hugo errèrent dans les forêts jusqu’au dénouement.
Enfant d’un ghetto de Bukovine[1], Aharon Appelfeld affronta l’assassinat de sa mère et la déportation de son père ; parvenant à s’enfuir du camp dans lequel il fut déporté, il survécut dans la forêt jusqu’à la fin de la guerre. Il puise en partie dans son histoire personnelle l’inspiration, la trame de ce roman émouvant qui aurait pu s’appeler « Le Journal d’Hugo ». Un style attachant, une prostituée blessée mais généreuse, un adolescent reclus qui a soif de vivre et une relation ambigüe voire malsaine qui peut laisser un goût amer.
La Chambre de Mariana ; c’est bien sûr la Shoah mais c’est aussi l’antisémitisme de nombre de peuples d’Europe de l’Est baignés dans un christianisme superstitieux et intransigeant. Du reste, les nazis trouvèrent dans les territoires de l’Est des collaborateurs zélés sans lesquels les déportations eurent été beaucoup moins « efficaces ». Dans son cagibi, Hugo s’éveille à la sexualité, prend conscience de son identité juive et de la mission qui est la sienne. À l’instar de nombre de ses coreligionnaires, l’auteur relit sans cesse l’histoire d’un traumatisme[2] qui se transmet souvent en héritage[3]. L’incertitude des survivants qui rencontrèrent beaucoup de difficulté à relater leur expérience tant sa nature extrême rendit problématique sa transmission. Existe-t-il des mots pour dire ? Comment utiliser une langue ordinaire pour raconter une expérience extraordinaire ? Demeurent les traces matérielles et les témoignages. Or, la force de La Chambre de Mariana est de livrer un roman au style accessible qui offre un témoignage qui n’en est pas rigoureusement un.
Érik Lambert.
[1] Ancienne région de l’Ouest de l’Ukraine actuelle, débordant sur le Nord de Roumanie. Le nom de la Bukovine est d’origine slave et signifie « pays desforêts de hêtres« . Son histoire se confond avec celle de la Moldavie. Suite à la débâcle française, la Roumanie entra dans l’orbite de l’Allemagne nazie. Dès juin 1940, l’URSS exigea que la Roumanie cédât immédiatement la Bessarabie et la Bucovine du Nord, faute de quoi l’Armée rouge interviendrait. Le roi Carol II fut contraint d’accepter. L’URSS occupa ces territoires et lors de la retraite des forces roumaines les soldats roumains frustrés et incapables de combattre l’ennemi commencèrent à arrêter et à exécuter des Juifs accusés de constituer une « cinquième colonne communiste ». Un important pogrom engagea le début de la « guerre sainte » de la Roumanie contre la prétendue menace du « judéo-bolchevisme ». La Roumanie rejoignit l’Allemagne lors de l’opération Barbarossa et dans les derniers jours de juin 1941, le dictateur roumain Ion Antonescu considéra que les Juifs n’étaient plus protégés par la loi. L’un des ordres de ce gouvernement soumettait les Juifs à la loi martiale et leur interdisait de quitter leur domicile entre 6 heures du soir et 6 heures du matin. Mihai Antonescu (homonyme) s’exprima dans le même esprit, soulignant en particulier son intention de rejeter toute objection humanitaire traditionnelle à l’ « émigration » forcée des Juifs de Bessarabie et de Bucovine. Il déclara à ses auditeurs : « Il m’est indifférent que l’Histoire nous considère comme des barbares. L’Empire romain s’est livré à des actes que la mentalité contemporaine considère comme barbares et il n’en a pas moins légué le plus grandiose des systèmes politiques. Il n’existe pas dans notre histoire de moment plus favorable […] ; « débarrassez les villages de tous les Juifs ». [2] Il faut aussi lire le livre d’Appenfeld, Histoire d’une vie, éd. L’Olivier (2005), 240 p., 19,80 €. [3] H.Epstein, Le Traumatisme en héritage, Folio essai.
Tendresse de l’espace, un livre d’Assunta Genovesioet une expo
Tandis que la peinture contemporaine officielle tend à se perdre dans l’abstraction de l’inexistant ou à s’effilocher dans des modes plus dictées par les appétits du marché que par la recherche esthétique, des peintres plus indépendants et donc plus discrets renouent en ce premier quart du XXIè siècle avec la longue tradition figurative, sans renier pour autant les évolutions des deux siècles précédents. Peut-être l’histoire de l’Art future regroupera-t-elle ces artistes en un mouvement à contre-courant qu’on ne pourra en aucune façon qualifier de réactionnaire tant cette peinture rénovatrice éclate de généreuse actualité.
