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PIE IX, UN PAPE À L’IMAGE DE SON SIÈCLE : ENTRE LIBÉRALISATION ET CONSERVATISME

1. Un contexte agité, …

Pape Pie IX

Entre 1800 et 1850, l’Europe, voire une partie du monde, s’engagèrent dans de profondes mutations. Cette évolution fut économique, sociale et politique. Les pays les plus avancés du continent, s’ouvrirent aux spectaculaires changements nés de l’ère industrielle et de l’émergence des aspirations nationales. La Révolution et l’Empire avaient bouleversé un ordre multiséculaire que les puissances réunies au Congrès de Vienne de l’automne 1814 au printemps 1815 décidèrent de rétablir. Il s’agissait d’un retour à l’Ancien Régime et à ses valeurs en établissant une Sainte-Alliance sous protection divine, destinée à éviter l’épidémie des principes de 1789. Pourtant, les élites intellectuelles, les artistes ; tous les romantiques,[1] s’enflammèrent et n’hésitèrent pas à prendre les armes pour propager les ferments d’un monde nouveau. Le succès fut au rendez-vous en Grèce et en Belgique mais connut des fins tragiques dans bien d’autres lieux. Le printemps des peuples de 1848 encouragé par les trois jours de février, ceux qui virent, la monarchie orléaniste s’effondrer et le trône de Louis-Philippe 1er brûler[2] au pied de la colonne de juillet. Un véritable bouillonnement agita l’Europe entre révolutions et réactions. Les mouvements de 1848 concentrèrent les revendications : désir de Constitution garantissant les libertés fondamentales, aspiration à l’indépendance ou à l’unité nationale. Jusqu’en juin 1848, les révolutionnaires semblèrent obtenir ce qu’ils escomptaient en faisant ployer l’ordre établi en 1815. Toutefois, l’été 1848 mit fin à leurs illusions et les monarchies rétablirent la situation qui prévalait lors du Congrès de Vienne.

C’est durant ce siècle éminemment révolutionnaire que Giovanni Maria Mastai Ferretti devint Pape sous le nom de Pie IX. Ce pontificat, long de 32 ans fut le plus long et l’un des plus tourmentés de l’Histoire de l’Église. Franciscain, Pie IX fut confronté à tous les soubresauts d’un siècle qui en fut fertile. Face à ces défis, il commença par offrir une image d’ouverture à la modernité…     

ÉRIK LAMBERT


[1] Lord Byron fut l’un des martyrs de la cause. « Lord Byron est mort à Missolonghi, le 19 avril, après 10 jours de maladie. Une inflammation de poitrine est la cause de cet événement. », in Le Drapeau blanc, 18 mai 1824.

[2] https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/embrasement-du-trone-de-louis-philippe-place-de-la-bastille-le-24-fevrier#infos-principales

Elpdius MarkötTer

Elpidius Markötter (1911 – 1942)

Le 30 janvier 1933, Adolf Hitler devenait chancelier allemand. Si nombre de citoyens adhéraient aux idées, voire aux mesures adoptées par les dirigeants de l’Allemagne « millénaire » ; pour certains Allemands, cet événement fut le début de la nuit[1] et d’un engagement pour la défense d’une certaine idée de l’humanité.
La résistance était très difficile à mener dans un pays totalitaire qui pratiquait une répression impitoyable. Les communistes organisèrent un réseau de renseignement appelé « L’orchestre rouge »[2]. Les protestants de Martin Niemöller ou de Dietrich Bonhoeffer et les jeunes de « La Rose Blanche » prirent l’initiative de résister. De tels actes conduisaient à la mort des traîtres, à la hache, souvent dans les locaux de la prison de Plötzensee[3].   

Les catholiques ne furent pas en reste. Si le Saint-Siège signa un concordat le 20 juillet 1933, le Pape Pie XI affirma son opposition à l’idéologie nazie. L’Encyclique Mit Brennender Sorge, volontairement rédigée en allemand en mars 1937, lue en chaire dans toutes les églises d’Allemagne à la faveur du dimanche des Rameaux, manifesta l’opposition pontificale aux doctrines nazies. Les conséquences furent immédiates : la déportation de plus de 300 prêtres à Dachau. Le 13 avril 1938, le Syllabus[4] contre le racisme fut diffusé auprès des établissements catholiques du monde entier.

Parmi tous ceux qui se levèrent pour des raisons philosophiques ou religieuses, se trouvait Josef Markötter. Il était le fils d’un commis de poste Hermann Markötter, et de son épouse Elisabeth. Il suivit un cursus primaire à l’école de Südlohn puis, en 1925, fréquenta l’école du recteur de la petite ville de Rhénanie-du-Nord-Westphalie[5], Stadtlohn. De 1926 à 1932, il entreprit des études secondaires au St. Ludwig Franciscan College de Vlodrop, aux Pays-Bas, tenu par des franciscains allemands[6]. Le 14 avril 1932, il entra au noviciat de la Province franciscaine saxonne à Warendorf et prit le nom religieux d’Elpidius. Il étudia la philosophie et la théologie à Dorsten et Paderborn. Il prononça des vœux solennels le 23 avril 1936 et fut ordonné prêtre le 27 mars 1939 à Paderborn[7], là où il avait suivi des études de philosophie et de théologie. À Pâques 1939, il prit un poste d’enseignant au collège des missions de la province de l’ordre du sud du Brésil au couvent de Garnstock près d’Eupen, en Belgique. Il y fit un discours « Sendung der Liebe »[8] qui marqua les esprits des jeunes missionnaires. Il participa à un ouvrage fort de quatre volumes, Die Ostkirche betet[9] dirigé par le père franciscain martyr Kilian Kirchhoff. Cette contribution illustra ses aptitudes intellectuelles ; il s’agissait en effet de traduire du grec en allemand des hymnes des Églises orientales transmis par un moine russe du mont Athos, Vassili Kriwoszein.

Les franciscains rejetèrent pour la plupart le nouvel Zeitgeist[10] qui animait la « révolution nationale-socialiste ». Le nouveau régime athée s’attaquait volontiers à cette « superstition nuisible » même si dans ses bouffées délirantes Hitler considérait Jésus comme le précurseur du « combattant aryen » luttant contre « le pouvoir et les prétentions des pharisiens corrompus » et le « matérialisme juif ». Le régime s’attaqua aux couvents surveillant les pèlerinages et les retraites tout comme les activités des franciscains. Ainsi, le collège de St. Ludwig (Vlodrop) perdit le droit de préparer à l’Abitur[11] en 1938 ; il fut fermé en 1940. Les élèves du secondaire durent intégrer des lycées publics, où ils furent rétrogradés d’une classe. Un collège ouvert à Warendorf en 1932 dut également fermer en 1939. Parfois, les franciscains s’abstinrent de porter l’habit à l’extérieur du couvent tant ils étaient exposés à l’hostilité dans la rue, sensible à la propagande nazie. Même si, parfois, certains parmi les franciscains, considérèrent la discipline et l’ordre exigés par l’armée comme bénéfiques pour les jeunes religieux, les autorités poursuivirent une politique menaçante vis-à-vis des frères.

Ainsi, durant la guerre, les locaux de plusieurs couvents furent confisqués par la Wehrmacht ou la Gestapo et utilisés pour des activités médicales ou militaires. L’admission des novices fut interdite à partir de 1940, nombre d’écoles furent fermées, les pèlerinages interdits dès 1941.

Dans ce contexte, Elpidius Markötter, rétif au national-socialisme, fut conforté dans son rejet de l’idéologie nazie lorsque la Pologne fut envahie en septembre 1939. Le Garnstocker Kolleg souffrit de l’absence d’étudiants en nombre suffisant et Elpidius fut envoyé à Warendorf[12], d’abord comme sous-maître des novices, puis comme prêtre en paroisse. Lors de cette période, il assista aux exactions dont furent victimes les juifs et à la violence de l’occupation.

