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Corentin Cloarec, Un franciscain en résistance.

1. Une jeunesse bretonne à l’aube du siècle des totalitarismes. 

En ces temps de campagnes électorales, l’Histoire est invitée par ceux qui exploitent les peurs, les rancœurs et l’ignorance pour servir leur logorrhée ; celle d’une France malade d’un passé qu’elle ne parvient pas à assumer. Or, les témoins disparaissent comme le déplorait récemment du haut de ses 99 ans Pierre Rolinet[1], ancien déporté au Struthof. Cette conjoncture encourage les « assassins de la mémoire », comme les qualifiait l’historien Pierre Vidal-Naquet[2], à revisiter l’Histoire à l’aune de falsifications et de mensonges. Invitant le roman national, conviant la nostalgie d’un passé imaginé bien meilleur qu’un présent honni, sollicitant avec une faconde confondante le général de Gaulle[3], ils manipulent sans vergogne l’Histoire, faisant de la France de Vichy un parangon de vertu, un rempart protecteur des israélites durant les années sombres.  

Ils furent pourtant un certain nombre en ces temps obscurs, à se lever pour dire « non » à la collaboration engagée par le Maréchal Pétain, collaboration assumée et scellée dès le 24 octobre 1940 lors de l’entrevue de Montoire[4].

Parmi ces femmes et ces hommes de l’ombre dont certaines rues portent, dans l’indifférence voire l’oubli, les noms : Corentin Cloarec[5].Nul doute que son patronyme, comme son prénom de religieux, fleurent la Bretagne. Jean-Marie est né le 31 mars 1894 au sein d’une famille de cultivateurs dans un petit village du pays de Léon ; un coin de France où le breton constituait la langue des échanges mais aussi celle d’une certaine résistance à la culture française. À partir de 1870, la République d’alors dut lutter pour s’imposer en un pays majoritairement monarchiste[6]. Le Léon dans lequel naquit le futur religieux, était sans conteste une terre propice aux vocations sacerdotales. Les « Léonards[7] » fournirent nombre de prêtres et de missionnaires à l’Église ! C’est au collège de Saint-Pol-de-Léon[8] qu’il fit ses études secondaires puis il entra au grand séminaire de Quimper en octobre 1913. Son parcours le mit au contact des grandes crises de l’époque liées aux incertitudes institutionnelles, à la loi de séparation comme à la naissance du catholicisme social. Après une année au séminaire, il vécut l’expérience traumatisante de la guerre en 1914. Pour nombre de religieux, ce fut, comme l’écrivit Teilhard de Chardin, un « baptême dans le réel »[9]. Les Bretons payèrent un lourd tribut à la Grande Guerre d’autant que le conflit accéléra la fin des terroirs[10] d’une France très en retard dans ses évolutions sociétales par rapport à ses voisins d’Europe occidentale. En effet, entre 120 et 150 000 Bretons perdirent la vie accélérant l’intégration de la Bretagne à la communauté nationale. Les séminaristes ne bénéficiaient pas d’un régime de faveur depuis la loi dite « des curés sac au dos » du 15 juillet 1889[11]. Aussi, nombre d’entre eux furent tués sur le front alors que d’autres ne poursuivirent pas leur parcours sacerdotal ou, traumatisés, rejoignirent le clergé régulier. Caporal mitrailleur, Corentin[12] fut blessé en septembre 1915 sur le front de Champagne. Revenu au combat, il fut fait prisonnier à Verdun au printemps 1916 et interné plus de deux années dans l’Oflag de Rennbahn en Rhénanie du Nord. En juin 1916, les Allemands ouvrirent un « camp-séminaire » auquel fut affecté le Breton. Il côtoya plusieurs frères franciscains qui exercèrent une influence majeure sur ses futurs engagements. Par ailleurs, si ses années de captivité ne le conduisirent pas à abandonner le chemin vers la prêtrise, elles influèrent sur la suite de son parcours sacerdotal. Son souci des prisonniers, son attachement à Sainte Thérèse de Lisieux, marquèrent ses années en religion. Entré au séminaire de Quimper à l’issue des hostilités, il rejoignit le noviciat franciscain d’Amiens le 8 septembre 1921 ; il avait 27 ans. Une nouvelle étape de sa vie commençait.


[1]« Nos témoignages s’estompent alors que nos sociétés démocratiques sont chahutées. Les partis de l’ombre progressent, il faut réfléchir quand on vote et ne jamais écouter les discours de haine. » 
https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/11/24/le-struthof-camp-de-concentration-passe-sous-les-radars-de-l-histoire_6103351_3224.html

[2] Pierre Vidal-Naquet, Les assassins de la mémoire, « Un Eichmann de papier » et autres essais sur le révisionnisme, éditions de la découverte. 

[3] Pourtant le général de Gaulle encourageait à regarder vers le temps présent voire l’avenir. Intervention télévisée du 14 juin 1960. https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i00012400/charles-de-gaulle-la-douceur-des-lampes-a-huile

[4] https://www.herodote.net/24_octobre_1940-evenement-19401024.php https://www.youtube.com/watch?v=3owdpnCeFmc

[5] Une rue porte son nom à Paris dans le XIV° arrondissement. (Rue du Père-Corentin)

[6] Le 30 janvier 1875, au Palais-Bourbon, un amendement institue la République à une voix de majorité. Après la défaite de 1870 et la chute de l’empereur Napoléon III, les élections ont porté à l’assemblée une majorité monarchiste. Toutefois, le fils du duc de Berry, le comte de Chambord refusait le drapeau tricolore. L’assemblée constituante attribua à l’Orléaniste Louis-Adolphe Thiers le titre de président de la République. Puis, lui succéda le légitimiste maréchal de Mac-Mahon, Les tentatives de restauration échouèrent suite à l’intransigeance du comte de Chambord. Le 30 janvier, Henri-Alexandre Wallon, un député de centre gauche déposa un amendement : « Le président de la République est élu à la majorité des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible ». Le texte fut voté par 353 voix pour et 352 voix contre. La République, la fonction présidentielle et le septennat entrèrent dans les lois constitutionnelles françaises. La monarchie laissa ainsi passer son ultime chance.

[7] Nom donné aux habitants du pays de Léon. (Finistère Nord)

[8] Le collège existe toujours collège du Kreisker, à côté https://www.lekreisker.fr/ à côté d’une chapelle : https://www.roscoff-tourisme.com/fr/fiche/patrimoine-culturel/chapelle-notre-dame-du-kreisker-saint-pol-de-leon_TFOPCUBRE029FS0003E/

[9] « Ce qui m’a déconcerté, à Verdun, c’est la vision concrète et prochaine de la destruction possible. J’ai senti, palpé, ce que c’est que se perdre, et d’avoir à renoncer à tous les espoirs nourris, à tous les cadres aimés. », in Journal, 30 juin 1916. 

[10] On se reportera par exemple à E.Weber, La Fin des terroirs, La modernisation de la France rurale (1870-1914) paru chez fayard en 1983.

[11] La loi du 15 juillet 1889 ramène le temps sous les drapeaux à trois ans, en supprimant les exemptions pour les ecclésiastiques et les enseignants qui sont désormais tenus à un an de service (loi des « curés sac au dos »). La loi de 1895 va imposer un service d’un an aux dispensés pour raisons familiales. Enfin la loi du 21 mars 1905 établit le service universel et égalitaire pour tous d’une durée de deux ans. Le tirage au sort est enfin supprimé. La loi du 19 juillet 1913 rétablit le service de trois ans pour des questions de rééquilibrage avec l’armée allemande, qui vient d’augmenter sensiblement ses effectifs.

[12] Son nom de religieux.