Assunta Genovesio peint dans ce « mouvement », et sa forte personnalité artistique pourrait même en faire une des figures de proue tant elle assume — Assunta signifie assomption — et utilise avec une joyeuse et fougueuse liberté le savoir-faire unifié de son héritage classique et moderne. Vous pouvez la découvrir, et avec un peu de chance la rencontrer, à la galerie Prodromus (46, rue Saint-Sébastien, Paris XI) qui expose ses œuvres jusqu’au 12 novembre à l’occasion de la sortie du livre « Tendresse de l’espace » consacré à sa peinture aux éditions Conférence. Paysages, natures mortes, nus, portraits… le pinceau d’Assunta Genovesio épouse la caresse de la lumière sur les contours des choses et des corps pour en révéler comme de l’intérieur les formes, les couleurs et la vie. C’est pourquoi l’on peut légitimement parler de tendresse, mais également et de manière tout aussi évidente, d’une vigoureuse présence charnelle qui semble parfaitement spontanée alors qu’elle est savamment restituée par la précision de la composition et l’équilibre des valeurs, si bien que plus qu’un motif, c’est une forme de vie, de vie vécue, qui apparaît sur la toile. Assunta Genovesio peint la réalité prise « sur le vif », dans la grande diversité des sujets qu’elle lui propose et qu’elle recueille par tous les moyens techniques (huile, gouache, estampe, fusain…) sans les partis pris répétitifs dans lesquels s’enferment parfois ses confrères trop soucieux d’affirmer leur « style ». Celui d’Assunta se passe d’artifices, il est naturel, sincère, comme s’il n’y avait aucune distance entre sa manière de peindre et sa manière de voir et de vivre, de telle sorte que l’énergie qui surgit de ses toiles convoque immédiatement nos sens, nos émotions et notre mémoire, jusqu’à nos souvenirs d’enfance comme le suggère Bruno Roza, l’un des auteurs du livre avec Arnaud Clément qui signe un passionnant entretien avec l’artiste.
Tendresse, vigueur, liberté et attention au monde sont les caractéristiques esthétiques et humaines qui caractérisent l’art d’Assunta Genovesio dont nous partageons devant ses tableaux « le plaisir sensuel de la peinture » et le ravissement devant le spectacle des êtres et des choses, leur vie secrète, la profondeur lumineuse de leur palpitation.
Les déclarations du pape François lors de sa récente visite à Marseille ont suscité des réactions violemment hostiles de la part de personnalités des milieux nationalistes, ultraréactionnaires ou ultralibéraux. Il n’aurait pas à se mêler de politique, cet Argentin ne comprendrait rien à l’offensive islamique que subirait l’Europe, il aurait transformé le Vatican en ONG pro-migrants, etc., le tout saupoudré de noms d’oiseau : immigrationniste ; vicaire de la gauche ; humaniste athée ; islamo-gauchiste ; communiste… Ce n’est pas la première fois que les propos du pape sur des questions de société, de politique ou d’économie soulèvent l’opposition haineuse de ces milieux. On ne peut leur dénier le droit de s’exprimer. C’est tout autre chose en revanche qu’ils se proclament les garants de la foi et qu’au nom de sa défense, leurs partis pris idéologiques soient reçus favorablement par une part non négligeable des catholiques. Car le pape François ne fait rien d’autre, en toutes circonstances et à tout propos, qu’annoncer l’Évangile à ceux qui l’auraient méconnu, oublié ou dévoyé. C’est fidèle à cette mission qu’il s’est exprimé à Marseille — la plus ancienne ville de France, fondée par des « migrants » phocéens venus de l’actuelle Turquie il y a 2600 ans —, l’un des principaux ports qui ouvrent l’Europe à la rive africaine de la Méditerranée.
La question migratoire agite beaucoup de peurs qui génèrent un grand trouble dans les consciences, notamment celle des catholiques souvent déchirée, c’est pourquoi il était urgent que le pape rappelle tous et chacun à l’essentiel de la charité, à ne pas s’abandonner aux « passions tristes », au cynisme désenchanté par « le sécularisme mondain et par une certaine indifférence religieuse ». Notre confort — pour ceux qui en jouissent — ne peut faire oublier la misère qui règne dans l’Afrique dont le capitalisme colonial pilla les richesses et les pille encore par la corruption, ni les conflits terriblement sanglants occultés par la guerre en Ukraine, ni la pression démographique intenable que le changement climatique y aggrave déjà dramatiquement. Beaucoup, détournant le regard des milliers de noyés sans visage, redoutent plus ou moins consciemment le jour où la Méditerranée ne retiendra plus le déferlement de la détresse africaine sur nos côtes. Ce serait la fin de notre civilisation, et même, pour les plus aveuglés par l’ignorance : la fin de notre « race ». Cette angoisse insidieuse exacerbe les impatiences, les tensions qui peuvent naître dans la cohabitation sur notre sol de populations également attachées à leurs traditions, à leur langue, à leurs usages, à leur religion : les Français de souche qui se sentent envahis, dépossédés, les immigrés qui se sentent exploités, méprisés, frustrés dans leur « désir d’Occident » trompeusement suscité par la publicité, le cinéma, les réseaux sociaux où la honte fait mentir aux familiers sur les tristes conditions de la vie d’émigré. Ces crispations sont indéniables ; pour autant, le peuple français dans sa belle diversité reste accueillant et les nouveaux arrivants se montrent très majoritairement respectueux de l’hospitalité, comme le montre la forte proportion de mariages métissés et la réalité harmonieuse des relations de travail et de vie quotidienne, contrairement à l’image propagée par les médias qui promeuvent la très états-uniennes conception foncièrement raciste de « communautés » antagonistes. C’est contre cette vision que le pape François appelle à lutter, à se rebeller avec la force de l’amour du prochain, en rappelant que nous n’appartenons tous qu’à une seule communauté de frères humains. Angélisme illusoire, diront ceux qui dans leur individualisme paranoïaque se pensent « nous contre les autres ». Mais la réalité humaine est tout autre : il n’y a pas nous et les autres, mais toi et moi, un et un dans la vérité de la rencontre, avec nos ressemblances et nos différences qui nous font dire, d’où que l’on vienne et où que l’on arrive : « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli ». Nous sommes tous à la fois chez nous et étrangers partout en ce monde dans l’attente du Royaume, et du Jugement : « Ce que vous avez fait au plus petit, c’est à moi que vous l’avez fait » nous avertit amoureusement Jésus.
