INTERVIEW RÉALISÉE AUPRÈS DE NOS SŒURS FMM DE CLICHY- SOUS-BOIS (3ÈME PARTIE)

Soeur Jolanta

Pour commencer, pourrais-tu, Jolanta, te présenter et nous présenter ton parcours ?
Comme mon nom l’indique, je suis polonaise. J’ai grandi dans une famille chrétienne, où le Seigneur m’a appelée, alors que je faisais des études d’infirmière. J’ai entendu dans mon cœur les paroles du psaume 45 : « Écoute, ma fille, regarde et tends l’oreille, oublie ton peuple et la maison de ton père. » Ces paroles, je les ai reçues pour moi, comme une invitation de la part du Seigneur. Cet appel était tellement fort que j’ai terminé mes études, et que, tout de suite après, je suis entrée chez les Franciscaines Missionnaires de Marie, que j’ai appris à connaitre tandis que je cherchais ma vocation. J’ai fait une partie de ma formation initiale en Pologne, et, par la suite, j’ai été envoyée en France…En France, où j’ai d’abord appris la langue, car je ne connaissais que quelques mots, où j’ai appris à connaître ce beau pays, mais aussi l’Église de France qui était bien différente, à l’époque, de celle de mon pays.
J’ai suivi une formation théologique à Lyon, et c’est là que j’ai fait mes premiers pas d’inculturation. Plus tard, j’ai été envoyée dans différentes communautés, en région parisienne, à Lille, à Marseille, puis de nouveau en région parisienne, à Clichy-sous-Bois où je vis actuellement.

Comment définirais-tu ta mission à l’aumônerie de l’hôpital de Montfermeil ?
L’aumônerie à l’hôpital est une mission d’Église, confiée par l’évêque. Comme pour les aumôneries dans l’armée ou dans les prisons, cette mission est encadrée par la loi de 1905. Dans ces trois lieux, l’État s’engage à permettre aux personnes de pratiquer leur religion, l’aumônerie n’étant pas réservée à l’Église catholique, et les aumôniers sont salariés par l’État. Ainsi, je suis à la fois salariée de l’hôpital et missionnée par l’Église. L’hôpital ne peut pas m’engager comme « ministre du culte » – puisque c’est mon titre exact – sans la lettre de l’évêque. Cette lettre de mission, comme le contrat avec l’hôpital, est à durée indéterminée.
Je suis salariée de l’hôpital de Montfermeil à 60 %, je fais partie à part entière du personnel, mais avec ce statut un peu à part. J’ai une petite équipe de bénévoles dont je suis responsable, je ne vis donc pas cette mission toute seule, mais avec d’autres.

Avec les bénévoles de l’aumônerie, avez-vous des réunions pour reprendre ensemble ce que vous vivez ?
Il y a des rencontres régulières des aumôniers au niveau diocésain de la Pastorale de la santé, et il y a les rencontres de l’équipe. Avec cette particularité d’avoir 2 équipes : l’une pour l’aumônerie de l’hôpital, l’autre pour l’EHPAD et le service des soins palliatifs. Nous avons une fois par semaine une célébration de la Parole pour les personnes qui sont en long séjour. C’est très beau de sentir la joie de se retrouver pour prier ensemble. Certaines personnes sont vraiment seules, elles trouvent un réconfort en participant au partage de la Parole…

Comment vis-tu cette mission ?
Cette mission rejoint ce que je porte en moi depuis très longtemps : cet attrait pour le monde médical… Je suis infirmière de profession, mais, en arrivant en France, je ne pouvais pas exercer mon métier. Donc ce fut une joie pour moi de rejoindre le monde médical, d’être présente, d’une autre manière, auprès des malades, des personnes souffrantes, avec cette étiquette de l’Évangile que je porte dans mon cœur. Cela fait très longtemps que je vis cette mission, dans différentes structures.
C’est tout d’abord une présence d’Église auprès des patients, et auprès des personnels soignants. Etre témoin de la présence du Christ dans ce lieu qu’est l’hôpital. Je pense très souvent à la parole de Paul Claudel : « Jésus n’est pas venu supprimer la souffrance, il est venu la remplir par sa présence »… C’est ce qui m’anime et ce que je vis au quotidien. Aller à la rencontre des personnes qui, pour la plupart, n’ont pas demandé ma présence ; certaines formulent explicitement leur demande, d’autres non, mais je vais à la rencontre de tous.