Édouard-Martial Lekeux, religieux-soldat franciscain. (2nde partie)

Le livre qu’il écrivit : Mes cloîtres dans la tempête, consistait en des souvenirs de guerre ; un ouvrage largement diffusé durant l’entre-deux-guerres. Le roman Passeurs d’hommes, quant à lui, s’inspirait des tentatives d’évasion au cours de la première guerre depuis la Belgique vers les neutres Pays-Bas. Les aventures du remorqueur Atlas V de Jules Hentjens évoquées par Lekeux rappellent quelque peu Invasion 14de Maxence Van der Meersch. L’ouvrage du religieux franciscain connut une certaine notoriété et fut adapté au cinéma par René Jayet5 peu de temps avant le second conflit mondial. Écrivain prolixe, il publia de multiples ouvrages de théologie mystique6 et de livres autobiographiques ou hagiographiques. Tout comme Van der Meersch, sa plume était au service de sa foi. 
Avant que n’éclate le second conflit mondial, Lequeux s’inquiéta de l’émergence de l’idéologie nazie. Il fut conforté par les positions d’un autre frère mineur, le pape Pie XI qui, exprima ses craintes dans l’encyclique Mit brennender Sorge7 (« Avec une vive inquiétude »), rédigée en allemand, pour attaquer le racisme, le mythe du sang et celui de la terre. Le souverain pontife déclara du reste en 1938 : « Spirituellement, nous sommes des Sémites. ». Il prit position contre le rexisme de Léon Degrelle8 lors d’une conférence : Avant le désastre. 
La deuxième guerre le surprit à Alexandrie au service des plus démunis. Il rejoignit alors Londres afin d’offrir ses services au gouvernement belge en exil d’Hubert Pierlot. À l’issue du conflit, il fut professeur au couvent franciscain du Chant d’Oiseau à Woluwe-Saint-Pierre, près de Bruxelles avant de mourir à Liège en 1962.   Saint-François fut son guide, les guerres constituèrent un de ses thèmes de prédilection. Il raconta ce que fut la réalité vécue par des êtres humains, les souffrances d’un siècle, celui des nationalismes, des totalitarismes, des conflits guerriers et idéologiques ; un siècle de grandes mutations. Face à ces bouleversements, la foi et la religion du Christ constituèrent la voie d’espérance. Chrétien dans le monde, franciscain dans ses choix philosophiques, Lekeux mérite que l’on évoque sa mémoire.

 Érik LAMBERT

5 https://www.cinema-francais.fr/les_films/films_j/films_jayet_rene/passeurs_d_hommes.htm6 L’Art de Prier http://www.franciscains-paris.org/biblio/base/notice14494
7 L’encyclique met en garde contre le nazisme. L’encyclique rappelle l’incompatibilité entre toute politique raciste et les valeurs de l’Église catholique. Il en profite pour critiquer vivement la remise en cause du Concordat signé, en 1933, entre le Saint Siège et l’Allemagne (un accord qui avait pour but de protéger les catholiques allemands). Pie XI ironise enfin gravement sur le culte du chef et sur cette espèce de religion nationale que le IIIe Reich met en place. Il s’élève ouvertement contre l’hitlérisme.
8 Léon Degrelle, nazi notoire, collaborateur à la tête des SS wallons durant la guerre. Il avait fui en Espagne à l’issue du conflit. Hitler aurait dit que s’il avait eu un fils, il eut aimé qu’il fût comme Degrelle. Le dernier SS belge Jean Vermeire, décédé en octobre 2009 avait dispersé les cendres à Berchtesgaden, le Nid d’Aigle de Hitler.

Édouard-Martial Lekeux, religieux-soldat franciscain. (1ère partie)

Le déclenchement de la guerre, qui fut qualifiée de « grande guerre, fut l’aboutissement du fonctionnement parfait, quoique surprenant ; d’un funeste engrenage constitué par les alliances entre pays européens : triplice d’une part, triple entente d’autre part. Une fois les rouages en mouvement, rien ne put arrêter le désastre. Les Allemands appliquèrent le plan conçu avec la rigueur d’un horaire de chemin de fer ; mode d’action prévu par l’ancien chef d’état-major des armées allemandes entre 1891 et 1905, le général Alfred von Schlieffen. Il était prévu que les troupes du Kayser obtiendraient libre passage par la Belgique pour manœuvrer en direction de la France. Las ! les Belges offrirent une résistance imprévue, ce qui nourrit une violente réaction des Allemands. Contraints de s’emparer des douze forts belges qui protégeaient la ville de Liège, confrontés à la résistance du lieutenant-général Leman, il fallut aux troupes du général von Emmich mettre le siège devant la ville. Face à une résistance acharnée autant qu’inattendue, les atrocités allemandes furent légion au début août 1914. Lors de cet épisode tragique, un officier d’artillerie nommé Édouard Lekeux s’illustra et offrit ensuite un témoignage des événements qu’il vécut alors. Rien d’original à cela, tant les souvenirs des acteurs constituèrent une production littéraire conséquente, mais le caractère particulier de Mes Cloîtres dans la tempête[1] tint à son auteur : un prêtre franciscain. En effet, né en 1884 à Arlon dans la province belge de Luxembourg, il réalisa de brillantes études au sein de l’Athénée, de la communauté francophone belge. Cette dénomination était inspirée de l’Athenaeumimaginée par l’empereur Hadrien en lien avec ce qui était au II°siècle après JC, considéré comme le « modèle culturel absolu » : Athènes. Édouard Lekeux devint officier d’artillerie avant d’entrer en religion en 1911 dans l’ordre des frères mineurs sous le nom de Martial. Il fut ordonné en 1920 après l’expérience qu’il vécut avec « ses frères, les poilus ». 

Il décrivit ensuite sa « Manière franciscaine de faire la guerre », son expérience qui inspira son cheminement spirituel : dialogue fréquent avec Dieu, avec Saint-François face au déchaînement de violence d’un conflit monstrueux [2]. Participant à la défense de l’Yser, décisive pour soutenir les efforts consentis lors de la première bataille de la Marne, il fut à Dixmude à l’automne 1914. Il contribua donc à éviter à l’armée belge l’encerclement, permettant ainsi à l’armée française de résister aux tentatives d’enfoncement du front avant sa consolidation jusqu’à la fin de la guerre. Cette bataille de Dixmude marqua en fait l’arrêt de l’invasion allemande. Il raconta ensuite son action courageuse lorsqu’il défendit le clocher du village de Oud-Stuivekenskerke, un poste d’observation stratégique cible des artilleurs allemands[3].  Une chapelle évoque encore cet épisode[4]

ÉRIK LAMBERT


[1] https://mondieuetmontout.com/Menu-Pere-Martial-Lekeux-Mes-Cloitres-dans-la-tempete.html
[2] La guerre de tranchée conduisait à des corps à corps qui pouvaient s’achever à la pelle ou à la pioche. Ce pouvait aussi être des sapes comme en porte la trace le front de la somme (Lochnagar Crater (trou de la gloire) à La Boisselle https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/le-trou-de-mine-de-la-boisselle-lochnagar-crater-trou-de-gloire-un-symbole-de-la-grande-guerre-et-la-propriete-d-un-anglais-1038687.html ) ou l’épisode du tunnel de la mort au Chemin des dames en Champagne (1917) https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/16/mystere-de-la-guerre-de-14-18-le-tunnel-du-winterberg-livre-ses-premiers-secrets_6059854_3210.html
[3] https://mondieuetmontout.com/Pere-Martial-Lekeux-o.f.m.-Histoire-d-une-tour.html
[4] https://www.rtbf.be/14-18/article_oud-stuivekenskerke?id=8295420