Écoutons le pape François dans son homélie au stade Vélodrome : « Dieu est relation et souvent il nous rend visite à travers des rencontres humaines, quand nous savons nous ouvrir à l’autre, quand il y a un tressaillement pour la vie de ceux qui passent chaque jour à nos côtés et quand notre coeur ne reste pas impassible et insensible devant les blessures de ceux qui sont les plus fragiles. » Inspiré par la Bonne Mère, il s’arrête longuement sur le « tressaillement de la foi » qu’il nous invite à vivre dans toute rencontre, à l’imitation du fils d’Elisabeth dansant de joie dans son ventre à l’approche de celui en qui il reconnaît le Christ dans le ventre de Marie. L’embrassade de la jeune Vierge et de la vieille femme stérile nous reste alors comme une image de la réunion des deux continents dans l’espérance et la charité pour l’avenir de l’humanité fraternelle, le seul possible contre l’impossible.
On peut être peu sensible aux miracles et peu enclin au mysticisme tout en étant bousculé par certains phénomènes inexplicables. On peut être rétif à la vénération, être résolument méfiant voire hostile aux pratiques mercantiles, mais interpellé par les miracles, manifestation de Dieu révélant sa présence par un acte étrange qui ne semble pas pouvoir être expliqué scientifiquement. On peut être dubitatif, moqueur, mais tout de même intrigué par ces foules attirées par le saint capucin de San Giovanni Rotondo. Le pape François lui-même se rendit en mars 2018 sur les terres de Padre Pio. Il y avait alors 50 ans que le saint considéré comme le plus populaire d’Italie était mort et cent ans qu’étaient apparus les stigmates de la Passion du Christ sur ses mains, ses pieds et sa poitrine. Le souverain pontife célébra la messe face au sanctuaire devant 40 000 fidèles. Mais qui était ce personnage tant vénéré ?
Ce fut à l’ouest de la chaîne des Apennins en ses terres fertiles couvertes de vignobles, d’oliviers, d’orangers et de citronniers, à l’ombre du tempétueux Vésuve, que naquit Francesco Forgione le 25 mai 1887 en la petite cité béneventane de Pietrelcina. Dans cette partie méridionale de l’Italie qui borde la baie de Naples, Grazio et Maria Giuseppa baptisèrent dès le lendemain de sa naissance leur enfant, comme cela se pratiquait souvent à l’époque. Le petit Francesco, très pieux, de santé fragile, se rendait à l’église le matin et le soir afin de prier. Un de ses directeurs spirituels affirma que le jeune Francesco était confronté à des expériences mystiques dès l’âge de 5 ans. En toute naïveté, le petit garçon pensait que tous les autres enfants recevaient des grâces similaires. Certains racontaient qu’il s’était consacré à Dieu dès l’âge de 5 ans et que Jésus lui était apparu sur l’autel de l’église de sa paroisse et avait posé la main sur sa tête. Francesco fit sa première communion à l’âge de 12 ans et sa confirmation un an plus tard. Il était issu d’une famille paysanne pauvre et ses parents ne savaient ni lire ni écrire. Pourtant, ils formaient de grands espoirs et espéraient que leur fils devînt prêtre. Or, petit garçon, Pio confia à ses parents son désir de devenir religieux. Ceux-ci demandèrent alors aux frères capucins du monastère le plus proche de l’accepter. À cette époque, Pio n’avait été à l’école publique que pendant trois ans et les frères répondirent qu’il devait attendre encore avant d’être admis.