Cela veut dire que tu passes dans toutes les chambres et que tu demandes aux personnes si elles veulent te rencontrer ? Je croyais que c’était uniquement sur demande…
C’est d’abord à la demande, mais cela m’arrive de passer et de me présenter, tout simplement. J’explique qui je suis, en laissant la liberté à la personne de m’accueillir… ou pas. Pour la plupart, les patients de cet hôpital ne sont pas catholiques ; cependant, ils peuvent être contents de rencontrer quelqu’un. Parfois, la personne a envie tout simplement de parler, de partager, et même de dire sa foi. Je pense à l’une d’elles qui m’a déclaré : « Oh, je ne suis pas vraiment une cliente pour vous…parce que je suis juive. » Mais en disant cela, elle m’accueillait et nous avons pu avoir une belle conversation, surtout en cette période de conflit où, pas très loin d’ici, les Juifs se sentent un peu mis à l’écart. Elle s’est présentée avec une certaine appréhension, j’entendais en arrière-plan cette question « est-ce que je vais être accueillie ? »… Donc il y a des rencontres avec des croyants d’autres religions. Mais il y a aussi ceux qui ne le souhaitent pas. Ce n’est pas toujours facile d’accepter les refus, mais c’est important de respecter la liberté de chacun. J’apprends à le vivre dans la simplicité et l’humilité franciscaines.

T’arrive-t-il d’être confrontée, parfois, à une question comme celle de l’euthanasie ?
Je n’ai pas été confrontée ouvertement à cette question récemment. Ce à quoi je suis souvent confrontée, surtout dans le service d’oncologie, c’est à la souffrance qui fait que la personne désire la mort, qu’elle exprime son désir de mourir. C’est aussi le cas à la maison de retraite où les personnes âgées, qui sont diminuées physiquement ou dans leurs facultés, disent : « Qu’est-ce que je fais là ? Ma vie n’a plus de sens. Le Seigneur m’a oublié… »
Cette question de la mort est donc présente, mais les personnes qui demandent l’euthanasie ne s’en ouvrent pas à moi directement. Ce qui est important, c’est de permettre à l’autre d’exprimer son désir de mourir. Je suis convaincue que c’est aussi notre rôle de pouvoir dire à la personne qu’elle a le droit de le désirer, et même de le dire dans sa prière, car le Seigneur peut tout entendre. Dire son désir, sa colère, sa souffrance, sa révolte…ce qui ne signifie pas passer à l’acte. Donc, la question de la mort est présente, oui, mais pas au sens des débats sur l’euthanasie… parfois, aussi, les soignants expriment leur inquiétude…

Dans le cadre de cette mission, peux-tu nous faire part de certaines de tes joies et de tes difficultés ?
Il y a beaucoup de joies…les plus fréquentes, ce sont toutes les fois où je peux porter la communion, avoir un temps de prière et d’accompagnement, soit avec la personne, soit avec sa famille. En cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens, je pense à un monsieur, protestant, auprès de qui j’ai été appelée par la psychologue du service, à la demande de la famille. Je me suis présentée et j’ai appris que ce monsieur était pasteur…je me suis senti toute petite…Il n’était plus conscient, mais je suis rentrée très facilement en dialogue avec son épouse et sa fille qui étaient présentes. C’était un beau moment d’échange. Nous avons prié ensemble ; sa femme m’a dit que c’était important, pour elle, comme pour lui, d’avoir quelqu’un d’Église, au sens large du terme : l’Église de Jésus-Christ.
Cela a été une grande joie pour moi, d’ailleurs je suis restée en contact avec sa famille et j’ai des nouvelles régulièrement.
Une autre joie : celle de pouvoir mettre en place une célébration de mariage en soins palliatifs…C’était très émouvant…ce couple vivait ensemble depuis plusieurs années et n’avait jamais pris la décision de se marier, et là… le désir a resurgi. Ce mariage a donc eu lieu dans ce service des soins palliatifs ; la dame est décédée une semaine après. Le diacre qui a célébré le mariage m’a dit : « Je n’ai jamais vu autant de gens pleurer et se réjouir à la fois le jour d’un mariage.» C’était vraiment une joie de pouvoir vivre cela en Église…
Joie, enfin, de voir certaines personnes s’ouvrir à la parole de Dieu, à la rencontre avec le Christ, malgré la souffrance. C’est très beau de pouvoir toucher, à chaque fois, quelque chose de ce mystère de la présence de Dieu dans le cœur d’une personne.
Les difficultés…ne pas pouvoir rejoindre tout le monde, tous ceux qui attendent peut-être…se confronter au refus de la rencontre, au refus de Dieu, aux personnes qui s’enferment dans la souffrance. C’est là que, personnellement, je me sens invitée à contempler l’humilité de Dieu qui permet ce refus, qui respecte la liberté de l’autre, jusqu’au bout. Dieu qui se propose, mais qui ne s’impose pas. Tout cela me fait grandir dans la foi.