Le 26 mai 1940, Markötter prononça un sermon dans lequel il affirmait la primauté de la fraternité quelle que fut l’origine des hommes. Le texte circula et le 4 juin 1940, il fut arrêté par la Gestapo pour avoir contrevenu à la loi. Il fut transféré dans une prison de Münster. Lors de son procès qui se tint à Dortmund, le 1er novembre 1940 Markötter argua de sa foi chrétienne pour justifier les propos tenus à la faveur de son sermon. Pour le droit de l’occupant, il avait violé la loi en évoquant la question juive. En janvier 1941, après avoir subi des sévices, il fut déporté vers le camp de concentration de Sachsenhausen[1]. Sans parvenir à célébrer, il rédigea en latin, avec d’autres prêtres détenus, les textes de messe afin que tous puissent prier. Le 26 septembre 1941, Markötter fut transféré comme d’autres prêtres à Dachau au bloc 26 réservé aux religieux catholiques[2]. Affaibli par les conditions épouvantables de survie, il tomba malade au printemps 1942 et mourut dans les bras d’un franciscain hollandais.

Nombreux furent les martyrs franciscains, résolus à combattre au nom de la foi l’idéologie païenne mortifère des bourreaux nazis. Elpidius Markötter fut l’un d’eux, L’urne contenant ses cendres fut déposée à Warendorf.

Érik LAMBERT


[1] Cf.E. Wiesel, La Nuit, Éditions de minuit.

[2] Die Rote Kapelle, organisé par Leopold Trepper popularisé -à tort ? – par Gilles Perrault, dans son livre, L’Orchestre rouge et par le film de Jacques Rouffio. Le sacrifice de Libertas Schulze-Boysen et de son mari le 19 décembre 1942 mérite toute notre attention.

[3] Justizvollzugsanstalt à Berlin, „tribunal du peuple“ ou sévit le sinistre Roland Freisler. https://www.gdw-berlin.de/fileadmin/bilder/publikationen/gedenkstaette_ploetzensee/franzoesisch-screen.pdf

[4] Du grec, comprendre, résumer, avec, et prendre. En latin : sommaire, liste. Recueil des questions tranchées par le pouvoir ecclésiastique.

[5] Ouest de l’Allemagne. La capitale de ce Land est Düsseldorf et la ville la plus peuplée est Cologne.

[6] Province du Limboug, Sud-Est des Pays-Bas où se trouve Maastricht. Vlodrop est un petit village où se trouvait un monastère franciscain.

[7] Demeure une communauté franciscaine. La ville est située dans le même Land que Südlohn.

[8] On pourrait traduire par « mission d’Amour » ou « mission de charité »

[9] L’Église d’Orient prie.

[10] Der Zeitgeist, « l’air du temps »

[11] Das Abitur, équivalent allemand du BAC.

[12] https://www.klosterlandschaft-westfalen.de/de/kloster/ehemaliges-franziskanerkloster-warendorf_warendorf/ Le couvent franciscain de Wiedenbrück (Franziskanerkloster Wiedenbrück) est un couvent franciscain situé en Wesphalie orientale. Un site se trouve aussi à proximité, à Wrendorf.

[13] Cinq camps furent construits dans les années 1930. Le premier de ces Konzentrazionslager ou KZ fut Dachau, près de Munich. Ouvert après l’l’incendie du Reichstag, il était destiné aux opposants politiques. Vinrent ensuite Orianienburg-Sachsenhausen (Près de Berlin), Buchenwald, Flossenbürg, Ravensbrück (réservé aux femmes) et Mauthausen, en Autriche. En 1939, l’ensemble de ces camps comptait 25 000 détenus, essentiellement des opposants politiques.

[14] J.Bernard, Bloc des prêtres 25487 – Dachau 1941-1942 ou G.Zeller, La Barraque des prêtres, 1938-1941.

Antonin Bajewski

Ils furent plus d’un million à mourir entre le 27 avril 1940 et le 27 janvier 1945. La plupart moururent d’être nés juifs mais d’autres périrent de leur opposition au totalitarisme nazi. Un certain nombre étaient des religieux chrétiens venus des quatre coins de l’Europe. Certes, Dachau fut le lieu privilégié d’internement des ecclésiastiques[1] mais d’autres lieux les « accueillirent ». Si la figure de Maximilian Kolbe hante les murs du plus grand camp de concentration et d’extermination du IIIe Reich, les franciscains martyrs de Niepokalanów[2] furent au moins 6.

Niepokalanów, le château de Marie, située à Teresin, 40 kilomètres à l’ouest de Varsovie, fut fondé en 1927 par Saint-Maximilien Kolbe. C’est en effet en ce lieu que Kolbe y installa le siège de la Chevalerie de l’Immaculée, association mariale. Avant la seconde guerre, 760 frères franciscains vivaient au monastère qui était un lieu de publication de magazines religieux et un centre radiophonique. La guerre conduisit les frères à accueillir des soldats blessés et des réfugiés, de toutes confessions. La répression nazie s’abattit donc sur eux. Parmi les frères, l’un d’entre eux partagea le sort de Maximilan Kolbe : Jan Eugen Bajewski.  Il était né à Vilnius en Lituanie le 17 janvier 1915. Il montra de belles aptitudes scolaires et maîtrisait plusieurs langues. Après de solides études et malgré de vives réticences de sa famille, il décida en juin 1933 de se consacrer à Dieu. Certain de sa vocation, il hésita toutefois entre la prêtrise diocésaine et le clergé régulier. Échangeant avec ses coreligionnaires du séminaire de Vilnius, il considéra que l’appel à la vie religieuse était si intense qu’il quitta le séminaire pour rejoindre les conventuels franciscains[3]. Il fut admis le 17 août 1934 au sein de la Province polonaise sous le nom de frère Antonin. Il effectua son noviciat à Niepokalanów et prononça ses vœux temporaires en septembre1935 puis partit au séminaire franciscain de Cracovie[4] afin d’étudier la théologie. Il s’engagea définitivement en novembre 1938 et fut ordonné prêtre en mai 1939 et rejoignit Niepokalanów. Très rapidement, Maximilian Kolbe le choisit comme vicaire. Il manifesta une foi profonde, une grande douceur vis-à-vis des autres. De santé fragile, il fut admis durant les premiers mois à l’infirmerie située à quelques kilomètres de la communauté. Il y fut surpris par le déclenchement des hostilités en septembre 1939, ce qui lui permit d’échapper à l’arrestation frappant la plupart des frères de la communauté. Pourtant, il fut arrêté avec Maximilian Kolbe et trois autres frères et enfermé à la prison Pawiak de Varsovie. Durant cette détention, il soutint spirituellement les autres prisonniers et offrit ses rations de nourriture. Bien que cela fut une cause de mauvais traitements, il conserva ses habits franciscains et fut transféré début avril 1941 à Auschwitz. Il fut sauvagement battu à son arrivée, tatoué du numéro 12764. Rapidement il fut malade du typhus, continua pourtant à se dévouer aux autres au péril de sa vie et mourut le 8 mai 1941. Avant de rendre son dernier soupir, lors de son ultime confession, il dit au frère Szweda : « Dites à mes frères de Niepokalanów que je suis mort en fidélité avec le Christ et la Vierge Marie ». Il fut béatifié par Jean-Paul II parmi les 108 martyrs de la seconde guerre mondiale par le 13 juin 1999.

Érik Lambert.


[1] G.Zeller, La Baraque des prêtres, Dachau, 1938-1945, Paris, Tallandier, 2017, 320 pages.
[2] Béatifiés par Jean-Paul II le 13 juin 1999. M.Kolbe canonisé en 1982.
[3] Les Frères Mineurs Conventuels constituent une des trois branches de l’Ordre fondé par Saint François d’Assise sous le nom de ‘Frères Mineurs’. La qualification ‘Conventuels’ a été ajoutée, provient du latin ‘cum venire’ qui signifie se réunir. Ce sont donc des frères qui vivent dans des couvents.
[4] http://www.lamortdanslart.com/danse/Pologne/dmcracovie.htm http://www.krakow.travel/fr/226-krakow-bernardine-church

Maximilian Kolbe

Maximilian Kolbe
1894 – 1941

Dans ma prime jeunesse, je fus souvent témoin de vives discussions dans ma famille, particulièrement lorsque nous nous rendions en Autriche. Nos racines franco-autrichiennes avaient conduit certains à s’engager dans la résistance et d’autres à nourrir des sympathies pour les thèses nazies. Même si les éclats de voix s’achevaient autour d’un Apfelstrudel et de verres de Schnaps, mon esprit était toutefois sollicité par ces controverses. Mon grand-père, actif FFI durant le conflit, profitait des vacances pour me faire découvrir des lieux de mémoire et me conter l’histoire de personnages peu ordinaires. En cela, il marchait dans les pas de mes instituteurs, férus du roman national. Avec le recul du temps, maintenant qu’il a disparu, son visage surgit parfois au détour d’un lieu, au fil d’une ligne dans un livre, au gré d’une exposition ou d’un spectacle. Devenu adulte, je pus me rendre là, où vécurent, où moururent ces femmes et ces hommes, dont les noms étaient demeurés dans ma mémoire. Ainsi, à plusieurs reprises, me suis-je rendu à Auschwitz-Birkenau. L’expérience ne peut laisser indemne tant les stigmates de l’horreur sont présents. On y côtoie les manifestations diaboliques de l’âme humaine mais aussi l’Amour de Dieu. Parmi tous les héros qui peuplèrent les récits de mon enfance figurait Maximilian Kolbe. 