Confiant en la vocation de son fils, son père souhaita lui offrir une éducation de qualité qui nécessitait qu’il gagnât plus d’argent. Il décida donc de partir pour l’Amérique travaillant en Jamaïque et à New York. Ainsi, put-il envoyer de l’argent en Italie pour que Francesco pût bénéficier d’un professeur particulier ce qui permit que le 6 janvier 1903 à l’âge de seize ans à l’adolescent d’entrer au noviciat de l’Ordre des Frères Mineurs Capucins à Morcone. Ce fut en ce lieu que, le 22 du même mois, il revêtit l’habit franciscain et prit le nom de Frère Pio. Une fois achevée l’année du noviciat, il fit profession en émettant les vœux simples et, le 27 janvier 1907, les vœux solennels, …
« Vous pouvez avoir des défauts, être anxieux et même être en colère, mais n’oubliez pas que votre vie est la plus grande entreprise du monde. Vous seul pouvez l’empêcher d’échouer. Vous êtes apprécié, admiré et aimé par tant de gens. Rappelez-vous qu’être heureux ce n’est pas avoir un ciel sans orage, une route sans accident, un travail sans effort, une relation sans déceptions. « Être heureux signifie trouver la force dans le pardon, l’espoir dans les batailles, la sécurité dans la peur, l’amour dans la discorde. Ce n’est pas seulement pour profiter du sourire, mais aussi pour réfléchir à la tristesse. Il ne s’agit pas seulement de célébrer le succès, mais d’apprendre des échecs. Il ne s’agit pas seulement de se sentir heureux avec des applaudissements, c’est d’être heureux en anonyme. Être heureux n’est pas une fatalité du destin, mais un exploit pour ceux qui peuvent voyager en eux-mêmes. « Être heureux, c’est arrêter de se sentir victime et devenir l’auteur de son propre destin. » C’est marcher à travers les déserts, mais être capable de trouver une oasis au fond de l’âme. C’est remercier Dieu chaque matin pour le miracle de la vie. Être heureux, c’est ne pas avoir peur de ses sentiments et pouvoir parler de soi. Ayez le courage d’entendre un « non » et de trouver confiance dans la critique, même quand c’est injustifié. C’est embrasser ses enfants, câliner ses parents, passer des moments poétiques avec ses amis, même quand ils nous font du mal. « Être heureux, c’est laisser vivre la créature qui vit en chacun de nous, libre, joyeuse et simple. Vous avez la maturité de pouvoir dire : » j’ai fait des erreurs ». C’est avoir le courage de dire que je suis désolé. C’est avoir le sens de dire « j’ai besoin de toi ». C’est avoir la capacité de dire « je t’aime ». Que votre vie devienne un jardin d’opportunités de bonheur… qu’au printemps il soit un amoureux de la joie et en hiver un amoureux de la sagesse. « Et quand vous faites une erreur, recommencez à zéro. Parce que seulement alors tu seras amoureux de la vie. Vous découvrirez qu’être heureux ce n’est pas avoir une vie parfaite. Mais utiliser les larmes pour irriguer la tolérance. Utilisez vos défaites pour entraîner votre patience. « Utilisez vos erreurs avec la sérénité du sculpteur. Utilisez la douleur pour vous connecter au plaisir. Utilisez les obstacles pour ouvrir les fenêtres de l’intelligence. Ne jamais abandonner… Surtout n’abandonne jamais les gens qui t’aiment. N’abandonnez jamais d’être heureux, car la vie est un spectacle incroyable. « .
Après avoir vu comment François appelait ses frères à exercer leur autorité au sein de l’Ordre, en particulier les ministres, nous avons, nous aussi, à nous interroger sur la manière dont nous vivons nos responsabilités. Quel que soit le domaine dans lequel elles se situent – familial, professionnel, sociétal, mais aussi associatif ou religieux – elles peuvent aisément devenir lieu de pouvoir et d’abus de toutes sortes. Dans notre famille, notre autorité parentale fait-elle place à l’écoute et au dialogue ? Vise-t-elle à accompagner l’enfant, à le guider au mieux dans son apprentissage de la liberté, pour qu’il puisse grandir et s’épanouir pleinement ? La tentation est grande, parfois, de lui imposer des schémas et des choix de vie qui ne sont pas les siens et qui peuvent être source de souffrances. Dans notre milieu professionnel, sommes-nous des concurrents acharnés, dans une logique de réussite à tout prix, et donc prêts à écraser l’autre pour avoir le dessus ? Savons-nous travailler en équipe et déléguer les tâches, sommes-nous capables d’accepter des points de vue divergents, ou bien est-ce le « petit chef » qui sommeille en chacun de nous qui l’emporte ? Dans nos engagements, vivons-nous la charge que nous exerçons, à titre bénévole, comme un appel et un service pour la communauté, comme une mission pour laquelle nous sommes mandatés et qui peut s’interrompre à tout moment ? Ou avons-nous, peut-être malgré nous, le sentiment d’être indispensables, et donc irremplaçables ? Les différentes responsabilités que nous avons à assumer tout au long de notre existence nous sont confiées et elles nous confèrent une forme de pouvoir dont nous ne sommes ni l’origine, ni la fin. Pour les vivre dans « un esprit chrétien de service » (Projet de Vie 14), il nous faut, tout d’abord, rechercher la volonté de Dieu, et donc prendre le temps de la prière, afin de mieux discerner, accueillir et faire nôtre cette volonté divine : « Que rien ne se fasse sans ton avis, et