Propos recueillis par Pascale Clamens-Zalay, le 21 janvier 2024

3, HENRI GROUÈS OU LA NAISSANCE D’UNE VOCATION, … À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE,…L’ILLUSION DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE POUR UN MONDE PLUS JUSTE, …

Henri Grouès dit l’abbé Pierre

Poussé par ses amis afin que la Résistance catholique fût représentée à l’Assemblée nationale,il devint député indépendant de Meurthe-et-Moselle le 21 octobre 1945. La France d’alors était sans régime politique établi, puisque la IIIe République avait été de fait suspendue le 10 juillet 1940 par le vote de l’Assemblée nationale qui avait donné au maréchal Pétain les pleins pouvoirs et la charge de rédiger une nouvelle constitution. Il convenait donc à la Libération de remplacer le régime de l’État français. Le 21 octobre 1945 constitua un moment important de la refondation démocratique et républicaine. Le corps électoral était élargi, puisque les femmes et les militaires votèrent pour la première fois à des élections législatives. Il s’agissait en réalité d’un referendum comportant deux questions : « Voulez-vous que l’Assemblée élue ce jour soit constituante ? » et « Si le corps électoral a répondu “Oui” à la première question, approuvez-vous que les pouvoirs publics soient, jusqu’à la mise en œuvre de la nouvelle Constitution, organisés conformément au projet de loi ci-contre ? ». La réponse fut positive et l’abbé Pierre participa donc aux travaux d’une Assemblée devenue constituante. Il considérait, selon ses mots être « un prêtre devenu député par accident de la guerre ». Afin d’honorer au mieux son mandat, il choisit de demeurer à proximité du Palais-Bourbon et acquit un pavillon délabré situé à Neuilly-Plaisance. Marqué par la guerre qui s’achevait à peine, il y ouvrit une auberge internationale de jeunesse pour y accueillir des filles et des garçons « dont les pères s’étaient entretués peu de temps auparavant et qui découvraient, la paix revenue, de quel point d’abomination l’Homme avait été capable ». Il en fit aussi un lieu de réunion pour des équipes ouvrières et baptisa cette maison « Emmaüs ». Lors des trois mandats de député qu’il accomplit, il eut le souci de la défense des Résistants, de la promotion d’idées fédéralistes et de la reconnaissance et la protection de l’objection de conscience. Élu MRP[1], il s’en éloigna progressivement et démissionna le 28 avril 1950. Il avait en effet déjà désapprouvé en diverses circonstances la politique et les votes du groupe, et avait joint ses voix à celles des communistes. Il s’était opposé par exemple à l’allégement des peines contre les mineurs condamnés pour collaboration et à l’adhésion de la France à l’Otan. Pacifiste, il condamnait par ailleurs la politique coloniale menée par la France en Indochine. La rupture survint en mai 1950, quand une manifestation ouvrière fut sévèrement réprimée à Brest[2], alors que le MRP participait au gouvernement. Par ailleurs, il ne supporta pas l’éviction du député de Montpellier Paul Boulet, opposé au Pacte Atlantique[3] . Il continua, avec quelques autres à siéger sous l’étiquette de la « Gauche indépendante et neutraliste ».  À nouveau candidat en 1951, il fut battu et abandonna définitivement sa carrière politique. « Je n’ai pas été un bon député, confia-t-il plus tard. Incompétent, peu diplomate et sans le moindre sens politique ». Fort de ses convictions, Baigné dès son enfance dans le catholicisme social, pétri par les Capucins, il nourrissait une théologie du servir, du don total aux autres, du dénuement et aspirait à transformer la société « non pas par la politique, source de grande déception à cause de sa médiocrité », « mais par l’action sociale et par le bas[4]». Or, en 1949, il rencontra Georges Legay, ancien bagnard qui, sans amis, sans famille, avait tenté de se suicider. « Moi, je n’ai rien à te donner, j’ai abandonné ma part d’héritage et je suis criblé de dettes » lui dit l’abbé Pierre. « Toi, tu n’as rien à perdre puisque tu veux mourir, tu n’as rien qui t’embarrasse. Alors, donne-moi ton aide pour aider les autres. » Georges fut le premier compagnon d’une aventure qu’à Pâques 1950 l’abbé Pierre baptisa « Emmaüs », en référence à l’Évangile de Luc[5]. Georges se souvint : « Ce qui me manquait, ce n’était pas seulement de quoi vivre, c’était aussi des raisons de vivre. »  Rapidement, nombre de vagabonds, de mendiants, de fugueurs rejoignirent la communauté fondée avec le soutien de Lucie Coutaz, camarade de résistance qui avait donné à Henri son pseudonyme de résistant « l’abbé Pierre ». Tous vivaient du salaire de député et de celui de Lucie Coutaz[6], qui travaillait à mi-temps à l’extérieur, ainsi que de quelques dons. La nouvelle vie d’Henri Gouès commençait. Érik Lambert.