PIE IX, UN PAPE À L’IMAGE DE SON SIÈCLE : ENTRE LIBÉRALISATION ET CONSERVATISME

3. Un pape à l’image d’une Église agitée par les sociétés en mouvement.

L’échec de sa tentative de gouvernement libéral étouffa les velléités novatrices du Pape. Désormais, il aspira à défendre son pouvoir temporel indispensable selon lui, à l’indépendance spirituelle de l’Église. Durant le reste de son règne, il ne cessa de lutter contre l’Italie naissante. Emporté par le tourbillon libéral qui balayait l’Europe, ses positions conservatrices ne s’affirmèrent pas seulement en Italie mais concernèrent l’ensemble du continent. Confronté aux patriotes italiens, il accentua les positions adoptées en son temps par Grégoire XVI[1]. Ce pontife, initialement libéral, puis perçu comme réactionnaire, combattit en son temps, la vague de religiosité romantique[2] et de naturalisme rationaliste[3]. Il condamna les doctrines de Lamennais de séparation de l’Église et de l’État et les libertés de conscience et de presse. Cette source d’inspiration nouvelle qui guida Pie IX le conduisit à nourrir une solide opposition au discours de Montalembert prononcé au congrès de Malines de 1863[4]. Il lança l’encyclique Quanta Cura[5], publiée le 8 décembre 1864. Le texte condamna le naturalisme, en particulier le rationalisme moderne et la conception libérale des rapports entre la religion et la société civile ; le socialisme et de manière générale la société moderne. Le texte était complété par une liste de quatre-vingts propositions erronées, intitulée Syllabus[6]. Toutefois, le Pape connut une popularité exceptionnelle tant il suscita l’empathie auprès du « mouvement catholique ». Considéré par beaucoup comme un martyr ; cet homme doté d’un réel pouvoir de séduction, avide de contacts[7], rallia les masses et le clergé. Sa situation fut un accélérateur de l’ultramontanisme[8]. Ce dernier courant était fidèle à la perspective tracée par Pie IX lors du XXe concile œcuménique de l’Église romaine[9], Vatican1, affirmant le principe de la primauté et de l’infaillibilité pontificale. Ce fut ce pape qui forgea le Dogme de l’Immaculée Conception dans la bulle apostolique Ineffabilis Deus[10] en décembre 1854. Le dogme de l’Immaculée Conception proclamait la conception « sans tâches » de la mère du Christ. Cela signifiait qu’elle n’était pas marquée par l’empreinte du péché originel comme l’avaient déjà affirmé de nombreux pères de l’Église[11]. Les apparitions de la Vierge à Catherine Labouré[12] en 1830 puis à Bernadette Soubirous en 1858[13]  procédèrent de ce culte marial en pleine expansion. 
Toutefois, la guerre franco-prussienne entraîna la suspension du concile Vatican1 et la disparition de l’État pontifical, privé de la protection de la France. Les troupes italiennes occupèrent Rome le 20 septembre 1870 désormais capitale du royaume d’Italie[14].
L’ambition affirmée de Pie IX de servir l’Église avec un esprit mystique ouvrit l’ère des papes missionnaires. Certes, son pontificat fut celui d’une Église sur la défensive avec le développement du laïcisme en Allemagne[15], en Suisse, en France mais il fut aussi celui d’un regain de religiosité.  

Le Pape Jean Paul II béatifia le dimanche 3 septembre 2000 Pie IX et Jean XXIII. Associer les deux souleva l’indignation. Ceux qui s’y opposèrent estimèrent que Jean Paul II, en béatifiant Pie IX, voulut ménager les milieux traditionalistes, adversaires de toujours de l’œuvre de Jean XXIII. Deux papes, l’un symbole du conservatisme, l’autre de la modernité[16].
L’Église, c’est aussi des contradictions et le long règne de Pie IX en fut l’expression : comment l’Église peut-elle affronter les défis générés par les évolutions de société ? 


[1] Pape de 1831 à 1846.
[2] Les romantiques songeaient à une individualisation du sentiment religieux plus qu’à une religion instituée, catholique ou reformée.
[3] Le rationalisme considère que l’homme peut réfléchir par lui-même sans intervention de la religion. Pour le naturalisme, l’homme est un être vivant qui naît, vit et meurt. La pensée meurt avec le corps et il n’y a dès lors de vie après la mort. Dans les deux cas, la raison seule juge ce qui est bon et ce qui est mal.
[4] Cf. L’Église Libre Dans l’État LibreDiscours Prononcés Au Congrès Catholique de Malines, Par Le Comte de Montalembert.
[5] « Avec quel soin… » https://www.vatican.va/content/pius-ix/la/documents/encyclica-quanta-cura-8-decembris-1864.html
[6] Un recueil qui dénonçait « les principales erreurs du temps ».
[7] 9 heures d’audience par jour.
[8] L’ultramontanisme (du latin ultra, au-delà et montis, montagne) désigne ce qui est au-delà des monts alpins par rapport à la France, c’est-à-dire l’Italie et plus précisément Rome. Il se manifeste dès les XVIIe et XVIIIe siècles, mais surtout au XIXe siècle. Ses partisans, les ultramontains, considèrent que le pape a la prédominance sur les conciles nationaux pour tout ce qui concerne l’Église catholique (dogme et administration).
[9] Réuni du 8 décembre 1869 au 20 octobre 1870. Sept cents évêques pour « trouver les remèdes contre les si nombreux maux qui oppressent l’Église » 
[10] « Dieu ineffable ». https://www.icrsp.org/Saints-Patrons/Christ-Roi-Immaculee-Conception/Ineffabilis_Deus_Pie_IX.htm
[11], Saint-Augustin, in De natura et gratia « De la sainte Vierge Marie, pour l’honneur du Christ, je ne veux pas qu’il soit question lorsqu’il s’agit de péchés. Nous savons en effet qu’une grâce plus grande lui a été accordée pour vaincre de toutes parts le péché par cela même qu’elle a mérité de concevoir et d’enfanter celui dont il est certain qu’il n’eut aucun péché. »
[12] La Vierge se serait présentée comme « conçue sans péché » à Catherine Labouré.  La médaille miraculeuse a été comme « dessinée » par la Vierge elle-même ! Elle aurait en effet demandé la forme ovale, l’invocation à graver, son effigie à poser sur une face et au revers les motifs symboliques. De ce fait, la Vierge en a donné le contenu ; le message, explicite et implicite, de sa propre identité, sa Conception Immaculée. Ensuite la Sainte Vierge en a donné le mode d’emploi : « Ceux qui la porteront avec confiance », on trouve là comme un écho des paroles de Jésus à la femme guérie après avoir touché son manteau : « Va, ta foi t’a sauvée ». Enfin, la Vierge en assigne le but : recevoir de grandes grâces, nous rappelant ainsi la miséricorde de Dieu et la primauté de la vie spirituelle.
[13] La « belle dame » lui est apparue dans la grotte de Lourdes en lui disant : « Que sòi era Immaculada Concepciou », « Je suis l’Immaculée Conception » en gascon.
[14] Le Pape refusa la « loi des garanties » votée par le Parlement italien en mai 1871 laissant ouverte la « question romaine » résolue par les accords du Latran de 1929.
[15] Kulturkampf, Otto von Bismarck, ne se cachant pas d’être agnostique, voire athée, aspirait à réaliser l’unité de l’Allemagne autour de la Prusse. Pour cela, il convenait de mener un « combat pour la civilisation » qui visait en fait à éradiquer l’influence du Saint-Siège sur l’Église allemande et réduire son influence dans certains territoires allemands comme l’Alsace ou la Bavière. 
[16] Sans porter de jugement ou se lancer dans une démarche de repentance ignorant les réalités des temps, la position des deux sur les Juifs est intéressante à observer. Ainsi, l’affaire Dreyfus à l’italienne que fut l’affaire Mortara ne peut que solliciter notre intérêt. 

PIE IX, UN PAPE À L’IMAGE DE SON SIÈCLE : ENTRE LIBÉRALISATION ET CONSERVATISME

2. Un Pape secoué par l’aspiration à l’unité de l’Italie.

Le Pape Jean Paul II béatifia le dimanche 3 septembre 2000 Pie IX, qui régna sur l’Église de 1846 à 1878, et Jean XXIII, au court pontificat (1958 à 1963). Cette décision fut amèrement commentée en son temps. Certes, l’inquiétude résidait dans la possible béatification du controversé Pie XII qui avait lui-même canonisé Pie X en 1954. Qui était ce Pape aux deux visages ?