toi non plus, ne fais rien sans Dieu » (Saint Ignace d’Antioche, Lettre à Polycarpe). C’est ainsi que nous pouvons être amenés, par exemple, à accepter une charge que nous n’aurions pas envisagée ou souhaitée de nous-même. Il nous faut, également, ne jamais oublier que ces responsabilités nous sont données pour un temps défini, et il est primordial qu’il en soit ainsi afin que nous ne soyons pas tentés de nous les approprier de manière définitive. Sinon, notre autorité risque fort de se transformer en pouvoir, avec toutes les dérives que nous connaissons. En avoir conscience dès le départ peut nous aider à garder suffisamment de distance pour vivre cette autorité dans la sérénité et le détachement, nous démarquant ainsi de la société actuelle qui nous pousse, tout au contraire, à la personnalisation à outrance… Ce faisant, il nous devient alors plus facile de partager cette autorité et de mettre en chemin ceux et celles qui pourront à leur tour l’exercer. François se plait à rappeler que le ministre de l’Ordre est le serviteur de ses frères, le cardinal Franc Rodé, préfet de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, utilise, lui, cette belle expression : « le service de l’autorité » (Faciem tuam, Domine, requiram, 11 mai 2008). L’autorité en soi n’est pas un mal, elle est même nécessaire dans la vie d’un groupe, mais elle doit avoir le souci du bien commun et, par conséquent, être animée par l’esprit de service. Et si nous voulons réellement que notre autorité se fasse service, il nous faut impérativement changer de mœurs et convertir notre mode de gouvernance… Prendre le temps d’écouter, alors même que nous avons souvent à agir dans l’urgence ; créer un climat de confiance qui privilégie le dialogue, autorise le débat et ne craint pas la contradiction. Apprendre à respecter le rythme de chacun, à discerner les qualités et à promouvoir les talents des uns et des autres. S’appliquer à se montrer le plus juste et le plus équitable possible. Savoir affronter les tensions inévitables, voire les conflits, sans les ignorer ou les minimiser, en s’efforçant de les résoudre collectivement, dans un climat qui se voudra apaisé. Faire preuve de patience, de bienveillance, mais être aussi capable de fermeté lorsqu’une décision doit être prise, car l’autorité, pour être utile et efficace, ne se satisfait pas des éternels atermoiements. Enfin, l’exercice de l’autorité, même lorsqu’il se veut au service des autres, peut être en butte aux incompréhensions et générer peu à peu le doute, le découragement et conduire à une certaine forme d’isolement. S’il faut, à un moment ou à un autre, en passer par un examen humble et honnête de la situation et par une éventuelle remise en question, il est avant tout indispensable de pouvoir conserver la paix de l’âme…Seule la prière peut nous guider sur ce chemin de l’amour du Père, un amour fidèle et miséricordieux en toutes circonstances. Notre Projet de Vie précise qu’une charge de ministre ou de responsable « est temporaire et est un service de disponibilité et de responsabilité à l’égard de la Fraternité et de chacun de ses membres » (PDV 21). Loin de vouloir nous approprier une charge, et encore moins d’en tirer profit, ayons à cœur le service de l’autorité et appliquons-nous à le vivre comme François et ses frères, comme des « mineurs » : les plus petits et les serviteurs…
Les différences entre l’Apocalyptique et le Prophétisme
1_ Que veut dire « APOCALYPSE » ? Ce mot ne veut dire ni catastrophe ni épouvante, mais « dévoilement de quelque chose qui est caché et connu de DIEU seul » – « dévoilement » comme au théâtre lorsque le rideau se lève, ou lors d’un jour d’inauguration lorsqu’on dévoile une statue, une plaque Dans les temps de crise gravissime, lorsque la foi parait être submergée par le déchaînement des régimes totalitaires qui semblent sur le point d’interdire à jamais la réussite du Dessein de Dieu, les croyants brûlent de connaître la réponse à 2 questions :
1° Pourquoi la Résurrection du Christ, pourtant censée avoir inauguré le temps du Règne de Dieu, peut-elle être ainsi mise en échec ? Jésus n’a-t-il pas triomphé de toutes les puissances mauvaises ?
2° Comment tout cela finira-t-il ? L’Eglise ne va-t-elle pas disparaître ? Alors un « voyant » se lève, chargé par Dieu de ranimer le courage et de vaincre la désespérance des croyants écrasés , en leur rapportant ce qu’il a vu lorsque Dieu a écarté pour lui le voile qui cache la fin des temps, et donc la signification ultime du cours de l’histoire. Et qu’a-t-il vu ? Il a vu l’envers des événements, le « dessous des cartes ». Car le théâtre du monde a son correspondant là-haut sur .la grande Scène du Ciel. Si bien que sous le tragique des circonstances, notre voyant est le témoin du gigantesque combat entre les forces divines et les puissances du mal, et il en sait l’issue : • apparemment le satanisme totalitaire triomphe, mais il va s’effondrer sous peu ; • le Règne de Dieu est déjà là, malgré les apparences mortifères, car l’Esprit a été donné aux fidèles, et personne ne saurait leur arracher la vrai vie, la vie éternelle qui déjà les pénètre. D’ailleurs les chrétiens qui ont donné leur vie participent déjà au triomphe de 1’Agneau immolé.