[1] Issu de la Libération et s’inspirant des principes de la démocratie chrétienne, le Mouvement républicain populaire (MRP) – d’abord baptisé Mouvement républicain de Libération – fut créé en novembre 1944.
Il fut l’un des principaux partis de gouvernement de la IVe République et l’un des piliers du régime. Aux côtés du Parti communiste (PC) et de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), il forma d’abord le tripartisme et en 1947, après sa rupture, il fut l’un des éléments constitutifs de la Troisième Force. Plusieurs des membres du MRP furent ainsi ministres ou présidents du Conseil (Georges Bidault, Robert Schuman ou Pierre Pflimlin). La direction théorique du MRP appartenait au congrès national qui se réunit chaque année, et au conseil national dans l’intervalle. Le MRP se voulut un parti de militants s’appuyant sur d’actives fédérations départementales et constitués d’équipes ouvrières, rurales, jeunes et féminines. Le MRP fut par ailleurs un fervent partisan de la construction européenne.
Grande force politique de l’après-guerre, il enregistra un certain reflux lors de la législature de 1951-1956. Le MRP ayant rallié De Gaulle en 1958, le début de la Ve République entérina alors sa transformation. Il fonctionna jusqu’aux élections législatives de 1967, mais il demanda à ses adhérents de rallier le nouveau Centre démocrate.
Notice rédigée d’après DELBREIL, Jean-Claude, « Le MRP (Mouvement républicain populaire) », SIRINELLI, Jean-François (dir.), Dictionnaire de la vie politique française, PUF, 1995, p. 709-713.
[2] Le climat social du début des années 1950 fut difficile dans le contexte de guerre froide. A Brest, la situation était d’autant plus tendue que la ville tardait à se reconstruire. La ville demeurait à l’état de chantier du fait des bombardements de la Seconde Guerre mondiale, avait souvent des allures de terrain vague en mutation urbanistique. C’est dans ce contexte qu’éclatait de multiples grèves notamment en janvier celle des carriers d’Huelgoat. Ceux-ci furent rejoints par les marins-pêcheurs qui protestaient contre les importations de poissons puis par les fonctionnaires de Brest qui réclamaient le maintien de l’indemnité qui leur était versée au titre de « ville sinistrée ». Le 19 mars, ce furent plus de 5 000 ouvriers du bâtiment qui entrèrent en grève, afin d’obtenir une augmentation de salaire. Ils furent suivis par les dockers du port de Brest et, peu à peu, la cité finistérienne prit des allures de forteresse assiégée par la grève générale. Les manifestations se succédèrent avec un important déploiement de forces de police. Le 17 avril 1950 : une fusillade éclata et coûta la vie à Edouard Mazé, frère du secrétaire du syndicat du bâtiment, affilié à la CGT. Le bilan était lourd : un mort, de nombreux blessés dont certains gravement, à l’image de Pierre Cauzien, qui fut amputé d’une jambe. On peut se reporter à la bande dessinée de Davodeau et Kris, Un Homme est mort, Futuropolis, 2006.
[3] Le 10 juillet l940, à Vichy, il fut du nombre des 80 parlementaires qui refusèrent les pouvoirs constituants au maréchal Pétain ce qui lui valut le titre de membre honoraire du Parlement.
[4] Philippe Portier, politologue français, professeur à l’École pratique des hautes études (EPHE), titulaire de la chaire « Histoire et sociologie des laïcités »
[5] Lc, 24.
[6] Elle était surnommée « Lulu la terreur » ou « La tour de contrôle » par les compagnons de l’abbé Pierre auquel elle vouait une grande admiration, même si elle n’hésitait pas à lui tenir tête lorsqu’elle n’était pas d’accord avec lui. Née en 1899 à Grenoble, Lucie Coutaz entra à 16 ans dans l’entreprise Lustucru après des études de sténodactylo. Ce fut à cette époque qu’elle découvrît qu’elle était atteinte du mal de Pott, une infection dans les vertèbres dorso-lombaires. Plâtrée et corsetée, elle dut rester allongée sur une planche de bois durant cinq ans. Condamnée à l’immobilité par la maladie, elle décida d’aller à Lourdes en 1921, où elle aurait été miraculeusement guérie. Après avoir fait partie d’une congrégation de religieuses, elle s’engagea dans la résistance. Ce fut à cette époque qu’elle croisa la route de l’abbé Pierre. Elle décida de suivre cet homme de foi dans tous ses combats, même les plus difficiles. Elle l’aida même à restaurer la maison délabrée de Neuilly-Plaisance celle de la première communauté Emmaüs. Alors que l’abbé Pierre était de plus en plus sollicité en France, puis dans le monde entier, ce fut elle qui géra d’une main de fer les diverses tâches administratives et les nombreux centres d’hébergement en l’absence de l’ecclésiastique. Inséparable, le duo vit ensemble sous le même toit pendant près de 40 ans. L’abbé Pierre a même dû faire une demande à l’Église parce qu’à l’époque, ça ne se faisait pas. « Avec Lucie Coutaz, c’était une grande histoire d’amour platonique. Ils sont même enterrés côte à côte à Esteville, l’une des dernières demeures de l’Abbé Pierre », rappelle Benjamin Lavernhe. 
Lucie Coutaz décéda le 16 mai 1982 à Charenton-le-Pont (Val-de-Marne), après avoir été veillée par l’abbé Pierre. « J’ai passé une partie de la nuit auprès d’elle. J’hésitais à partir, j’avais déjà mon manteau. Je n’ai versé aucune larme, comme pour mon père et pour ma mère. Pendant sa vie, l’on a mis dans sa main, la main des pauvres », avait confié l’Abbé Pierre. 