Giovanni Maria Mastai Ferretti naquit en mai 1792 dans les Marches, sur la côte adriatique, dans l’actuelle station balnéaire à la jetée art déco de Senigallia, située à quelques encablures de la ville médiévale d’Ancône. Souffrant de troubles nerveux, il ne put entrer dans la garde noble[1]. Il se consacra dès lors à l’étude de la théologie et fut ordonné en 1819. Entre 1823 et 1825, il séjourna au Chili comme secrétaire du légat apostolique[2]. Il y dirigea un hôpital d’enfants handicapés. En 1827, il devint archevêque de Spolète puis évêque d’Imola et cardinal en 1840. Considéré comme un homme à la charité ardente, sans sympathie politique connue, il fut élu le 16 juin 1846 au trône de Saint-Pierre après un conclave de deux jours face au barnabite[3] Luigi Lambruschini[4] pour succéder au défunt Grégoire XVI. L’Europe était alors agitée par des mouvements nationaux et unitaires. L’élection de Pie IX apparut comme l’espoir des libéraux. Du reste, dès son arrivée au Saint-Siège, il libéra des prisonniers politiques, établit le 14 mars 1848 un système bicaméral pour le vote des lois et de l’impôt dans ses États[5]. Il fit même entrer pour la première fois des laïcs augouvernement des États pontificaux. Les Italiens partisans de l’unité, tel l’abbé piémontais Vincenzo Gioberti voire le révolutionnaire Mazzini espéraient que Pie IX prît la tête d’une Italie confédérée[6]. Toutefois, il refusa d’entrer en guerre contre l’Autriche en avril 1848[7]. Rome tomba aux mains des révolutionnaires et le premier ministre Pellegrino Rossi fut assassiné le 15 novembre 1848. Assiégé dans le Quirinal (alors résidence papale) par le peuple, le Pape, déguisé, s’enfuit le 24 novembre pour se réfugier en la citadelle napolitaine de Gaète au sud de Rome. La Ville éternelle abandonnée, les démocrates mazziniens proclamèrent en février 1849 la fin du pouvoir temporel des papes et la République romaine.
Un défi était lancé à la Papauté, quelle serait la réaction de Pie IX, l’espoir des libéraux ?

ÉRIK LAMBERT.


[1] Unité chargée de la protection du Saint-Père. Elle a disparu en 1970. Ne demeurent que les fameux gardes suisses sollicités par le Pape Jules II en 1505, corps créé officiellement le 22 janvier 1506.
[2] Légat apostolique ou pontifical dans la Rome antique, il s’agissait d’envoyés dans les provinces ou dans une nation étrangère. Le terme vient du latin legare, qui signifie « envoyer avec une mission ». Il est envoyé par le Pape pour une mission ponctuelle d’administration ou de représentation, en général diplomatique.
[3] Membres d’une congrégation religieuse fondée en 1530 à Milan par saint Antoine-Marie Zaccaria (1502-1539), médecin originaire de Crémone devenu prêtre en 1528. Ils s’appelèrent d’abord Clercs réguliers de saint Paul et reçurent le nom de Barnabites peu après leur installation auprès de l’église Saint-Barnabé à Milan (1545). Parmi ses membres, le cardinal Bilio, collaborateur de Pie IX dans la préparation du Syllabus.
[4] Candidat de la faction conservatrice des zelanti. Opposé aux idées libérales, il montra même une inclinaison réactionnaire en fustigeant tout changement s’opposant au développement du chemin de fer dans les États pontificaux et au gaz d’éclairage.
[5] Au VIIIe siècle, le déclin de l’empire byzantin, protecteur traditionnel de la chrétienté, conduit le pape à chercher la protection des Francs et de leurs rois, Pépin le Bref puis Charlemagne. Ceux-ci, en retour, accordent à l’évêque de Rome leur protection, notamment face aux Lombards et aux Byzantins. Ils lui reconnaissent une primauté sur les autres évêques et en particulier le patriarche de Constantinople. Enfin, ils lui concèdent un vaste territoire au cœur de la péninsule italienne pour lui assurer son indépendance face aux principautés environnantes. Grégoire VII (Pape de 1073 à 1085) et ses successeurs luttèrent pour assurer l’autonomie de l’Église catholique face aux interventions des souverains séculiers dans la désignation des évêques et des abbés, autrement dit des chefs des églises locales. Le pape s’affirma dès lors comme chef suprême de la chrétienté occidentale, se présentant comme un souverain spirituel mais aussi séculier, attaché à défendre les États pontificaux et à sanctionner les agissements coupables des souverains, en usant notamment de l’arme la plus dissuasive qui soit, l’excommunication. Depuis les accords du Latran de 1929, le Vatican est le plus petit État du monde d’une superficie de 44 hectares soit à peine la surface du cimetière du Père-Lachaise.
[6] Idée inspirée des Guelfes du Moyen-Âge. La riche Italie est tout au long du Moyen Âge convoitée par les empereurs allemands titulaires du Saint-Empire. Mais leurs prétentions se virent contestées par le pape, principal souverain italien. Aux XIIIe et XIVe siècles, les cités marchandes furent déchirées par les conflits entre les partisans de l’empereur (le parti gibelin ou parte Ghibellina) et ses adversaires, qui eurent généralement l’appui du pape (le parti guelfe ou parte Guelfa). Le conflit fut la transposition de la rivalité entre deux familles allemandes prétendant l’une et l’autre à la couronne impériale : les Guelfes (dont le nom vient d’une seigneurie souabe, Welfen) et les Hohenstaufen, dont les partisans portaient le nom de Gibelins, d’après la seigneurie de Weiblingen, d’où ils étaient issus. Le conflit allemand se solda par le triomphe des seconds en la personne de Frédéric II de Hohenstaufen, après que l’empereur Othon IV de Brunswick, chef des Guelfes, eut été défait par le roi de France Philippe Auguste à Bouvines (1214).
[7] Le Printemps des peuples en 1848 a soulevé l’espoir d’un Risorgimento, d’une renaissance de l’Italie, qui se ferait en expulsant l’Autriche et les souverains inféodés à elle. À Milan les habitants commencèrent à manifester contre la tutelle autrichienne dès le mois de janvier 1848 en s’abstenant de fumer pour ne pas payer la taxe sur le tabac. Les troupes d’occupation se plurent alors à fumer sous leur nez de voluptueux cigares. Le commandant en chef autrichien Radetzki (qui inspira la fameuse Radetzki March de Johann Strauss https://www.facebook.com/watch/?v=10155624205272598 ) fut obligé d’évacuer Milan, possession autrichienne, après la bataille des «Cinq Jours», du 18 au 22 mars 1848. À Venise, autre possession autrichienne, Daniele Manin proclama le 22 mars la République de Saint Marc. Le même jour, le roi de Piémont-Sardaigne, Charles-Albert 1er, se posant en champion de l’unité italienne, entra en guerre contre l’Autriche. Il reçut le concours du grand-duc de Toscane et du roi des Deux-Siciles (Naples), poussés à intervenir par leur bourgeoisie libérale. À Rome, le pape Pie IX fut chassé par les révolutionnaires. L’armée autrichienne étouffa toutefois les différentes révolutions et réussit à maintenir la domination directe ou indirecte des Habsbourg sur des États italiens divisés. Malgré les défaites, l’idéal du Risorgimento progressa, l’opéra et le chemin de fer étant des vecteurs de l’unité italienne sans doute plus efficaces que la barricade.

PIE IX, UN PAPE À L’IMAGE DE SON SIÈCLE : ENTRE LIBÉRALISATION ET CONSERVATISME

1. Un contexte agité, …

Pape Pie IX

Entre 1800 et 1850, l’Europe, voire une partie du monde, s’engagèrent dans de profondes mutations. Cette évolution fut économique, sociale et politique. Les pays les plus avancés du continent, s’ouvrirent aux spectaculaires changements nés de l’ère industrielle et de l’émergence des aspirations nationales. La Révolution et l’Empire avaient bouleversé un ordre multiséculaire que les puissances réunies au Congrès de Vienne de l’automne 1814 au printemps 1815 décidèrent de rétablir. Il s’agissait d’un retour à l’Ancien Régime et à ses valeurs en établissant une Sainte-Alliance sous protection divine, destinée à éviter l’épidémie des principes de 1789. Pourtant, les élites intellectuelles, les artistes ; tous les romantiques,[1] s’enflammèrent et n’hésitèrent pas à prendre les armes pour propager les ferments d’un monde nouveau. Le succès fut au rendez-vous en Grèce et en Belgique mais connut des fins tragiques dans bien d’autres lieux. Le printemps des peuples de 1848 encouragé par les trois jours de février, ceux qui virent, la monarchie orléaniste s’effondrer et le trône de Louis-Philippe 1er brûler[2] au pied de la colonne de juillet. Un véritable bouillonnement agita l’Europe entre révolutions et réactions. Les mouvements de 1848 concentrèrent les revendications : désir de Constitution garantissant les libertés fondamentales, aspiration à l’indépendance ou à l’unité nationale. Jusqu’en juin 1848, les révolutionnaires semblèrent obtenir ce qu’ils escomptaient en faisant ployer l’ordre établi en 1815. Toutefois, l’été 1848 mit fin à leurs illusions et les monarchies rétablirent la situation qui prévalait lors du Congrès de Vienne.