Si les nazis avaient regroupé les religieux dans un même camp de concentration, celui de Dachau, certains échappèrent à cette logique. De 1938 à 1945, 2 720 prêtres, séminaristes et moines catholiques furent déportés par les nazis, ainsi qu’environ 141 pasteurs protestants et prêtres orthodoxes[1]. En Pologne, le plus grand complexe concentrationnaire du Troisième Reich est resté quasiment dans l’état où les Soviétiques le trouvèrent le 27 janvier 1945. Lorsque l’on arrive sur ce lieu plongé dans un silence sépulcral, on est saisi par l’immensité du site : entre 40 et 55 kilomètres carrés[2]. Le 29 juillet 2016, le Pape François fut bouleversé par ce calme lugubre lorsqu’il pria longuement dans la cellule où mourut Maximilian Kolbe[3]. Dans le livre d’or, François écrivit cette phrase qu’il signa :« Seigneur, aie pitié de ton peuple, Seigneur, pardon pour tant de cruauté ».

C’est en ce lieu, où je retins difficilement mes larmes, au bloc 11 du bâtiment 18, que ’ai retrouvé celui dont m’avait parlé mon grand-père des dizaines d’années auparavant. Un prêtre franciscain qui donna sa vie pour un de ses frères humains.

Le parcours de Saint-Maximilien Kolbe fut singulier[4]. En effet, adversaire résolu du national-socialisme et du communisme, il menait par ailleurs un véhément combat contre les juifs, considérant que le judaïsme était un « cancer qui ronge le corps du peuple ». Le fervent catholicisme que nourrissaient les Polonais conduisait en ces années à un sévère antisémitisme et rien ne prédisposait le frère franciscain à protéger les enfants d’Israël.

Né Rajmund Kolbe, en 1894 dans une famille très pieuse, de parents tisserands et tertiaires franciscains, il eut en 1906 une vision de la Vierge de Czestochowa qui l’incita à entrer en religion. Dans cette vision, la Vierge lui aurait proposé deux couronnes : une blanche pour la pureté et une rouge pour le martyre. Elle lui aurait demandé de choisir ; il aurait accepté les deux. Dès 1910, à l’âge de 16 ans, il rejoignit l’Ordre des Frères Franciscains conventuels à Lvov, où il reçut le nom de frère Maximilien Marie.

En 1912, il fut envoyé à Rome pour poursuivre ses études et fut ordonné prêtre le 28 avril 1918 avant de devenir docteur en philosophie et théologie l’année suivante. En octobre 1917, avant d’être ordonné prêtre par le cardinal Basilio Pompii, il avait fondé avec six confrères la Milice des Chevaliers de l’Immaculée, mouvement marial au service de l’Église et du monde.
Sensible aux moyens de communication d’alors, soucieux de remplir sa mission d’évangélisation, il créa par ailleurs un mensuel spirituel afin de diffuser la pensée de la Milice puis imagina un centre de vie religieuse et apostolique appelé « la Cité de l’Immaculée », « Niepokalanow ». Cette communauté regroupa environ 600 religieux. En 1922, pour promouvoir le culte de Marie, il fonda en son honneur, un quotidien, Le Chevalier de l’Immaculée tiré à 300 000 exemplaires pour atteindre un million d’exemplaires en 1938. Le quotidien était vendu bon marché afin de toucher les plus démunis. Toujours avide d’annoncer l’évangile, il fonda ensuite une maison d’édition et lança une station de radio qui avaient aussi l’ambition de lutter contre le sionisme et la franc-maçonnerie, de convertir schismatiques et juifs. Porteur d’évangile, au service de Marie, il se rendit en 1930 au Japon avec quatre frères et y fonda un couvent sur une colline proche de Nagasaki, le « Jardin de l’immaculée ». Curieusement, ce fut le seul bâtiment resté debout lors de l’explosion de la bombe atomique en 1945.

Revenu en Pologne en 1936, il assista à l’invasion du pays par les troupes allemandes puis soviétiques. La fraternité de Maximilian Kolbe hébergea alors des réfugiés polonais catholiques ou juifs. Les nazis l’arrêtèrent avec ses frères franciscains puis le relâchèrent après lui avoir fait subir des sévices. En février 1941, il fut à nouveau arrêté par la Gestapo pour avoir accueilli des réfugiés. Interné à Varsovie, il fut transféré à Auschwitz le 28 mai 1941. Or, afin de décourager les évasions, il était établi à Auschwitz que si un homme s’échappait, dix hommes seraient tués en représailles. En juillet 1941, un homme ayant fui, le commandant Karl Fritsch[5] dit aux prisonniers « Vous allez tous payer pour cela. Dix d’entre vous seront enfermés dans le bunker de famine sans nourriture ni eau jusqu’à leur mort ». Les dix furent sélectionnés. Parmi eux, Franciszek Gajowniczek, sergent de l’armée polonaise, emprisonné pour avoir aidé la résistance polonaise. Franciszek[6] se serait alors écrié : Ma pauvre femme ! Mes pauvres enfants ! Que vont-ils faire ?’ Quand il poussa ce cri de détresse, le Père Maximilian Kolbe s’avança et aurait dit au commandant : « Je suis prêtre catholique. Laisse-moi prendre sa place. Je suis vieux. Il a une femme et des enfants. » Le commandant Fritsch accepta la substitution. Maximilian Kolbe fut donc jeté dans une cellule du bloc des condamnés, avec les neuf autres prisonniers qu’il soutint par la prière et l’oraison ; les hymnes et les psaumes, communs aux Juifs et aux chrétiens. Encore vivant après avoir passé deux semaines sans rien ni boire ni manger, un Kapo[7] lui administra une injection de phénol le 14 août 1941. Son corps fut brûlé le 15 août, jour de la fête de l’Assomption de la Vierge Marie à laquelle il avait voué sa vie[8]. Gajowniczek fut libéré du camp d’Auschwitz ; il avait survécu pendant plus de 5 ans et assura : « Aussi longtemps que j’aurai de l’air dans les poumons, je penserai qu’il est de mon devoir de parler aux gens de l’acte d’amour héroïque accompli par Maximilien Kolbe. ». Béatifié le 17 octobre 1971, Saint Maximilien fut canonisé, reconnu martyre de la foi le 10 octobre 1982 en présence de Franciszek Gajowniczek.

Pour vous, mes enfants, pour vous jeunes qui ne cheminerez pas dans la vie avec des témoins de l’horreur, pour vous qui avez besoin de vous identifier à des héros ; regardez Maximilan Kolbe, debout aux côtés de Marin Luther King, d’Oscar Romero, de Dietrich Bonhoeffer au portail ouest de l’abbaye de Westminster. Lancez-vous « dans l’aventure de la miséricorde » qui consiste à « construire des ponts et à abattre des murs de séparation » pour « secourir le pauvre » et « écouter ceux que nous ne comprenons pas, qui viennent d’autres cultures, d’autres peuples, ceux que nous craignons parce que nous croyons qu’ils peuvent nous faire du mal »[9]

« Que notre amour se manifeste particulièrement quand il s’agit d’accomplir des choses qui ne nous sont pas agréables. Pour progresser dans l’amour de Dieu, en effet, nous ne connaissons pas de livre plus beau et plus vrai que Jésus-Christ crucifié. » Saint Maximilien Kolbe.

                                                                       Érik Lambert.


[1] Cf. G. Zeller, La Baraque des prêtres, Dachau, 1938-1945, Paris, Tallandier, 2015.