2_ Un sens « populaire » qui a perdu son sens originel… – Si dans le langage courant « apocalypse » signifie « catastrophe et vision d’épouvante », on est fort loin du sens originel de « dévoilement ». Mais on comprend la dérive, car les descriptions de Jean ne font pas non plus dans la dentelle. Alors pourquoi ce scénario d’un tel gigantisme batailleur, alors que l’Evangile respire la paix et la miséricorde ? – C’est que l’Histoire elle-même est à ce moment-là d’un tragique presque insoutenable, tant la puissance totalitaire apparaît monstrueuse et invincible. Où se trouve donc la puissance de Dieu ? On le voit, la cause de la foi ne peut être qu’un combat au sommet, et l’enjeu ne peut être que colossal : c’est Dieu ou Satan. D’où la démesure littéraire, seule à la mesure d’un enjeu hors mesure.
3_ Un genre fort ancien – Jean va puiser à profusion dans une banque d’images traditionnelles du prophétisme de l’A.T. Il en fera le tissu conjonctif de son livre. — Dans l’A.T. : Isaïe ch. 6 et 24-27 (vers 593-591) – Ezéchiel (durant l’Exil, 587-538) : vision en 1-2 – Joël (vers 400) : ch. 2-4 – Zacharie (vers 300) : ch. 9-14 – et surtout Daniel (vers 167) : ch. 7 à 12. — Dans l’INTERTESTAMENT (abondante littérature juive et même chrétienne, juste avant et après JC) : deux « Apocalypses de BARUCH » – « Livre des secrets d’ENOCH » – « Assomption de MOÏSE » – « 4° livre d’ESDRAS », etc… — Dans le N.T. : Mt 24, 1-36 – Mc 13 – Lc 17, 22-37 ; 21, 5-33 – 1 Th 4, 13 ; 5, 1 et 2 Th 2, 1-12.
4_ « Apocalypse » et « prophétie » – Deux genres cousins (Jean s’intitule lui-même « prophète »), mais il y a quelques nuances : 1)- Contrairement à une idée reçue, le prophète ne parle pas avant tout du futur mais du présent : il est le « haut-parleur » de Dieu qui rappelle sans cesse 1′ »aujourd’hui » de l’Alliance qui se joue dans les circonstances du moment, même s’il lui arrive d’évoquer le futur radieux ou menaçant. Il est essentiellement un « exhortateur ». Mais quand humainement tout semble désespéré, l’espérance ne se nourrit plus seulement de promesses, elle cherche à « voir » la fin. Alors l’auteur d’Apocalypse prend le relais du prophète pour dévoiler le futur. Au fond il se spécialise en « prophète de la fin des temps ». – Ex. dans 1’Apocalypse, les ch. 2-3 (Lettres aux Eglises) relèvent de la prophétie. Tout le reste, 4 à 22, est du genre apocalyptique. 2)- Autre nuance, la prophétie s’adresse à l’oreille : il faut « écouter » la Parole de Dieu, c’est-à- dire « obéir ». L’apocalypse, elle, s’adresse à l’œil : elle nous en met plein la vue, par un scénario grandiose.
« Seigneur, daignez jeter un regard de miséricorde sur votre Église, attaquée plus que jamais et que ses ennemis s’efforcent d’ébranler en l’arrachant à ses bases, en la séparant de la foi de saint Pierre et de ses successeurs. Ne permettez pas que nous nous séparions de ce centre d’unité, que nous affrontions la tempête sur une autre barque que sur celle de Pierre, que nous bâtissions l’édifice de notre salut sur un autre rocher que sur celui où vous avez élevé votre Église. »
Emmanuel d’Alzon (1810-1880), fondateur des Augustins de l’Assomption.