C’est durant ce siècle éminemment révolutionnaire que Giovanni Maria Mastai Ferretti devint Pape sous le nom de Pie IX. Ce pontificat, long de 32 ans fut le plus long et l’un des plus tourmentés de l’Histoire de l’Église. Franciscain, Pie IX fut confronté à tous les soubresauts d’un siècle qui en fut fertile. Face à ces défis, il commença par offrir une image d’ouverture à la modernité…     

ÉRIK LAMBERT


[1] Lord Byron fut l’un des martyrs de la cause. « Lord Byron est mort à Missolonghi, le 19 avril, après 10 jours de maladie. Une inflammation de poitrine est la cause de cet événement. », in Le Drapeau blanc, 18 mai 1824.

[2] https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/embrasement-du-trone-de-louis-philippe-place-de-la-bastille-le-24-fevrier#infos-principales

Elpdius MarkötTer

Elpidius Markötter (1911 – 1942)

Le 30 janvier 1933, Adolf Hitler devenait chancelier allemand. Si nombre de citoyens adhéraient aux idées, voire aux mesures adoptées par les dirigeants de l’Allemagne « millénaire » ; pour certains Allemands, cet événement fut le début de la nuit[1] et d’un engagement pour la défense d’une certaine idée de l’humanité.
La résistance était très difficile à mener dans un pays totalitaire qui pratiquait une répression impitoyable. Les communistes organisèrent un réseau de renseignement appelé « L’orchestre rouge »[2]. Les protestants de Martin Niemöller ou de Dietrich Bonhoeffer et les jeunes de « La Rose Blanche » prirent l’initiative de résister. De tels actes conduisaient à la mort des traîtres, à la hache, souvent dans les locaux de la prison de Plötzensee[3].   

Les catholiques ne furent pas en reste. Si le Saint-Siège signa un concordat le 20 juillet 1933, le Pape Pie XI affirma son opposition à l’idéologie nazie. L’Encyclique Mit Brennender Sorge, volontairement rédigée en allemand en mars 1937, lue en chaire dans toutes les églises d’Allemagne à la faveur du dimanche des Rameaux, manifesta l’opposition pontificale aux doctrines nazies. Les conséquences furent immédiates : la déportation de plus de 300 prêtres à Dachau. Le 13 avril 1938, le Syllabus[4] contre le racisme fut diffusé auprès des établissements catholiques du monde entier.

Parmi tous ceux qui se levèrent pour des raisons philosophiques ou religieuses, se trouvait Josef Markötter. Il était le fils d’un commis de poste Hermann Markötter, et de son épouse Elisabeth. Il suivit un cursus primaire à l’école de Südlohn puis, en 1925, fréquenta l’école du recteur de la petite ville de Rhénanie-du-Nord-Westphalie[5], Stadtlohn. De 1926 à 1932, il entreprit des études secondaires au St. Ludwig Franciscan College de Vlodrop, aux Pays-Bas, tenu par des franciscains allemands[6]. Le 14 avril 1932, il entra au noviciat de la Province franciscaine saxonne à Warendorf et prit le nom religieux d’Elpidius. Il étudia la philosophie et la théologie à Dorsten et Paderborn. Il prononça des vœux solennels le 23 avril 1936 et fut ordonné prêtre le 27 mars 1939 à Paderborn[7], là où il avait suivi des études de philosophie et de théologie. À Pâques 1939, il prit un poste d’enseignant au collège des missions de la province de l’ordre du sud du Brésil au couvent de Garnstock près d’Eupen, en Belgique. Il y fit un discours « Sendung der Liebe »[8] qui marqua les esprits des jeunes missionnaires. Il participa à un ouvrage fort de quatre volumes, Die Ostkirche betet[9] dirigé par le père franciscain martyr Kilian Kirchhoff. Cette contribution illustra ses aptitudes intellectuelles ; il s’agissait en effet de traduire du grec en allemand des hymnes des Églises orientales transmis par un moine russe du mont Athos, Vassili Kriwoszein.

Les franciscains rejetèrent pour la plupart le nouvel Zeitgeist[10] qui animait la « révolution nationale-socialiste ». Le nouveau régime athée s’attaquait volontiers à cette « superstition nuisible » même si dans ses bouffées délirantes Hitler considérait Jésus comme le précurseur du « combattant aryen » luttant contre « le pouvoir et les prétentions des pharisiens corrompus » et le « matérialisme juif ». Le régime s’attaqua aux couvents surveillant les pèlerinages et les retraites tout comme les activités des franciscains. Ainsi, le collège de St. Ludwig (Vlodrop) perdit le droit de préparer à l’Abitur[11] en 1938 ; il fut fermé en 1940. Les élèves du secondaire durent intégrer des lycées publics, où ils furent rétrogradés d’une classe. Un collège ouvert à Warendorf en 1932 dut également fermer en 1939. Parfois, les franciscains s’abstinrent de porter l’habit à l’extérieur du couvent tant ils étaient exposés à l’hostilité dans la rue, sensible à la propagande nazie. Même si, parfois, certains parmi les franciscains, considérèrent la discipline et l’ordre exigés par l’armée comme bénéfiques pour les jeunes religieux, les autorités poursuivirent une politique menaçante vis-à-vis des frères.

Ainsi, durant la guerre, les locaux de plusieurs couvents furent confisqués par la Wehrmacht ou la Gestapo et utilisés pour des activités médicales ou militaires. L’admission des novices fut interdite à partir de 1940, nombre d’écoles furent fermées, les pèlerinages interdits dès 1941.

Dans ce contexte, Elpidius Markötter, rétif au national-socialisme, fut conforté dans son rejet de l’idéologie nazie lorsque la Pologne fut envahie en septembre 1939. Le Garnstocker Kolleg souffrit de l’absence d’étudiants en nombre suffisant et Elpidius fut envoyé à Warendorf[12], d’abord comme sous-maître des novices, puis comme prêtre en paroisse. Lors de cette période, il assista aux exactions dont furent victimes les juifs et à la violence de l’occupation.

Le 26 mai 1940, Markötter prononça un sermon dans lequel il affirmait la primauté de la fraternité quelle que fut l’origine des hommes. Le texte circula et le 4 juin 1940, il fut arrêté par la Gestapo pour avoir contrevenu à la loi. Il fut transféré dans une prison de Münster. Lors de son procès qui se tint à Dortmund, le 1er novembre 1940 Markötter argua de sa foi chrétienne pour justifier les propos tenus à la faveur de son sermon. Pour le droit de l’occupant, il avait violé la loi en évoquant la question juive. En janvier 1941, après avoir subi des sévices, il fut déporté vers le camp de concentration de Sachsenhausen[1]. Sans parvenir à célébrer, il rédigea en latin, avec d’autres prêtres détenus, les textes de messe afin que tous puissent prier. Le 26 septembre 1941, Markötter fut transféré comme d’autres prêtres à Dachau au bloc 26 réservé aux religieux catholiques[2]. Affaibli par les conditions épouvantables de survie, il tomba malade au printemps 1942 et mourut dans les bras d’un franciscain hollandais.

Nombreux furent les martyrs franciscains, résolus à combattre au nom de la foi l’idéologie païenne mortifère des bourreaux nazis. Elpidius Markötter fut l’un d’eux, L’urne contenant ses cendres fut déposée à Warendorf.

Érik LAMBERT


[1] Cf.E. Wiesel, La Nuit, Éditions de minuit.

[2] Die Rote Kapelle, organisé par Leopold Trepper popularisé -à tort ? – par Gilles Perrault, dans son livre, L’Orchestre rouge et par le film de Jacques Rouffio. Le sacrifice de Libertas Schulze-Boysen et de son mari le 19 décembre 1942 mérite toute notre attention.

[3] Justizvollzugsanstalt à Berlin, „tribunal du peuple“ ou sévit le sinistre Roland Freisler. https://www.gdw-berlin.de/fileadmin/bilder/publikationen/gedenkstaette_ploetzensee/franzoesisch-screen.pdf

[4] Du grec, comprendre, résumer, avec, et prendre. En latin : sommaire, liste. Recueil des questions tranchées par le pouvoir ecclésiastique.