[2] http://www.enseigner-histoire-shoah.org/outils-et-ressources/fiches-thematiques/les-grandes-etapes-de-la-shoah-1939-1945/etude-de-cas-le-complexe-dauschwitz-birkenau-1940-1945.html

[3] https://www.sudouest.fr/2016/07/29/le-pape-francois-a-auschwitz-seigneur-pardon-pour-tant-de-cruaute-2451508-4834.php   https://www.youtube.com/watch?v=iuPlQK46efE 

[4] https://www.youtube.com/watch?v=Xy2-G6A2Tqk

[5] Karl Fritsch fut un des multiples rouages de la machine exterminatrice d’Auschwitz. Le plus connu, qui reconnut et décrivit toutes les atrocités commises, fut Rudolf Höss qui a inspiré le « roman » de R. Merle, La mort est mon métier paru en 1952.

[6] Signe du destin ? Franciszek signifie François

[7] Aux côtés des 3 000 SS du camp d’Auschwitz, des Kapos, criminels de droit commun chargés de surveiller les autres prisonniers et de les faire travailler. S’ils ne se montrent pas assez efficaces et donc brutaux, ils sont déchus de leur statut et renvoyés avec les autres prisonniers, ce qui signifie pour eux une mise à mort généralement atroce dans la nuit qui suit. De fait, les premiers prisonniers qui arrivèrent à Auschwitz furent trente Kapos allemands.  

[8] ‘ « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15, 9-17)

[9] Pape François, JMJ, Cracovie, 28 juillet 2016.

Abbé Franz Stock

Il est des figures d’Église demeurées trop longtemps ignorées. Celle de Franz Stock en est une. Ce prêtre né en 1904 en Westphalie était l’aîné d’une modeste et fervente famille catholique. Très jeune, Franz aspira à devenir prêtre ; rien de bien original. Mais en 1926, il participa aux rassemblements internationaux de jeunes organisés par Marc Sangnier[1]. Le souci de Sangnier, laïc engagé, consistait à réconcilier l’Église avec le monde moderne et à œuvrer pour la paix. Ce fut une expérience qui marqua le futur séminariste de Paderborn[2]. Il participa avec 800 autres jeunes Allemands au sixième « Congrès démocratique international pour la paix » qui rassembla 6 000 jeunes de 33 pays différents. Il rencontra un Français très engagé socialement, Joseph Folliet[3], qui fonda les Compagnons de Saint-François.  

Favorable à un « pacifisme d’action », Folliet approcha en effet les délégués du Quickborn (on pourrait traduire par fontaine d’eau vive voire fontaine de jouvence) dont l’un des animateurs était Franz Stock. Ce mouvement était d’inspiration franciscaine et invitait à découvrir les bienfaits de la nature, du chant et de la marche[4]. Sa formation de prêtre le conduisit souvent en France et il fut, du reste, le premier étudiant allemand à s’inscrire à l’Institut Catholique de Paris. Fasciné par la France, il maîtrisait à la perfection le français. En 1930, avec le professeur Hans Wirtz, Franz[5] Stock fonda les Pionnieren des Heiliges Franziskus[6], branche allemande du mouvement des Compagnons de Saint-François.

En 1934, le cardinal-archevêque de Paris, monseigneur Verdier le nomma recteur de la paroisse allemande de Paris. Cet intellectuel et artiste qui peignait et lisait avec passion Pascal, Saint-François de Sales et Paul Claudel fut confronté dans son sacerdoce aux conflits qui agitaient l’Allemagne hitlérienne. Sa paroisse était fréquentée par de fervents nazis mais aussi par des réfugiés politiques ou raciaux qui venaient, toutes confessions confondues, chercher aide et secours auprès de Franz Stock.

Quand l’Allemagne occupa la France en 1940, le père Franz Stock devint aumônier des prisons allemandes à Paris. Une de ses tâches fut d’assister les otages et résistants condamnés à mort par les occupants[7]. Il accompagna de multiples condamnés à mort dont Honoré d’Estienne d’Orves, et Gabriel Péri[8], député communiste de Seine-et-Oise et membre du comité central du PCF, qui confia à Franz Stock son alliance afin qu’il la remette à son épouse. L’«aumônier de l’enfer »[9] cousit deux poches à l’intérieur de sa soutane, pour transmettre des objets, des messages et des écrits entre les détenus, leurs familles et leurs proches. Il offrit son soutien pastoral à ceux qui le souhaitaient et visita les détenus des prisons de Fresnes, de la Santé et du Cherche-Midi. À la fin de la guerre, il fut fait prisonnier par les Américains et confié aux Français. Il fut chargé d’organiser puis de diriger le « séminaire des barbelés »[10] rassemblant les séminaristes allemands prisonniers de guerre. L’ambition était de promouvoir la réconciliation et de jeter les bases d’une Europe nouvelle. Plus de 600 prêtres furent formés dans ce séminaire avant qu’il ne fût fermé en juin 1947. Franz Stock resta en France pour s’occuper des Allemands qui y séjournaient, mais les efforts qu’il avait dû déployer pendant la guerre puis à la tête du séminaire l’avaient tellement épuisé qu’il mourut à l’hôpital Cochin le 24 février 1948, âgé de 44 ans.[11] Il fut enterré le 28 février 1948 dans un complet dénuement au cimetière de Thiais. Considéré encore comme prisonnier de guerre, sa famille n’eut pas le droit de venir, et nul hommage ne fut rendu à cet homme de Paix. Apprenant à temps son décès, Mgr Roncalli[12], ignorant les précautions officielles, assista aux obsèques et, au nom de l’Église, rendit à l’abbé Stock l’hommage que la France n’osait lui rendre en affirmant :« Franz Stock, ce n’est pas un nom, c’est un programme ! ». Le 3 juillet 1949, les anciens résistants français rendirent à leur tour hommage à Franz Stock au cours d’une cérémonie commémorative publique au Dôme des Invalides. Enfin, le samedi 15 juin 1963, les restes de l’abbé Stock furent exhumés en présence de nombreux représentants de divers mouvements de la Résistance. Le monument funéraire, offert par les familles des anciens prisonniers et fusillés français, reconnaissantes, fut transféré à Chartres. Beau symbole de réconciliation : ce 15 juin 1963, Franz Stock fut enterré en l’église Saint-Jean-Baptiste de Rechèvres[13] alors qu’était ratifié le traité de Paris pour l’amitié franco-allemande. En 2009, L’archevêque de Paderborn, Mgr Hans-Joseph Becker, ouvrit une procédure de béatification en faveur de Franz Stock qui est en cours d’examen à Rome depuis 2014.

ÉRIK LAMBERT.


[1] Né en 1873, fondateur du Sillon, revue puis mouvement, il nourrit l’ambition de concilier le spiritualisme chrétien et les revendications populaires pour la justice sociale. Aspira à créer un mouvement démocrate-chrétien.
[2] Paderborn, ville du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (Ouest de l’Allemagne) où se trouve un grand séminaire.
[3] Joseph Folliet s’est intéressé à l’apostolat social et à la politique. Ce fut aussi un grand spirituel. Lors d’un voyage à Assise, il découvrit le message franciscain et fonda en 1927 Les Compagnons de Saint François. Il participa aux premières activités de la J.O.C (Jeunesse ouvrière chrétienne), de la J.E.C (Jeunesse étudiante chrétienne) et de la J.A.C (Jeunesse agricole chrétienne). Actif dans le journalisme, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Temps Présent, il dirigea La Chronique Sociale de France. Résistant, Il participa à Témoignage Chrétien et s’engagea dans le réseau Mitterrand des prisonniers de guerre.
Après le conflit, il demeura très engagé pour le respect de la personne humaine, particulièrement lors de la guerre d’Algérie. Il devint prêtre en 1968.
[4] Apparu après la première guerre mondiale dans les cercles catholiques, ce groupement était l’un des nombreux mouvements de jeunesse qui se caractérisaient par le retour vers la nature, l’importance donnée à la communauté, un style de vie simple, la responsabilité du travail de groupe, l’indépendance et la proximité avec les renouveaux théologiques. Les randonnées et les campements en faisaient naturellement partie, l’abstinence d’alcool et de tabac jouait un grand rôle. Le sentiment d’appartenir à une communauté reçut une nouvelle importance grâce à la liturgie : la messe célébrée en communauté, les efforts pour la communion fréquente et surtout le combat pour une nouvelle compréhension des symboles liturgiques furent théologiquement réfléchis et mis en pratique. Celui qui appartenait à l’un de ces groupements de jeunesse pouvait se considérer comme faisant partie de l’avant-garde du catholicisme allemand.
[5] Prénom peut-être prémonitoire…Franz signifie François.
[6] Les pionniers de Saint-François.
[7] F. Stock, Journal de guerre : 1942-1947 : écrits inédits de l’aumônier du Mont Valérien, Cerf.
[8] Honoré d’Estienne d’Orves : https://www.herodote.net/29_aout_1941-evenement-19410829.php
[9] R.Closset, L’Aumônier de l’enfer, Salvator , 1965.
[10] Au Coudray, près de Chartres. https://www.chartres-tourisme.com/explorez/toutes-les-visites/seminaire-des-barbeles-1360810
[11] « Jamais », écrivit le résistant Edmond Michelet, « Franz Stock ne se demande : est-ce un Allemand ou un Français ? Est-il chrétien, juif ou incroyant ? Est-il innocent ou coupable ? Une seule question se posait pour lui : a-t-il besoin de moi ? Comment puis-je alléger ses souffrances ? ».
[12] Futur Jean XXIII.
[13] https://www.chartres-tourisme.com/explorez/toutes-les-visites/eglise-saint-jean-baptiste-de-rechevres-1360797