L’enseignement catholique

Le 30 août 2024 marquera le jour de ma 23ème rentrée scolaire au sein de l’Éducation Nationale et de l’enseignement catholique, et, en écrivant ces lignes, je me demande combien d’années encore je vais réussir à exercer mon métier avec sérénité.

Le métier d’enseignant est un des plus beaux métiers du monde : il permet de transmettre et de recevoir, de construire avec les jeunes, de les faire grandir en leur inculquant des valeurs comme le respect et la tolérance. Ce qui m’a animée depuis le début et m’a apporté un épanouissement professionnel s’est heurté ces dernières années aux dysfonctionnements d’une société malade. Que s’est-il passé ?

Issue d’une famille modeste des Deux-Sèvres, mes sœurs et moi avons été baptisées par tradition et parce que cela représentait une étape importante dans la vie de notre famille. Cependant je n’ai jamais reçu d’éducation religieuse avant mes 11 ans. A l’entrée au collège, nos parents ont fait le choix de nous inscrire dans l’enseignement catholique. Ils voulaient nous protéger des violences que nous subissions à l’école de notre quartier et nous offrir l’accès à la réussite scolaire. J’étais consciente que cela représentait un sacrifice financier pour eux et j’ai vécu ma scolarité au collège l’Espérance comme dans une bulle de protection. Nous étions en 1989 et la vie dans notre cité des 3000 (appelée aussi la Rose-des-Vents) n’était pas de tout repos. Aujourd’hui, j’éprouve de la gratitude et de la reconnaissance à l’égard de cette institution, et particulièrement à l’égard des professeurs et des encadrants qui m’ont toujours octroyé un espace de confiance et de liberté, et cela tout en m’imposant un cadre et des règles. Si l’enseignement et l’éducation que j’y ai reçus n’ont pas fait de moi une catholique pratiquante, ils m’ont apporté la confiance et des valeurs que j’ai aujourd’hui plus de mal à transmettre à des élèves en perte de repères.

Ma carrière d’enseignante a débuté en même temps que les premières journées nationales des assises de l’enseignement catholique, en 2000, et que les politiques d’éducation prioritaire dans l’Éducation Nationale. Il soufflait un vent de réformes et les formations de l’ISFEC et de l’IUFM dont je bénéficiais me donnaient le sentiment que la « guerre privé/ public » s’estompait, et disparaissait. Nous travaillions ensemble avec mes collègues du public et du privé. Ce qui importait était d’avancer en faisant preuve de plus de considération des individus. J’ai choisi l’enseignement privé catholique pour différentes raisons et je partage les valeurs de l’humanisme chrétien. Aussi je continue de croire que nous pouvons tous ensemble construire une école ouverte aux différences, soucieuse des libertés de chacun et en faire un espace de paix, un sanctuaire. Dans tous les établissements catholiques que j’ai fréquentés, nous accueillions des élèves en difficulté ou aux profils sociaux très divers ; et les efforts pour inclure l’autre dans sa différence étaient un succès chaque fois que les moyens humains et financiers étaient déployés. Quelques années plus tard, je constate que malgré cette volonté commune de réformer l’école dans le bon sens, les difficultés demeurent.

Aujourd’hui, j’enseigne dans un établissement catholique de province et le profil des élèves (issus de catégories sociales moins élevées) et celui des professeurs (globalement moins impliqués dans la pastorale) est très différent de celui que j’ai connu en région parisienne, mais les conséquences sur notre travail qui sont liées à la transformation de notre société restent les mêmes partout. Lorsque j’évoque plus haut les dysfonctionnements d’une société malade, des élèves en perte de repères ou les difficultés que je rencontre au sein de l’enseignement catholique, je fais référence à tout ce qui rend mon quotidien plus difficile qu’il ne l’était lorsque j’ai commencé ce métier. Jusqu’à présent, je n’avais pas à faire face à autant de situations familiales compliquées et très diverses (mésententes des familles quant à l’éducation, détresse de parents dépassés, souffrances d’enfants qui n’ont ni cadre ni limites, parents omniprésents ou absents, familles dans le jugement…). Dans la solidarité de notre équipe, je vis et côtoie avec impuissance le mal être de notre corps enseignant (manque de reconnaissance et de moyens, manque de confiance, de soutien ou de cohésion dans la communauté, fossé entre les discours et les actes…) et je constate avec tristesse que les politiques actuelles vont à l’encontre du bien-être de l’école. Non, les groupes de niveaux et le regroupement d’élèves en difficulté ne fonctionnent pas. Nous l’expérimentons tous les jours, cela fonctionne pour les « bons élèves », pour « l’élite » mais pas pour ceux qui sont en difficulté. Les établissements ne devraient-ils pas éviter de « ghettoïser » les élèves ? Je me demande si les enseignants de Stanislas ressentent le même mal être que celui des professeurs de mon petit collège de province ? En effet, l’enseignement catholique est lui aussi confronté aux problèmes que connaissaient déjà les établissements publics de mon quartier il y a 35 ans.
Je me sens impuissante lorsque je me retrouve face à une classe qui concentre plusieurs élèves en grandes difficultés scolaires : des élèves TDAH, des élèves dyslexiques, des élèves aux troubles psychiatriques ou souffrants d’anxiété mais aussi des élèves dont les bases éducatives sont si différentes les unes des autres. Nous avons besoin d’encadrants et de petits effectifs mais aussi d’un climat de confiance pour réussir notre mission d’enseignants-es /éducateurs-trices.
N’est-il pas temps de dépasser les guerres politiques privé/public pour apporter à l’école les moyens financiers et humains qui sont aujourd’hui plus qu’indispensables ?