[5] Ouest de l’Allemagne. La capitale de ce Land est Düsseldorf et la ville la plus peuplée est Cologne.

[6] Province du Limboug, Sud-Est des Pays-Bas où se trouve Maastricht. Vlodrop est un petit village où se trouvait un monastère franciscain.

[7] Demeure une communauté franciscaine. La ville est située dans le même Land que Südlohn.

[8] On pourrait traduire par « mission d’Amour » ou « mission de charité »

[9] L’Église d’Orient prie.

[10] Der Zeitgeist, « l’air du temps »

[11] Das Abitur, équivalent allemand du BAC.

[12] https://www.klosterlandschaft-westfalen.de/de/kloster/ehemaliges-franziskanerkloster-warendorf_warendorf/ Le couvent franciscain de Wiedenbrück (Franziskanerkloster Wiedenbrück) est un couvent franciscain situé en Wesphalie orientale. Un site se trouve aussi à proximité, à Wrendorf.

[13] Cinq camps furent construits dans les années 1930. Le premier de ces Konzentrazionslager ou KZ fut Dachau, près de Munich. Ouvert après l’l’incendie du Reichstag, il était destiné aux opposants politiques. Vinrent ensuite Orianienburg-Sachsenhausen (Près de Berlin), Buchenwald, Flossenbürg, Ravensbrück (réservé aux femmes) et Mauthausen, en Autriche. En 1939, l’ensemble de ces camps comptait 25 000 détenus, essentiellement des opposants politiques.

[14] J.Bernard, Bloc des prêtres 25487 – Dachau 1941-1942 ou G.Zeller, La Barraque des prêtres, 1938-1941.

Antonin Bajewski

Ils furent plus d’un million à mourir entre le 27 avril 1940 et le 27 janvier 1945. La plupart moururent d’être nés juifs mais d’autres périrent de leur opposition au totalitarisme nazi. Un certain nombre étaient des religieux chrétiens venus des quatre coins de l’Europe. Certes, Dachau fut le lieu privilégié d’internement des ecclésiastiques[1] mais d’autres lieux les « accueillirent ». Si la figure de Maximilian Kolbe hante les murs du plus grand camp de concentration et d’extermination du IIIe Reich, les franciscains martyrs de Niepokalanów[2] furent au moins 6.

Niepokalanów, le château de Marie, située à Teresin, 40 kilomètres à l’ouest de Varsovie, fut fondé en 1927 par Saint-Maximilien Kolbe. C’est en effet en ce lieu que Kolbe y installa le siège de la Chevalerie de l’Immaculée, association mariale. Avant la seconde guerre, 760 frères franciscains vivaient au monastère qui était un lieu de publication de magazines religieux et un centre radiophonique. La guerre conduisit les frères à accueillir des soldats blessés et des réfugiés, de toutes confessions. La répression nazie s’abattit donc sur eux. Parmi les frères, l’un d’entre eux partagea le sort de Maximilan Kolbe : Jan Eugen Bajewski.  Il était né à Vilnius en Lituanie le 17 janvier 1915. Il montra de belles aptitudes scolaires et maîtrisait plusieurs langues. Après de solides études et malgré de vives réticences de sa famille, il décida en juin 1933 de se consacrer à Dieu. Certain de sa vocation, il hésita toutefois entre la prêtrise diocésaine et le clergé régulier. Échangeant avec ses coreligionnaires du séminaire de Vilnius, il considéra que l’appel à la vie religieuse était si intense qu’il quitta le séminaire pour rejoindre les conventuels franciscains[3]. Il fut admis le 17 août 1934 au sein de la Province polonaise sous le nom de frère Antonin. Il effectua son noviciat à Niepokalanów et prononça ses vœux temporaires en septembre1935 puis partit au séminaire franciscain de Cracovie[4] afin d’étudier la théologie. Il s’engagea définitivement en novembre 1938 et fut ordonné prêtre en mai 1939 et rejoignit Niepokalanów. Très rapidement, Maximilian Kolbe le choisit comme vicaire. Il manifesta une foi profonde, une grande douceur vis-à-vis des autres. De santé fragile, il fut admis durant les premiers mois à l’infirmerie située à quelques kilomètres de la communauté. Il y fut surpris par le déclenchement des hostilités en septembre 1939, ce qui lui permit d’échapper à l’arrestation frappant la plupart des frères de la communauté. Pourtant, il fut arrêté avec Maximilian Kolbe et trois autres frères et enfermé à la prison Pawiak de Varsovie. Durant cette détention, il soutint spirituellement les autres prisonniers et offrit ses rations de nourriture. Bien que cela fut une cause de mauvais traitements, il conserva ses habits franciscains et fut transféré début avril 1941 à Auschwitz. Il fut sauvagement battu à son arrivée, tatoué du numéro 12764. Rapidement il fut malade du typhus, continua pourtant à se dévouer aux autres au péril de sa vie et mourut le 8 mai 1941. Avant de rendre son dernier soupir, lors de son ultime confession, il dit au frère Szweda : « Dites à mes frères de Niepokalanów que je suis mort en fidélité avec le Christ et la Vierge Marie ». Il fut béatifié par Jean-Paul II parmi les 108 martyrs de la seconde guerre mondiale par le 13 juin 1999.

Érik Lambert.


[1] G.Zeller, La Baraque des prêtres, Dachau, 1938-1945, Paris, Tallandier, 2017, 320 pages.
[2] Béatifiés par Jean-Paul II le 13 juin 1999. M.Kolbe canonisé en 1982.
[3] Les Frères Mineurs Conventuels constituent une des trois branches de l’Ordre fondé par Saint François d’Assise sous le nom de ‘Frères Mineurs’. La qualification ‘Conventuels’ a été ajoutée, provient du latin ‘cum venire’ qui signifie se réunir. Ce sont donc des frères qui vivent dans des couvents.
[4] http://www.lamortdanslart.com/danse/Pologne/dmcracovie.htm http://www.krakow.travel/fr/226-krakow-bernardine-church

Maximilian Kolbe

Maximilian Kolbe
1894 – 1941

Dans ma prime jeunesse, je fus souvent témoin de vives discussions dans ma famille, particulièrement lorsque nous nous rendions en Autriche. Nos racines franco-autrichiennes avaient conduit certains à s’engager dans la résistance et d’autres à nourrir des sympathies pour les thèses nazies. Même si les éclats de voix s’achevaient autour d’un Apfelstrudel et de verres de Schnaps, mon esprit était toutefois sollicité par ces controverses. Mon grand-père, actif FFI durant le conflit, profitait des vacances pour me faire découvrir des lieux de mémoire et me conter l’histoire de personnages peu ordinaires. En cela, il marchait dans les pas de mes instituteurs, férus du roman national. Avec le recul du temps, maintenant qu’il a disparu, son visage surgit parfois au détour d’un lieu, au fil d’une ligne dans un livre, au gré d’une exposition ou d’un spectacle. Devenu adulte, je pus me rendre là, où vécurent, où moururent ces femmes et ces hommes, dont les noms étaient demeurés dans ma mémoire. Ainsi, à plusieurs reprises, me suis-je rendu à Auschwitz-Birkenau. L’expérience ne peut laisser indemne tant les stigmates de l’horreur sont présents. On y côtoie les manifestations diaboliques de l’âme humaine mais aussi l’Amour de Dieu. Parmi tous les héros qui peuplèrent les récits de mon enfance figurait Maximilian Kolbe. 

Si les nazis avaient regroupé les religieux dans un même camp de concentration, celui de Dachau, certains échappèrent à cette logique. De 1938 à 1945, 2 720 prêtres, séminaristes et moines catholiques furent déportés par les nazis, ainsi qu’environ 141 pasteurs protestants et prêtres orthodoxes[1]. En Pologne, le plus grand complexe concentrationnaire du Troisième Reich est resté quasiment dans l’état où les Soviétiques le trouvèrent le 27 janvier 1945. Lorsque l’on arrive sur ce lieu plongé dans un silence sépulcral, on est saisi par l’immensité du site : entre 40 et 55 kilomètres carrés[2]. Le 29 juillet 2016, le Pape François fut bouleversé par ce calme lugubre lorsqu’il pria longuement dans la cellule où mourut Maximilian Kolbe[3]. Dans le livre d’or, François écrivit cette phrase qu’il signa :« Seigneur, aie pitié de ton peuple, Seigneur, pardon pour tant de cruauté ».