PIE XI : Un pape dans son temps

2ème épisode : Un pape engagé dans la tempête de l’entre-deux-guerres.

L’encyclique Quas Primas du 11 décembre 1925 institua la fête du Christ-Roi montrant le souci de Pie XI de faire pénétrer l’esprit chrétien dans la législation des peuples et de faire reconnaître juridiquement par les Etats, l’Eglise comme souveraineté spirituelle et supranationale. Fidèle à cette ambition, il signa de multiples concordats[1] avec les états baltes (1922-1927), la Pologne en 1925, la Tchécoslovaquie et le Portugal en 1928, la Yougoslavie (1935), la Roumanie (1939). Le rétablissement de relations normales avec l’Etat italien par les accords du Latran de 1929, signés avec Mussolini nourrissait une volonté diplomatique affirmée. Certes, a posteriori, l’accord du 11 février 1929 peut heurter mais il répondait au souci du Pape de donner à l’institution une existence temporelle. Il s’agissait d’un traité politique qui réglait la « question romaine » [2]. Le concordat comportait par ailleurs un volet financier et déclarait le catholicisme seule religion de l’État italien, rendant obligatoire l’enseignement catholique dans les écoles primaires et secondaires et reconnaissant au droit canonique  ses effets civils[3]. Nul doute que ce fut aussi un précieux succès de prestige pour le dictateur italien Benito Mussolini. Sensible au monde de son temps, Pie XI refusa les intransigeances catholiques qui guidaient l’action de Pie X. Il se voulait fervent défenseur des droits de l’Église et d’une conception chrétienne de la société face à un contexte de l’entre-deux-guerres qui suscitait engagements politiques, positionnements et reconfigurations des lignes de fracture au sein du monde catholique. Le xixe siècle avait été celui de positions intransigeantes de refus de la modernité et de retrait de la vie publique, tel ne fut pas l’esprit du pontificat d’Achille Ratti. Ainsi, avec Pie XI, la question de l’intervention, de la norme et de l’action des catholiques fut fondamentale. Une appréhension nouvelle de l’articulation entre autorité hiérarchique institutionnelle et responsabilité individuelle des catholiques fut cultivée dans ce contexte mouvementé. 
A l’égard de l’Allemagne hitlérienne, Pie XI crut pouvoir parvenir à un modus vivendi qui l’incita à conclure un concordat avec von Papen[4] le 20 juillet 1933. 
Pourtant, les rapports du Saint-Siège avec les régimes totalitaires se détériorèrent. Pie XI engagea une lutte contre les totalitarismes au nom de la dignité chrétienne. Ce fut d’abord avec l’homme de Predappio[5]lorsque l’État fasciste nourrit l’ambition d’embrigader les jeunesses catholiques, ce que le souverain pontife dénonça en 1931 par l’encyclique rédigée en italien Non Abbiamo bisogno
1937 fut l’année de l’apaisement[6]. Pourtant, le développement du racisme national-socialiste, de la propagande néo-païenne, de la mobilisation politique de la jeunesse allemande, conduisit Pie XI à lancer contre l’hitlérisme l’encyclique Mit Brennender Sorge[7] de mars 1937 dans laquelle il proclama « nous sommes tous des sémites » ! Ce texte adressé exceptionnellement en allemand et non en latin afin que les évêques allemands, puissent le diffuser aisément et qu’il pût être lu dans les églises du pays abordait la « situation religieuse dans le Reich allemand ». Quelques jours plus tard, L’encyclique Divini Redemptoriscondamnait quant à elle le communisme athée considéré « intrinsèquement pervers »avec lequel « l’on ne peut admettre sur aucun terrain la collaboration avec lui de la part de quiconque veut sauver la civilisation chrétienne ».
En revanche, il montra une certaine sympathie pour la « croisade » du général Franco et établit des relations diplomatiques avec lui en juin 1938. 
Un Pape qui s’engagea donc dans les bouleversements de son temps mais aussi un Pape qui nourrit son pontificat de l’esprit franciscain…

ÉRIK LAMBERT.


[1] Concordat : Négociations et texte entre le Saint-Siège et le chef d’un État pour réglementer les rapports du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel.
[2] Question romaine : occupation et annexion des États pontificaux par l’Italie en 1870. À partir des accords du Latran, le Vatican reconnaissait l’Italie et cette dernière reconnaissait le royaume d’Italie avec Rome comme capitale. 
[3] Interdiction du divorce par exemple.
[4] Franz von Papen, conservateur catholique fut  l’ami personnel de plusieurs papes dont Pie XI et Pie XII. Il reçut de Pie XI le titre honorifique de « chambellan du Pape », est fait chevalier de l’ordre souverain de Malte et Grand croix de l’ordre de Pie IX. Il négocia avec Monseigneur Pacelli, devenu Secrétaire d’État et futur Pape Pie XII, le concordat avec l’Allemagne qu’il signa à Rome en 1933. Les relations avec la papauté furent plus difficiles avec les violations répétées du concordat par le régime nazi. Papen joua un rôle important dans le ralliement du primat d’Autriche Theodor Innitzer à l’Anshluss en 1938, que Pacelli et Pie XI déplorèrent. Innitzer déclara : « Les catholiques viennois devraient remercier le Seigneur pour le fait que ce grand changement politique se soit déroulé sans effusion de sang, et prier pour un grand avenir pour l’Autriche. Il va de soi que tout le monde devrait obéir aux ordres des nouvelles institutions ». Les autres évêques autrichiens adoptèrent la même position dans les jours qui suivirent et remercièrent l’Allemagne d’avoir « sauvé l’Autriche du péril bolchevik ». Lors de la publication de cette déclaration de soutien à l’Anschluss, le 18 mars, Innitzer apposa la mention Heil Hitler à côté de sa signature.
[5] Lieu de naissance de Mussolini.
[6] Politique menée par le Premier ministre britannique Neville Chamberlain et suivie par la France qui prône l’« appeasement » (apaisement) à tout prix avec le Führer allemand. Beaucoup de responsables politiques français demeuraient à le remorque de la stratégie du Foreign office. Georges Bonnet d’avril 1938 à septembre 1939 en fut un exemple flagrant. « Apogée » dc cette politique, les accords de Munich de septembre 1938. A sa descente d’avion, Neville Chamberlain, toujours plein d’illusions, n’hésita pas à affirmer que le Führer «est un homme sur qui l’on peut compter lorsqu’il a engagé sa parole».En France, au lendemain des accords de Munich, tous les journaux titrent à la une : La Paix ! Daladier est accueilli à son retour au Bourget par une foule en délire. Pourtant, le 5 octobre 1938, Churchill lança : «Nous avons subi une défaite totale et sans mélange (…). Notre peuple doit savoir que nous avons subi une défaite sans guerre, dont les conséquences nous accompagneront longtemps sur notre chemin». La postérité retint de lui cette formule, dans une lettre postérieure :«Ils ont accepté le déshonneur pour avoir la paix. Ils auront le déshonneur et la guerre».
[7] On peut traduire : Avec une brûlante inquiètude.