V. Cerceau, professeur d’espagnol
Le 26/04/2024

« Comment reconnaître la volonté de Dieu et s’y ajuster… en toute liberté ? »

A la lecture du Nouveau Testament, il est clair que Jésus est venu pour accomplir la volonté de son Père, comme il ne cesse de l’affirmer : « je ne cherche pas ma propre volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé. » (Jn 5,30) Et c’est son bon plaisir d’obéir au Père : « Je fais toujours ce qui lui plaît » (Jn 8,29) Pourquoi ? Parce que, dit-il, « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre. » (Jn 4,34) Il n’y a là aucune résignation ou simple acceptation de sa part, bien au contraire, c’est pour lui une nécessité vitale et une joie que d’obéir à la volonté de Dieu, que d’accorder totalement sa volonté à celle du Père.

Cependant, lui, qui ne fait qu’un avec le Père (Jn 10,30) va vivre à Gethsémani un temps de solitude et de déchirement…l’agonie… le silence et l’apparente absence du Père.
Celui qui s’est abaissé humblement pour s’incarner parmi les hommes nous rejoint une nouvelle fois au plus profond de notre humanité à l’heure de sa mort.
Les mots qu’utilisent les évangélistes pour en parler traduisent bien ce qu’un homme peut éprouver face à l’épreuve qui se profile : Jésus commence à ressentir « tristesse et angoisse » (Mt 26,37), « effroi et angoisse » (Mc 14, 33). A Pierre, Jacques et Jean qu’il a pris avec lui, il déclare : « Mon âme est triste à en mourir ; demeurez ici et veillez avec moi.» (Mt 26, 38). Luc, dans son récit, décrit un état de tension extrême chez Jésus, au point qu’un ange vient le consoler et que la sueur qui perle de son front se transforme en gouttes de sang : « Alors lui apparut, venant du ciel, un ange qui le réconfortait. Entré en agonie, il priait de façon plus instante, et sa sueur devint comme de grosses gouttes de sang qui tombaient à terre. » (Lc 22, 43-44)
A deux reprises, d’après l’évangile de saint Marc, il demande à son Père de lui épargner cette mort : « Abba (Père) ! tout t’est possible : éloigne de moi cette coupe ». (Mc14, 36.39)
Lui qui avait l’habitude de se retirer seul pour prier, voilà qu’à trois reprises il retourne vers ses disciples, comme pour chercher leur soutien ; mais ils n’ont pu veiller avec lui, ils se sont endormis…