C’est en ce lieu, où je retins difficilement mes larmes, au bloc 11 du bâtiment 18, que ’ai retrouvé celui dont m’avait parlé mon grand-père des dizaines d’années auparavant. Un prêtre franciscain qui donna sa vie pour un de ses frères humains.

Le parcours de Saint-Maximilien Kolbe fut singulier[4]. En effet, adversaire résolu du national-socialisme et du communisme, il menait par ailleurs un véhément combat contre les juifs, considérant que le judaïsme était un « cancer qui ronge le corps du peuple ». Le fervent catholicisme que nourrissaient les Polonais conduisait en ces années à un sévère antisémitisme et rien ne prédisposait le frère franciscain à protéger les enfants d’Israël.

Né Rajmund Kolbe, en 1894 dans une famille très pieuse, de parents tisserands et tertiaires franciscains, il eut en 1906 une vision de la Vierge de Czestochowa qui l’incita à entrer en religion. Dans cette vision, la Vierge lui aurait proposé deux couronnes : une blanche pour la pureté et une rouge pour le martyre. Elle lui aurait demandé de choisir ; il aurait accepté les deux. Dès 1910, à l’âge de 16 ans, il rejoignit l’Ordre des Frères Franciscains conventuels à Lvov, où il reçut le nom de frère Maximilien Marie.

En 1912, il fut envoyé à Rome pour poursuivre ses études et fut ordonné prêtre le 28 avril 1918 avant de devenir docteur en philosophie et théologie l’année suivante. En octobre 1917, avant d’être ordonné prêtre par le cardinal Basilio Pompii, il avait fondé avec six confrères la Milice des Chevaliers de l’Immaculée, mouvement marial au service de l’Église et du monde.
Sensible aux moyens de communication d’alors, soucieux de remplir sa mission d’évangélisation, il créa par ailleurs un mensuel spirituel afin de diffuser la pensée de la Milice puis imagina un centre de vie religieuse et apostolique appelé « la Cité de l’Immaculée », « Niepokalanow ». Cette communauté regroupa environ 600 religieux. En 1922, pour promouvoir le culte de Marie, il fonda en son honneur, un quotidien, Le Chevalier de l’Immaculée tiré à 300 000 exemplaires pour atteindre un million d’exemplaires en 1938. Le quotidien était vendu bon marché afin de toucher les plus démunis. Toujours avide d’annoncer l’évangile, il fonda ensuite une maison d’édition et lança une station de radio qui avaient aussi l’ambition de lutter contre le sionisme et la franc-maçonnerie, de convertir schismatiques et juifs. Porteur d’évangile, au service de Marie, il se rendit en 1930 au Japon avec quatre frères et y fonda un couvent sur une colline proche de Nagasaki, le « Jardin de l’immaculée ». Curieusement, ce fut le seul bâtiment resté debout lors de l’explosion de la bombe atomique en 1945.

Revenu en Pologne en 1936, il assista à l’invasion du pays par les troupes allemandes puis soviétiques. La fraternité de Maximilian Kolbe hébergea alors des réfugiés polonais catholiques ou juifs. Les nazis l’arrêtèrent avec ses frères franciscains puis le relâchèrent après lui avoir fait subir des sévices. En février 1941, il fut à nouveau arrêté par la Gestapo pour avoir accueilli des réfugiés. Interné à Varsovie, il fut transféré à Auschwitz le 28 mai 1941. Or, afin de décourager les évasions, il était établi à Auschwitz que si un homme s’échappait, dix hommes seraient tués en représailles. En juillet 1941, un homme ayant fui, le commandant Karl Fritsch[5] dit aux prisonniers « Vous allez tous payer pour cela. Dix d’entre vous seront enfermés dans le bunker de famine sans nourriture ni eau jusqu’à leur mort ». Les dix furent sélectionnés. Parmi eux, Franciszek Gajowniczek, sergent de l’armée polonaise, emprisonné pour avoir aidé la résistance polonaise. Franciszek[6] se serait alors écrié : Ma pauvre femme ! Mes pauvres enfants ! Que vont-ils faire ?’ Quand il poussa ce cri de détresse, le Père Maximilian Kolbe s’avança et aurait dit au commandant : « Je suis prêtre catholique. Laisse-moi prendre sa place. Je suis vieux. Il a une femme et des enfants. » Le commandant Fritsch accepta la substitution. Maximilian Kolbe fut donc jeté dans une cellule du bloc des condamnés, avec les neuf autres prisonniers qu’il soutint par la prière et l’oraison ; les hymnes et les psaumes, communs aux Juifs et aux chrétiens. Encore vivant après avoir passé deux semaines sans rien ni boire ni manger, un Kapo[7] lui administra une injection de phénol le 14 août 1941. Son corps fut brûlé le 15 août, jour de la fête de l’Assomption de la Vierge Marie à laquelle il avait voué sa vie[8]. Gajowniczek fut libéré du camp d’Auschwitz ; il avait survécu pendant plus de 5 ans et assura : « Aussi longtemps que j’aurai de l’air dans les poumons, je penserai qu’il est de mon devoir de parler aux gens de l’acte d’amour héroïque accompli par Maximilien Kolbe. ». Béatifié le 17 octobre 1971, Saint Maximilien fut canonisé, reconnu martyre de la foi le 10 octobre 1982 en présence de Franciszek Gajowniczek.

Pour vous, mes enfants, pour vous jeunes qui ne cheminerez pas dans la vie avec des témoins de l’horreur, pour vous qui avez besoin de vous identifier à des héros ; regardez Maximilan Kolbe, debout aux côtés de Marin Luther King, d’Oscar Romero, de Dietrich Bonhoeffer au portail ouest de l’abbaye de Westminster. Lancez-vous « dans l’aventure de la miséricorde » qui consiste à « construire des ponts et à abattre des murs de séparation » pour « secourir le pauvre » et « écouter ceux que nous ne comprenons pas, qui viennent d’autres cultures, d’autres peuples, ceux que nous craignons parce que nous croyons qu’ils peuvent nous faire du mal »[9]

« Que notre amour se manifeste particulièrement quand il s’agit d’accomplir des choses qui ne nous sont pas agréables. Pour progresser dans l’amour de Dieu, en effet, nous ne connaissons pas de livre plus beau et plus vrai que Jésus-Christ crucifié. » Saint Maximilien Kolbe.

                                                                       Érik Lambert.


[1] Cf. G. Zeller, La Baraque des prêtres, Dachau, 1938-1945, Paris, Tallandier, 2015.

[2] http://www.enseigner-histoire-shoah.org/outils-et-ressources/fiches-thematiques/les-grandes-etapes-de-la-shoah-1939-1945/etude-de-cas-le-complexe-dauschwitz-birkenau-1940-1945.html

[3] https://www.sudouest.fr/2016/07/29/le-pape-francois-a-auschwitz-seigneur-pardon-pour-tant-de-cruaute-2451508-4834.php   https://www.youtube.com/watch?v=iuPlQK46efE 

[4] https://www.youtube.com/watch?v=Xy2-G6A2Tqk

[5] Karl Fritsch fut un des multiples rouages de la machine exterminatrice d’Auschwitz. Le plus connu, qui reconnut et décrivit toutes les atrocités commises, fut Rudolf Höss qui a inspiré le « roman » de R. Merle, La mort est mon métier paru en 1952.

[6] Signe du destin ? Franciszek signifie François

[7] Aux côtés des 3 000 SS du camp d’Auschwitz, des Kapos, criminels de droit commun chargés de surveiller les autres prisonniers et de les faire travailler. S’ils ne se montrent pas assez efficaces et donc brutaux, ils sont déchus de leur statut et renvoyés avec les autres prisonniers, ce qui signifie pour eux une mise à mort généralement atroce dans la nuit qui suit. De fait, les premiers prisonniers qui arrivèrent à Auschwitz furent trente Kapos allemands.  

[8] ‘ « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15, 9-17)

[9] Pape François, JMJ, Cracovie, 28 juillet 2016.