Pie XI : Un Pape dans son temps

1er épisode : La rapide ascension, …

La mort de Benoît XV ouvrit une période de débats intenses pour identifier les papabili(1), cardinaux déjà titulaires de fonctions importantes au Saint-Siège.
Le contexte d’alors conduisit à établir des candidats considérés comme de « gauche » et d’autres comme de « droite ». Deux questions agitaient alors les catholiques: la question romaine(2) et le rapprochement avec la France(3). L’élection prit dès lors une dimension politique. Or, le cardinal Ratti en adoptant le nom de Pie sembla suggérer une continuité dans la politique vaticane ce qui était propre à rassurer les milieux conservateurs.
Le 24 juin 1923, le Pape rédigea une lettre Quando nel principio prenant ses distances avec la politique de la France et de la Belgique suite à l’occupation de la Ruhr(4) montrant ainsi sa volonté de prendre position dans les affaires diplomatiques.
C’était le début d’un pontificat déterminant dans la vie de l’Église catholique. L’élection de Pie XI engagea en effet une internationalisation de l’Église en ces temps d’entre-deux-guerres troublés mais offrit aussi une impulsion nouvelle à l’évangélisation des « masses » favorable aux mouvements d’action catholique. La doctrine sociale de l’Église fut actualisée et l’esprit missionnaire dynamisé. Pour Pie XI, il s’agissait de convaincre et témoigner dans un monde où les moyens de communication se développaient rapidement. Sensible à l’importance prise alors par l’opinion publique, soucieux du rôle important des medias, il conduisit l’Église à entrer dans le monde de son temps. Qui était-il ce cardinal Achille Ratti, élu à l’âge de 65 ans le 6 février 1922 suite au décès de Benoît XV ?
Il naquit le 31 mai 1857 dans une famille de la bourgeoisie lombarde près de Milan. Avant-dernier fils d’une famille forte de sept enfants dont le père était propriétaire d’une filature de soie, et la mère fille d’un aubergiste. À l’issue de ses études primaires, il rejoignit le petit séminaire. En 1874, il prit l’habit des tertiaires franciscains et en 1879, il entra au séminaire pontifical lombard de Rome. Il fut ordonné prêtre en décembre 1879, à l’âge de 22 ans.

Il rejoignit ensuite les oblats de saint Charles Borromée. Remarqué pour sa vivacité intellectuelle, il devint « docteur » c’est-à-dire conservateur de la bibliothèque Ambrosienne, puis auprès du collégial de la faculté théologique de Milan. Son ascension fut fulgurante. Il devint en 1912 vice-préfet de la Bibliothèque apostolique vaticane puis en assura la direction avant d’être nommé protonotaire apostolique(5).
Sportif, féru d’alpinisme, Il entra dans la carrière diplomatique en 1918 en devenant visiteur apostolique en Pologne, puis nonce et archevêque in partibus de Lépante(6). Il fit preuve d’un grand courage personnel lors du siège de Varsovie par les Soviétiques, en août 1920 et nourrit dès lors un solide anticommunisme.
Le 13 juin 1921, il devint cardinal archevêque de Milan et affirma son intérêt pour les questions d’enseignement et de société. Il assista avec réserve à la montée au pouvoir de Mussolini et engagea le Saint-Siège dans les affaires de son temps : le souci de la montée des dictatures, la menace communiste sans négliger l’œuvre missionnaire et sociale. L’influence franciscaine ne fut pas étrangère à l’intérêt porté à ces questions.

ÉRIK LAMBERT.

(1) Candidat possible au trône papal.
(2)Conflit commencé à la fin du XVIII° siècle autour du pouvoir temporel des Papes.
(3)La France fut en conflit avec Rome dès la mise en place en 1790 de la Constitution Civile du Clergé puis la séparation de l’Église et de l’État de 1795. Le paroxysme fut la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican décidée par Émile Combes le 29 juillet 1904, annonçant la et la loi du 9 décembre 1905 de Séparation des Églises et de l’État.
(4)Le 11 janvier 1923, 60 000 soldats français et belges pénétrèrent dans le bassin de la Ruhr, en Allemagne. Ces troupes qui occupaient déjà la Rhénanie allemande depuis la fin de la Grande Guerre étendent ainsi leur zone d’occupation. … Le prétexte était le non-paiement par l’Allemagne de ses dettes de guerre. Leur mouvement inaugure pour les Allemands l’« année inhumaine »
(5)Du grec protos : premier et du latin notarius, secrétaire
Notaire de la chancellerie romaine. Distinction honorifique donnée à certains prélats. Officier du Saint-Siège qui reçoit et expédie les actes administratifs.
(6)Évêque titulaire qui n’a pas de diocèse propre à gouverner et qui est titulaire d’un ancien siège épiscopal. L’expression vient de la localisation de ce siège dans des parties éloignées géographiques.

LEON XIII : Les franciscains, fer de lance du catholicisme social.

Pour Léon XIII, l’Eglise ne devait pas se crisper devant le monde nouveau qui s’esquissait en ce XIX° siècle. Ainsi, souhaitait-il en finir avec les querelles entre l’Église catholique et les dirigeants laïques de la III°République. Le 18 novembre 1890, le cardinal Charles Lavigerie, archevêque d’Alger, profita de la visite de l’escadre française de la Méditerranée pour porter un toast qui annonça le ralliement à la république. En février 1892, la lettre encyclique Au milieu des sollicitudes(1) (publiée d’abord en français – et non en latin) incita les catholiques au ralliement. Ce texte illustrait la volonté du pape de faire vivre l’Eglise dans son temps.
Si la question politique était posée, il convenait aussi de s’attaquer à la question sociale. Le Tiers-ordre franciscain devait constituer l’audacieux levier d’un catholicisme soucieux de dénoncer les abus du capitalisme libéral. Léon Harmel(2), qui avait hérité d’une filature forte de 1 000 ouvriers, s’était rendu en pèlerinage à Rome et avait rencontré Pie IX et le ministre général des frères mineurs Louis de Parme. Devenu tertiaire franciscain, soucieux du sort du prolétariat miséreux naissant, il fit de son engagement social, fidèle à la pensée franciscaine, le sens de sa vie de catholique « …ma vie, mon apostolat ont été imprégnés de la mentalité franciscaine, de son imperturbable optimisme et de ses enthousiasmes. »
En juillet 1893, encouragé par Léon XIII, il prit l’initiative d’une réunion qui se tint près de Reims et conduisit à une réforme du tiers-ordre et à une définition de ses missions face aux évolutions de la société. Il était guidé par la charte nouvelle du Tiers-Ordre, la Constitution Misericors Dei Filius(3) du 30 mai 1883 promulguée par Léon XIII. A partir de cette réunion, furent organisés des congrès régionaux et nationaux qui condamnèrent les abus du capitalisme, en référence à l’esprit de saint François : le capitalisme étant la féodalité du XIXe siècle, les tertiaires devaient le combattre comme ils avaient contribué à faire tomber celle du Moyen-Âge. Pour affronter cet « adversaire », le Tiers-Ordre avait reçu des armes: l’esprit de pauvreté et de charité. Cet engagement social conduisit toutefois le Tiers-Ordre à traverser une crise profonde ; certains considérant qu’il convenait de demeurer dans le spirituel et rejetaient la critique théologique du capitalisme.
Le pape, quant à lui adopta une démarche thomiste défendant l’idée que la création était divine mais constatant que ce bien commun s’élargissait avec les mutations économiques, engendrant des injustices qui reposaient sur la propriété. Le 15 mai 1891, Léon XIII publia l’encyclique rerum novarum(4). Il constatait l’existence d’une inégalité naturelle entre les hommes dès leur naissance. Il ne s’agissait toutefois pas d’une inégalité des droits mais de capacités : tous les hommes n’ont pas les mêmes capacités intellectuelles ou physiques(5). Il sous-entendait que c’était Dieu, créateur du monde, qui l’avait voulu ainsi. Guidé par l’Evangile, le pape comparait la société à un corps humain, chaque catégorie sociale correspondant à un organe remplissant une fonction particulière(6). D’après lui, la misère ouvrière naissait de l’exploitation des ouvriers par de mauvais patrons(7). Il estimait que les lois divines et humaines réprouvaient l’exploitation de la pauvreté et de la misère(8). Le salaire devait être suffisant pour faire subsister l’ouvrier dans de dignes conditions(9). L’Eglise ne considérait pas la force de travail comme une marchandise comme les autres. Il évoquait par ailleurs le rôle possible de l’Etat(10) dans la défense des plus faibles et rappelait les principes chrétiens de justice et d’équité. S’il considérait légitime le syndicalisme ouvrier(11), il mettait en garde contre « l’utopie socialiste » et dénonçait l’idée de lutte des classés (12).
Léon XIII fit reposer son offensive sociale sur les laïcs engagés dans le tiers-ordre. La pensée franciscaine et Rerum novarum suscitèrent un changement de pensée et d’attitude au sein d’une Eglise plus universelle. La doctrine sociale de l’Eglise porta ses fruits : le sillon de Marc Sangnier(13) en 1894, la CFTC en 1919 mais aussi la démocratie chrétienne. Quelques années plus tard, Pie X freina cette dynamique sociale. Toutefois, la rencontre entre des aspirations apostoliques, une volonté de transformation sociale, des préoccupations politiques, demeura avec les années et la lettre encyclique centesimus annus(14) rendit a posteriori hommage à la pensée franciscaine et à l’impulsion donnée par rerum novarum.