Éternel MUCHA : un artiste humaniste père de l’art nouveau
Grand Palais immersif, 110 rue de Lyon, 75012 Paris. Jusqu’au au 05/11/2023, Tarif : 20 € En savoir + 👉c’est ici
La Révolution industrielle contribua à dynamiser l’économie, le commerce et la vie culturelle. La presse, l’édition, le théâtre, les spectacles, les loisirs sollicitaient la publicité qui se développa spectaculairement. Les affiches publicitaires devinrent l’une des manifestations de l’expansion commerciale et furent souvent perçus comme des objets culturels et esthétiques. Les travaux haussmanniens en couvrant Paris de palissades offrirent des supports privilégiés aux affiches. L’urbanisation, l’expansion du monde ouvrier et de la bourgeoisie contribuèrent au débat afférent à la démocratisation de l’art et à l’embellissement des rues ; autant de facteurs propices au développement de l’affiche. C’est dans ce contexte que l’artiste-affichiste tchèque Alfons Mucha trouva la célébrité, celle d’une figure de l’Art nouveau parfois qualifié de « style nouille ». Ce style c’est celui des courbures élégantes, des arabesques de fleurs, de végétaux, de motifs naturels, de figures élancées de femmes sensuelles, idéalisées aux longues chevelures ondoyantes ; telles d’éthérées icônes byzantines apparaissant dans des nimbes oniriques. Végétaux, silhouettes et contours ornementaux sont de couleurs aux tons doux et pastel. Le Grand Palais Immersif, contigu à l’opéra Bastille, nourrit l’ambition de présenter l’univers singulier de « l’éternel Mucha » à la faveur de projections géantes en offrant parfois au visiteur l’opportunité de s’allonger confortablement afin de profiter des réalisations graphiques. Animations interactives, ambiance musicale et créations olfactives se découvrent au fil d’une flânerie en trois actes : l’affichiste, l’Exposition universelle de 1900 et l’affirmation des racines slaves de Mucha dans le contexte nationaliste généré par le crépuscule des grands empires continentaux. L’interactivité permet même de créer sa propre affiche en s’inspirant de l’artiste, de ses modèles et compositions florales et de s’adresser la création par voie électronique. Le premier acte est visuel. Il se déploie dans une pièce immense au plafond à hauteur démesurée, dotée d’un écran géant sur lequel apparaissent progressivement, à la faveur d’images de synthèse, un mélange d’affiches de publicité, de théâtre ; de notes biographiques et contextuelles. La célébrité de cet artiste survint avec l’affiche Gismonda, drame de Victorien Sardou au Théâtre de la Renaissance, avec la « Divine », la « voix d’or » Sarah Bernhardt. 4 000 affiches à placarder sur les murs de Paris. Tous les artistes de l’imprimeur étant alors en vacances, c’est le jeune Mucha auquel fut confiée la réalisation de la commande. Séduite par l’image d’une femme mystérieuse qui n’est pas seulement l’annonce d’une représentation théâtrale mais qui attire aussi le passant, la tragédienne devint sa muse. La diva lui offre un contrat de six ans, l’introduit dans le milieu du théâtre, dans les cercles mondains, et lui apporte la renommée. Mucha imagine un nouvel idéal féminin à la beauté en harmonie avec la nature, la chevelure cernée de traits noirs, s’échappe et se prolonge pour devenir à son tour un motif linéaire. La femme est omniprésente dans l’œuvre de Mucha y compris lorsqu’il abandonne les affiches pour se consacrer à la gloire des peuples slaves. Avec lui, l’affiche n’est plus description, elle devient un art à part entière. À la demande de l’Empereur François-Joseph, il est chargé de décorer le pavillon de la Bosnie-Herzégovine à l’Exposition Universelle de 1900. C’est l’événement mondial qui fit entrer à nouveau la France dans le concert des grandes puissances qu’elle avait quitté après le désastre de 1870. Bilan d’un siècle ou aurore de temps heureux ? Ce fut une manifestation de ce que l’on nomma avec une illusion nostalgique : la « Belle Époque ». Trottoir roulant à deux vitesses, grande roue, immense lunette astronomique, Jeux Olympiques d’été, métro parisien, exposition « nègre », fée électricité ; tant de « progrès » qui inspirent « l’Art nouveau ». Mucha, épris de liberté, initié, engagé dans le combat politique aspirant à l’émergence des nations, artiste philosophe et humaniste espérant un monde meilleur, sollicite son talent artistique pour défendre une cause qui lui est chère : celle des peuples slaves soulevant le joug austro-hongrois. La magnifique Épopée slave est composée de vingt gigantesques tableaux ; vision inspirée du symbolisme, mêlant réalisme et fantastique, avec la voix de Mucha qui résonne lors d’un discours en tchèque. Il appelle au respect de l’identité mais aussi des différences culturelles. Ce franc-maçon n’était pas pour autant insensible aux élans mystiques ; très impliqué dans le courant spiritualiste et la théosophie, il crée une version illustrée du Pater noster en 21 planches. Le parcours s’achève par une présentation de l’influence de l’esthétique Art nouveau sur certains artistes de rue, tatoueurs, créateurs de comics, d’affiches de concert, de pochettes de disques, de jeux vidéo, … En définitive, c’est un beau voyage dans les créations du pionnier de l’art de l’affiche, dans l’œuvre d’un homme de son temps. Des cinq sens aristotéliciens, seul le goût n’est pas sollicité par ce spectacle. Les inconditionnels de Mucha tel l’ancien tennisman Yvan Lendl, y trouveront leur compte mais force est d’estimer le « spectacle » comme un peu court et de déplorer l’absence d’œuvres originales. Le tarif de 20 euros paraît par ailleurs quelque peu excessif. Dès lors, pourquoi ne pas terminer cette pérégrination dans l’univers de l’artiste morave en portant ses pas jusqu’au musée Carnavalet, dont l’accès est gratuit, afin d’admirer la reconstitution de la splendide devanture de l’orfèvre et joaillier Georges Fouquet réalisée par Mucha ?
Érik Lambert.