Ce qui se vit entre le Père et le Fils au soir de Gethsémani nous restera à jamais mystérieux. Certains passent un peu vite sur ce que fut le profond désarroi de Jésus et considèrent que, Fils de Dieu, il connait de tout temps les desseins de son Père… donc la mort qui l’attend et qu’il accepte, au terme de sa prière. D’autres insistent, pourtant, sur la détresse de celui qui s’est fait pleinement homme, détresse qui le fera crier sur la Croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Ainsi, Eloi Leclerc écrit-il : « L’agonie de Jésus, à Gethsémani, ce n’est pas uniquement la perspective d’une mort atroce. C’est, avant tout, la solitude dans laquelle Jésus se trouve au moment d’assumer sa mort. La conscience filiale semble s’être obscurcie. Bien sûr, Jésus se sait toujours le Fils bien-aimé du Père, mais en cet instant la conscience filiale n’est plus qu’un grand acte de foi. « Abba (Père) !  » : ce cri de l’enfant qui exprimait la joie et la lumière de sa vie s’est brusquement changé, dans la nuit de Gethsémani, en un appel de détresse. L’agonie du fils, c’est essentiellement le silence du Père. » (Eloi Leclerc, Dieu plus grand) C’est parce qu’il a endossé notre condition humaine que Jésus connait en cet instant le trouble propre à la nuit de la foi : « Jésus prie dans l’incertitude de la volonté du Père » dira Pascal dans Le Mystère de Jésus. Eloi Leclerc en parle comme de « la dernière tentation » de Jésus : « Le dernier combat de Jésus doit se comprendre dans le prolongement de ce qui s’est passé au début de sa vie publique, dans la solitude du désert. Là Jésus avait fait une option fondamentale ; il avait refusé d’utiliser sa qualité de Fils de Dieu pour se mettre en quelque sorte au-dessus de la condition humaine commune…Il avait repoussé cette tentation et il avait choisi de vivre sa relation privilégiée au Père dans la condition du serviteur, en se solidarisant avec les plus humbles et les plus pauvres…Ah ! elle était bien forte, à Gethsémani, la tentation de renoncer d’aller jusqu’au bout ».
Mais la puissance de Dieu ne peut se révéler que dans l’amour : pour que l’homme soit sauvé, pour qu’il puisse participer pleinement à cette relation d’amour qui unit la Trinité, et qui est ce pour quoi il a été créé, il faut que le Fils bien-aimé s’anéantisse lui-même, jusqu’à prendre sur lui le péché de l’homme, jusqu’à mourir sur la Croix. « Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes. S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix. » (Ph 2,6-8) Le péché de l’homme, Jésus le porte tout au long de sa Passion : la trahison, le reniement, la lâcheté, l’abandon, les moqueries, les fausses accusations, les humiliations, le sang injustement versé…Tout ce qu’un innocent peut souffrir en ce monde…