Erik LAMBERT.

(1) http://w2.vatican.va/content/leo-xiii/fr/encyclicals/documents/hf_l-xiii_enc_16021892_au-milieu-des-sollicitudes.html
(2) https://maitron.fr/spip.php?article81406&id_mot=701
(3) https://w2.vatican.va/content/leo-xiii/fr/apost_constitutions/documents/hf_l-xiii_apc_18830530_misericors-dei-filius.html
(4) http://www.vatican.va/content/leo-xiii/fr/encyclicals/documents/hf_l-xiii_enc_15051891_rerum-novarum.html
(5) Le premier principe à mettre en relief, c’est que l’homme doit prendre en patience sa condition : il est impossible que, dans la société civile, tout le monde soit élevé au même niveau.
(6) St Paul aux Corinthiens, 12, 14-27
(7) « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » Mt 25,40
(8) « Que le riche et le patron se souviennent qu’exploiter la pauvreté et la misère et spéculer sur l’indigence sont choses que réprouvent également les lois divines et humaines. »
(9) Voilà que le salaire que vous avez dérobé par fraude à vos ouvriers crie contre vous, et la clameur est montée jusqu’aux oreilles du Dieu des armées
(10) Une équité demande donc que l’Etat se préoccupe des travailleurs et fasse en sorte que, de tous les biens qu’ils procurent à la société, il leur en revienne une part convenable
(11) Le siècle dernier a détruit, sans rien leur substituer, les corporations anciennes, qui étaient pour eux une protection. (…) Les travailleurs isolés et sans défense se sont vus, avec le temps, livrés à la merci de maîtres inhumains et à la cupidité d’une concurrence effrénée. (…)
(12) «L’erreur capitale dans la question présente, c’est de croire que les deux classes sont ennemies l’une de l’autre »
(13) Sangnier se définissait lui-même comme «un catholique fervent mais sans pantoufles cléricales».
(14) https://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_01051991_centesimus-annus.html

Léon XIII : Entre conservatisme et ouverture au monde

Le mois dernier fut esquissé le rôle joué par le Pape Léon XIII dans la réforme du Tiers-ordre franciscain. La pensée et l’action franciscaines entraient en cohérence avec le souci social de ce prélat ignatien. Gioacchino Pecci, considéré par ses détracteurs comme un pape rouge, était un gros travailleur qui réalisa un « cursus honorum » parfait au cœur de l’institution ecclésiale jusqu’à accéder au trône de Saint-Pierre le 20 février 1878, à 68 ans. Il fut sans doute élu pour être un pape de transition après le long règne de Pie IX. Pourtant, il demeura évêque de Rome pendant vingt-cinq ans. Ordonné prêtre en 1837, il entra immédiatement dans l’administration pontificale. Légat pontifical(1) à 27 ans, Archevêque(2) à 32 ans, puis nonce apostolique(3) en Belgique, poste délicat en un royaume doté d’un souverain protestant(4) ; il devint camerlingue(5) à 67 ans. Pie IX(6) l’avait longtemps tenu à l’écart craignant les idées perçues comme trop libérales de cet enfant de petite noblesse siennoise. S’il devint prêtre, il semblerait que ce fut plus par souci de faire carrière que par vocation profonde. Toutefois, son long pontificat marqua à jamais l’histoire de l’Église. Conscient que le monde était en train de changer, il fit un effort intellectuel afin de mieux comprendre ces évolutions qui agitaient le monde d’alors. Convaincu de la supériorité absolue du pouvoir spirituel, il rejeta tout accommodement sur la question romaine. Il fut toutefois à l’origine d’un renouveau intellectuel qui toucha toute l’Église jusqu’à la fin des années soixante. Grand admirateur de St Thomas(7), son corps de pensée fut le néo-thomisme(8). La notion de bien commun animait son cheminement. Fidèle au « bœuf muet »(9), il estimait que la création était divine et s’attachait à montrer que ce bien commun devait aussi nourrir la société et l’économie du monde industriel, repoussant les injustices nées de cette réalité nouvelle.
Léon XIII aspirait à une Église présente dans son époque, celle du siècle des révolutions qui provoquèrent de profonds changements dans les esprits et les sociétés. Déjà sensible à la question sociale, sa rencontre avec le financier Ferdinand de Meeûs, gouverneur de la Société générale de Belgique, philanthrope et catholique engagé, fondateur du Crédit de la Charité, ne fit que le conforter dans sa volonté que l’Église s’intéressât aux difficultés du prolétariat naissant et aux souffrances du monde ouvrier. Par ailleurs, l’émergence des idées socialistes lui paraissait une menace qui invitait l’Église à vivre avec son temps. Pour relever ce défi de l’ère moderne, Léon XIII s’appuya sur le Tiers-ordre franciscain et sur des catholiques préoccupés par la misère ouvrière afin de dénoncer les abus du capitalisme.