Abbé Franz Stock

Il est des figures d’Église demeurées trop longtemps ignorées. Celle de Franz Stock en est une. Ce prêtre né en 1904 en Westphalie était l’aîné d’une modeste et fervente famille catholique. Très jeune, Franz aspira à devenir prêtre ; rien de bien original. Mais en 1926, il participa aux rassemblements internationaux de jeunes organisés par Marc Sangnier[1]. Le souci de Sangnier, laïc engagé, consistait à réconcilier l’Église avec le monde moderne et à œuvrer pour la paix. Ce fut une expérience qui marqua le futur séminariste de Paderborn[2]. Il participa avec 800 autres jeunes Allemands au sixième « Congrès démocratique international pour la paix » qui rassembla 6 000 jeunes de 33 pays différents. Il rencontra un Français très engagé socialement, Joseph Folliet[3], qui fonda les Compagnons de Saint-François.  

Favorable à un « pacifisme d’action », Folliet approcha en effet les délégués du Quickborn (on pourrait traduire par fontaine d’eau vive voire fontaine de jouvence) dont l’un des animateurs était Franz Stock. Ce mouvement était d’inspiration franciscaine et invitait à découvrir les bienfaits de la nature, du chant et de la marche[4]. Sa formation de prêtre le conduisit souvent en France et il fut, du reste, le premier étudiant allemand à s’inscrire à l’Institut Catholique de Paris. Fasciné par la France, il maîtrisait à la perfection le français. En 1930, avec le professeur Hans Wirtz, Franz[5] Stock fonda les Pionnieren des Heiliges Franziskus[6], branche allemande du mouvement des Compagnons de Saint-François.

En 1934, le cardinal-archevêque de Paris, monseigneur Verdier le nomma recteur de la paroisse allemande de Paris. Cet intellectuel et artiste qui peignait et lisait avec passion Pascal, Saint-François de Sales et Paul Claudel fut confronté dans son sacerdoce aux conflits qui agitaient l’Allemagne hitlérienne. Sa paroisse était fréquentée par de fervents nazis mais aussi par des réfugiés politiques ou raciaux qui venaient, toutes confessions confondues, chercher aide et secours auprès de Franz Stock.

Quand l’Allemagne occupa la France en 1940, le père Franz Stock devint aumônier des prisons allemandes à Paris. Une de ses tâches fut d’assister les otages et résistants condamnés à mort par les occupants[7]. Il accompagna de multiples condamnés à mort dont Honoré d’Estienne d’Orves, et Gabriel Péri[8], député communiste de Seine-et-Oise et membre du comité central du PCF, qui confia à Franz Stock son alliance afin qu’il la remette à son épouse. L’«aumônier de l’enfer »[9] cousit deux poches à l’intérieur de sa soutane, pour transmettre des objets, des messages et des écrits entre les détenus, leurs familles et leurs proches. Il offrit son soutien pastoral à ceux qui le souhaitaient et visita les détenus des prisons de Fresnes, de la Santé et du Cherche-Midi. À la fin de la guerre, il fut fait prisonnier par les Américains et confié aux Français. Il fut chargé d’organiser puis de diriger le « séminaire des barbelés »[10] rassemblant les séminaristes allemands prisonniers de guerre. L’ambition était de promouvoir la réconciliation et de jeter les bases d’une Europe nouvelle. Plus de 600 prêtres furent formés dans ce séminaire avant qu’il ne fût fermé en juin 1947. Franz Stock resta en France pour s’occuper des Allemands qui y séjournaient, mais les efforts qu’il avait dû déployer pendant la guerre puis à la tête du séminaire l’avaient tellement épuisé qu’il mourut à l’hôpital Cochin le 24 février 1948, âgé de 44 ans.[11] Il fut enterré le 28 février 1948 dans un complet dénuement au cimetière de Thiais. Considéré encore comme prisonnier de guerre, sa famille n’eut pas le droit de venir, et nul hommage ne fut rendu à cet homme de Paix. Apprenant à temps son décès, Mgr Roncalli[12], ignorant les précautions officielles, assista aux obsèques et, au nom de l’Église, rendit à l’abbé Stock l’hommage que la France n’osait lui rendre en affirmant :« Franz Stock, ce n’est pas un nom, c’est un programme ! ». Le 3 juillet 1949, les anciens résistants français rendirent à leur tour hommage à Franz Stock au cours d’une cérémonie commémorative publique au Dôme des Invalides. Enfin, le samedi 15 juin 1963, les restes de l’abbé Stock furent exhumés en présence de nombreux représentants de divers mouvements de la Résistance. Le monument funéraire, offert par les familles des anciens prisonniers et fusillés français, reconnaissantes, fut transféré à Chartres. Beau symbole de réconciliation : ce 15 juin 1963, Franz Stock fut enterré en l’église Saint-Jean-Baptiste de Rechèvres[13] alors qu’était ratifié le traité de Paris pour l’amitié franco-allemande. En 2009, L’archevêque de Paderborn, Mgr Hans-Joseph Becker, ouvrit une procédure de béatification en faveur de Franz Stock qui est en cours d’examen à Rome depuis 2014.

ÉRIK LAMBERT.


[1] Né en 1873, fondateur du Sillon, revue puis mouvement, il nourrit l’ambition de concilier le spiritualisme chrétien et les revendications populaires pour la justice sociale. Aspira à créer un mouvement démocrate-chrétien.
[2] Paderborn, ville du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (Ouest de l’Allemagne) où se trouve un grand séminaire.
[3] Joseph Folliet s’est intéressé à l’apostolat social et à la politique. Ce fut aussi un grand spirituel. Lors d’un voyage à Assise, il découvrit le message franciscain et fonda en 1927 Les Compagnons de Saint François. Il participa aux premières activités de la J.O.C (Jeunesse ouvrière chrétienne), de la J.E.C (Jeunesse étudiante chrétienne) et de la J.A.C (Jeunesse agricole chrétienne). Actif dans le journalisme, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Temps Présent, il dirigea La Chronique Sociale de France. Résistant, Il participa à Témoignage Chrétien et s’engagea dans le réseau Mitterrand des prisonniers de guerre.
Après le conflit, il demeura très engagé pour le respect de la personne humaine, particulièrement lors de la guerre d’Algérie. Il devint prêtre en 1968.
[4] Apparu après la première guerre mondiale dans les cercles catholiques, ce groupement était l’un des nombreux mouvements de jeunesse qui se caractérisaient par le retour vers la nature, l’importance donnée à la communauté, un style de vie simple, la responsabilité du travail de groupe, l’indépendance et la proximité avec les renouveaux théologiques. Les randonnées et les campements en faisaient naturellement partie, l’abstinence d’alcool et de tabac jouait un grand rôle. Le sentiment d’appartenir à une communauté reçut une nouvelle importance grâce à la liturgie : la messe célébrée en communauté, les efforts pour la communion fréquente et surtout le combat pour une nouvelle compréhension des symboles liturgiques furent théologiquement réfléchis et mis en pratique. Celui qui appartenait à l’un de ces groupements de jeunesse pouvait se considérer comme faisant partie de l’avant-garde du catholicisme allemand.
[5] Prénom peut-être prémonitoire…Franz signifie François.
[6] Les pionniers de Saint-François.
[7] F. Stock, Journal de guerre : 1942-1947 : écrits inédits de l’aumônier du Mont Valérien, Cerf.
[8] Honoré d’Estienne d’Orves : https://www.herodote.net/29_aout_1941-evenement-19410829.php
[9] R.Closset, L’Aumônier de l’enfer, Salvator , 1965.
[10] Au Coudray, près de Chartres. https://www.chartres-tourisme.com/explorez/toutes-les-visites/seminaire-des-barbeles-1360810
[11] « Jamais », écrivit le résistant Edmond Michelet, « Franz Stock ne se demande : est-ce un Allemand ou un Français ? Est-il chrétien, juif ou incroyant ? Est-il innocent ou coupable ? Une seule question se posait pour lui : a-t-il besoin de moi ? Comment puis-je alléger ses souffrances ? ».
[12] Futur Jean XXIII.
[13] https://www.chartres-tourisme.com/explorez/toutes-les-visites/eglise-saint-jean-baptiste-de-rechevres-1360797