Analyse de la déraison Un livre d’Augusto del Noce
Édition conférence, Format 16 x 22,5 cm, relié sous jaquette, 752 pages. 35.00 € Site de l’éditeur 👉 Par ici
Les catholiques regardent parfois la politique avec distance, méfiance, voire avec répugnance : certes, ce n’est pas d’elle qu’ils attendent le salut ni en elle que les vertus s’expriment le mieux. Mais les catholiques sont aussi des citoyens, auxquels leur exigence morale interdit de se désintéresser du sort commun. Ce livre propose des outils précieux à qui cherche à mener son activité politique selon les principes auxquels il s’applique à conformer sa conduite, ce qui exige le double effort de raison garder devant les injonctions progressistes comme de s’affranchir du soutien automatique à l’ordre établi, trop longtemps de règle dans l’Église.
« Analyse de la déraison » rassemble 71 articles rédigés de 1945 à la fin des Trente Glorieuses par Augusto del Noce (1910-1989), sénateur démocrate-chrétien dans ses dernières années et avant tout philosophe italien de premier ordre, méconnu en France comme presque toute la tradition philosophique transalpine pourtant d’une richesse et d’une qualité enviables. Regroupés en trois parties : « Adversaires et approfondissements » ; « Sur la question du divorce » ; « Analyse du langage politique – Christianisme et politique », chacun des articles présente une réflexion approfondie sur les causes et les conséquences de l’athéisation de la société, éclairée par une conceptualisation solide et nourrie de considérations historiques sur des phénomènes que l’auteur a vu se former, se développer et dont il pressentit l’actualité dont nous sommes aujourd’hui les témoins désemparés. La première partie constate la transformation de la société en « société permissive » — c’est-à-dire dépourvue d’autre principe directeur que celui de la recherche anarchique du bien-être immédiat — sous l’action conjuguée de forces hétérogènes et apparemment contradictoires : marxisme ; révolution sexuelle ; fascisme ; anti-fascisme ; surréalisme ; scientisme ; freudisme… Il n’y est plus perçu l’autorité, principe auquel Augusto del Noce consacre une passionnante étude en rappelant (par son étymologie augere) que l’autorité n’impose pas, mais accroît, fait grandir, et qu’elle se fonde sur la transcendance et non pas sur une quelconque hiérarchie sociale, surtout pas celle que domine une bourgeoisie capitaliste dont la vocation au progrès utilitariste préside à une involution que le philosophe de l’histoire fait remonter aux Lumières. Il montre en outre qu’une permissivité de cette sorte, loin de conduire à une quelconque libération, est la voie royale d’un nouveau totalitarisme : le « totalitarisme de la dissolution », entendons dissolution des valeurs. La deuxième partie traite de la question du référendum de 1974 pour ou contre l’abrogation de la loi sur le divorce, question tout italienne en apparence, mais qui donne un exemple très convaincant de la manière dont le pseudo-libéralisme cache l’installation du totalitarisme qui s’emploie à la dissolution des vertus traditionnelles considérées comme obstacle au progrès alors qu’au contraire elles structurent indispensablement la liberté. Mais si del Noce récuse cette sorte de progrès qui consiste d’abord à nier Dieu, il réprouve autant le conservatisme étroit qui tue toute dynamique de la tradition — ou transmission, du latin tradere — dont il est vital d’entretenir la dynamique d’actualité toujours renouvelée. Enfin, la troisième partie explore les termes et pratique de la politique tels qu’un chrétien peut les concevoir en conformité avec ses valeurs afin que celles-ci soient respectées pour le bien commun, en particulier le rejet absolu, au profit de la seule persuasion, de toutes violence et coercition. Del Noce invite à ne pas se laisser abuser par des oppositions dont le spectaculaire masque la réalité des pratiques et des intentions néfastes qui leur sont communes. Ainsi dans l’Italie encore (et toujours !) marquée par le fascisme et l’anti-fascisme discerne-t-il en ceux-ci des modes d’action et de pensée analogues, non pas avec la facilité de qui renvoie les adversaires dos à dos, mais en dénonçant leur commune erreur fondamentale : la négation de la transcendance dont le résultat, qu’il soit révolutionnaire ou réactionnaire, est tôt ou tard le totalitarisme, et c’est là un enseignement d’une inquiétante actualité pour nous : un totalitarisme nécessairement nouveau car jamais il n’apparaît sous la forme attendue.
Augusto del Noce n’est pas un homme d’opinion ; c’est un philosophe au travail avec une rigueur irréprochable, une culture d’une ouverture exceptionnelle et une hauteur de vue étonnamment exempte de préjugés d’où il examine idéologies et Histoire. Il fallait une solide raison pour analyser la déraison…Son éditeur et traducteur français, Christophe Carraud, choisit un titre parfaitement judicieux pour ce recueil d’articles qu’il a lui-même rassemblés, annotés, et dont chacun peut être lu pour lui-même avec grand profit. Que ces 752 pages ne dissuadent donc pas les bonnes volontés de cette lecture providentielle !