Érik LAMBERT

(1) Envoyé par le pape pour une mission, ponctuelle ou permanente, d’administration ou de représentation.
(2) Evêque placé à la tête d’une province ecclésiastique et qui a plusieurs évêques sous son « autorité »
(3) « Ambassadeur » du Pape
(4) Léopold 1er, roi des Belges était un prince allemand de Saxe-Cobourg et Gotha.
(5) Cardinal particulièrement chargé par le Pape de l’administration des biens temporels du Saint-Siège. Il préside la chambre apostolique et gouverne quand le Saint Siège est vacant.
(6) Giovanni Ferretti, élu le 16 juin 1846 sous le nom de Pie IX, a eu le règne le plus long (32 ans) et l’un des plus tourmentés de l’Histoire de l’Église. Le pape du concile Vatican I fut d’abord perçu comme un homme d’ouverture. Les catholiques libéraux ainsi que les républicains italiens reportèrent sur lui leurs espoirs d’ouverture mais ils durent déchanter après l’échec des soulèvements révolutionnaires de 1848. Le 8 décembre 1864, en annexe de l’encyclique Quanta cura, Pie IX publia le Syllabus, catalogue de tout ce qu’il pensait être les erreurs de la pensée moderne. Le ton sarcastique du Syllabus suscita l’ire des catholiques libéraux. C’était l’époque de l’ultramontanisme. Dans les grands pays catholiques, dont la France, le clergé et les fidèles manifestaient un soutien croissant envers le pape « d’outre-monts ». L’autorité morale et spirituelle de Pie IX ne cessa de s’accroître. En 1869, le concile Vatican I institua le dogme de l’infaillibilité pontificale. Mais quelques mois plus tard, le 20 septembre 1870, les troupes du roi d’Italie occupèrent Rome. C’en fut fini des États pontificaux. Pie IX se considéra comme prisonnier au Vatican. Une situation qui perdura jusqu’aux accords du Latran en 1929, avec Mussolini, et à la création de l’État souverain du Vatican (le plus petit État du monde).
(7) Saint-Thomas d’Aquin, éduqué au monastère bénédictin du Mont-Cassin, devenu dominicain, tenta
de concilier la philosophie d’Aristote et la doctrine chrétienne. Cette ambition engagea une révolution intellectuelle, la philosophie scolastique, qui réconcilia la raison et la foi au nom de la Vérité.
Thomas d’Aquin fut canonisé, proclamé Docteur de l’Église et surtout considéré comme le saint-patron des écoles et universités catholiques.
(8) Courant de pensée qui constitue l’alternative entre positivisme et matérialisme. Il s’agit d’une théologie défendant un réalisme philosophique. La renaissance du thomisme est en partie l’œuvre de l’encyclique Æterni Patris du 4 août 1879 (Sur la restauration dans les écoles catholiques de la philosophie chrétienne selon l’esprit du « docteur angélique » c’est-à-dire St Thomas) Le pape conseilla de suivre Thomas pour lutter contre les dangers de certains dispositifs philosophiques, en pensant que la raison pouvait atteindre une vérité philosophique qui ne mettrait pas en danger la foi. Le 4 août 1880 Léon XIII déclare saint Thomas patron des études dans les écoles catholiques (Cum hoc sit). Le 29 juin 1914, dans son motu proprio, le pape Pie X demande aux professeurs de philosophie catholique d’enseigner les principes du thomisme dans les universités et les collèges. Et cette même année, la Congrégation romaine des Séminaires et Universités promulgua une liste de 24 thèses thomistes reconnues comme normæ directivæ tutæ. Après la mort de Pie X, Benoît XV fit réviser le Code de droit canonique, recommandant la doctrine de Thomas et approuvant les 24 thèses (1917).
(9) A cause de sa taciturnité, qu’ils attribuaient à la lenteur de son intelligence, ses condisciples l’appelaient le boeuf muet de Sicile; mais son maître leur disait « Ce boeuf mugira si fort, que toute la terre l’entendra ». «Thomas, viens vite, il y a un boeuf qui vole devant la fenêtre ! Et le brave Thomas, que n’effleurait jamais l’idée qu’on pût mentir, allait voir sous les lazzis de ses condisciples. Même durant les repas, il restait absorbé dans sa méditation, au point qu’on pouvait lui changer de plat sans qu’il s’en aperçût. », In Libération, L’amour vache par Robert Maggiori, 3 août 2004.

Léon XIII

Adolescent privilégié, baigné dans l’ambiance intellectuelle marxisante des années 1968-1970, il m’arrivait de regarder avec condescendance les romans lus par ma mère. Quel intérêt y-avait-il à lire Maxence Van der Meersch, Pêcheurs d’hommes ? Pourquoi me parler des prêtres-ouvriers alors que la pratique religieuse familiale demeurait anecdotique ? Puis, la vie s’écoulant paisiblement, ma maman vieillit et quitta son appartement pour rejoindre une maison de retraite. Il fallut effectuer un tri…et ce livre à la couverture d’un autre temps ressurgit. Ma posture gauchisante critique vis-à-vis de l’Église s’était érodée au fil des années, des rencontres, de l’étude de l’Histoire. L’Évangile contribua à m’insuffler une très modeste humilité qui me permit de plonger dans cet ouvrage désuet.
Pourquoi cette introspection ? Peut-être parce que maman n’était plus là et que j’avais pris de l’âge. Van der Meersch, c’est un peu du catholicisme social né de la révolution industrielle qui constitue la vitalité de son oeuvre désormais méconnue. Ce courant de pensée et d’action est sans doute apparu en France avec l’article de Lamennais(1) sur la démoralisation ouvrière, paru en 1822 dans Le Drapeau blanc. Les atermoiements pour le qualifier : « économie chrétienne (ou charitable) », « socialisme chrétien », manifestent les incertitudes et les résistances auxquelles il fut confronté. Qui incarne cette sensibilité chrétienne ? Pour beaucoup : le Pape Léon XIII.
Le siècle baignait dans le progrès et beaucoup imaginaient qu’il serait sans fin. La science paraissait donner réponse à tout et la religion n’offrait plus d’explication à ce qui semblait auparavant inexplicable. Les bouleversements de la pensée et de la société secouaient l’Église. Le prolétariat naissait avec la grande industrie, les campagnes se vidaient au profit des villes.
Le printemps des peuples(2) passa par là, l’émergence de l’idéologie socialiste brisait les certitudes. Forte de seize siècles(3) de pouvoir spirituel sur les âmes, l’Église se sentit menacée et se crispa. Pie IX effrayé par les mouvements secouant le monde d’alors affirma le dogme de l’infaillibilité pontificale.
Son successeur, Léon XIII réagit en tentant de cultiver une dimension plus universelle de l’Église. Il sollicita l’ordre franciscain pour relever le défi. En signant l’Encyclique Auspicato Concessum du 17 septembre 1882 afférent au Tiers-ordre de Saint-François, il invitait le Tiers-ordre à prendre toute sa place dans la restauration de l’ordre social chrétien comme l’écrivit J.M.Mayeur(4). Il persévéra dans Humanum genus du 20 avril 1884 qui consistait en un sévère réquisitoire contre la franc-maçonnerie et insistait sur le rôle que pouvait dès lors tenir les fidèles du poverello. Ainsi, le 30 mai 1883, par la Constitution Misericors Dei Filius, Léon XIII donna au Tiers-Ordre une charte nouvelle. Il insistait sur les devoirs sociaux de ces « Frères laïcs » vivant dans le monde où ils devaient restaurer le règne du Christ. Dans la spiritualité franciscaine, Léon XIII identifiait l’amour de la pauvreté, le respect de la propriété, la fraternité le désir de paix sur lequel l’harmonie entre les différentes classes sociales pouvait s’édifier. Il y avait là matière à répondre aux défis du temps et à offrir l’alternative aux idées maçonniques et marxistes. Une étape décisive vers un catholicisme social était franchie.
Désormais Léon XIII serait perçu comme un Pape libéral, fustigé par les partisans d’une Église effrayée par l’évolution d’une société qui lui échappait. Il demeure encore de nos jours la cible des nostalgiques de Vatican1.(5)

ÉRIK LAMBERT.

(1)Félicité de Lamennais (1782-1854) Ordonné prêtre en 1816 ; il supporte mal les compromissions du haut clergé et de l’État. Il fonde en 1830 le journal L’Avenir avec ses amis le comte Charles de Montalembert et Henri Lacordaire, prêtre dominicain, aumônier du collège Henri IV. La devise du journal est : « Dieu et liberté » condamné par la Pape Grégoire XVI. Il publie Paroles d’un croyant qui appelle à l’insurrection contre l’injustice au nom de l’Évangile, immédiatement condamné par le Saint-Siège.
(2)En 1848, le printemps commença le 22 février, à Paris, conduisant à la chute de Louis-Philippe et à un embrasement révolutionnaire dans de nombreux pays européens qui se poursuivit jusqu’en octobre.
(3)Certes, nous pouvons considérer que l’Église naquit très tôt « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église », in Matthieu, chapitre 16, versets 13 à 23. Mais les débuts d’une Église institutionnalisée pourraient se situer après que Constantin eut affronté Maxence à l’entrée de Rome au pont Milvius sur le Tibre le 28 octobre 312. Selon une légende tardive il aurait été guéri de la lèpre et converti à la foi chrétienne par le pape Sylvestre Ier, évêque de Rome. Afin de manifester sa reconnaissance, il serait allé à la rencontre du pape et, humblement, aurait guidé son cheval par les rênes. Ensuite, il aurait fait don au pape des territoires environnant Rome. Lors du Concile de Nicée naît le césaropapisme c’est-à-dire une pratique de gouvernement qui se caractérise par la confusion des affaires séculières et des affaires religieuses entre les mains du souverain.
(4)Tiers-ordre franciscain et catholicisme social en France à la fin du XIXe siècle, par J.M.Mayeur, in Revue d’histoire de l’Église de France, tome 70, n°184, 1984. Franciscanisme et société française.
(5)On peut se reporter à ce titre à la biographie à charge de R.de Mattei qui écrit : « S’il est vrai que l’idée dominante de Léon XIII fut celle de réconcilier le monde moderne avec l’Église, le projet pastoral qui échoua sous son pontificat se réalisa avec le Concile Vatican II « In, R.de Mattei, Le ralliement de Léon XIII. L’échec d’un projet pastoral, Cerf, 2016, 482 p., 29 €