Mais, à Gethsémani, alors que Jésus demande au Père, dans un premier temps, d’éloigner cette coupe, dans le même mouvement, qui peut nous paraître contradictoire, il entre dans la volonté du Père et la fait sienne : « Abba (Père) ! tout t’est possible : éloigne de moi cette coupe ; pourtant, pas ce que je veux, mais ce que tu veux ! »
Le oui de Jésus, c’est le Fiat du Fils qui, certes, s’avance vers la mort, seul, humble et désarmé, mais qui choisit de se déposséder totalement de lui-même, dans un abandon et une confiance absolue au Père. Il consent à souffrir et à donner sa vie pour que soit révélé au monde l’amour du Père et sa miséricorde, pour que soit offert à tout homme la résurrection et la vie éternelle (Jn 6,38-40). Ce qui fera dire à saint Irénée de Lyon: « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu ».
Dans La Pâque de Jésus, François Varillon écrit : « Désormais, le Fils est tout entier oui au Père, tout entier. Le temps de la tentation est passé. Il l’a surmontée à Gethsémani comme il l’avait surmontée au désert. Il n’est plus que oui, un oui total, absolu, le oui du Verbe, ce qu’il est éternellement. »

Dès lors, la volonté du Fils ne fait plus qu’une avec celle du Père, et c’est dans cette communion qu’il dispose librement de sa vie et la donne, par amour, pour ses brebis : « Moi, je suis venu pour qu’on ait la vie et qu’on l’ait surabondante. Je suis le bon pasteur ; le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis…c’est pour cela que le Père m’aime, parce que je donne ma vie… Personne ne me l’enlève ; mais je la donne de moi-même. » (Jn 10, 10-18)

P. Clamens-Zalay

DIEU EN MAJESTÉ, L’AGNEAU et le LIVRE aux 7 SCEAUX (ch. 4-7)

Jean s’inspire manifestement des prophètes Isaïe et Ezéchiel
Isaïe 6, 1-5 –  » L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône… Des séraphins se tenaient auprès de lui, ayant chacun six ailes… Ils se criaient l’un à l’autre « Saint, saint, saint est YHWH Sabaot ! Toute la terre est remplie de sa gloire… « 
Ezéchiel 1, 4-10 – « Je regardai et voici :… au milieu d’une lumière éclatante on voyait briller comme de l’or, où l’on discernait comme quatre animaux… Leurs visages ressemblaient à celui d’un homme ; à celui d’un lion sur la droite chez tous les quatre, à celui d’un taureau sur la gauche chez tous les quatre, à celui d’un aigle chez tous les quatre.. « 

1_ Les personnages, les objets : Jean va voir devant Dieu l’humanité sanctifiée et le monde créé (4, 1-8).

  • L’Esprit Saint, qui emmène Jean au ciel,
  • un Trône : le mot revient 44 fois dans l’Apocalypse, signe que celui du ciel transcende tous ceux de la terre.
  • Quelqu’un… On évitait de nommer Dieu en Israël, sinon par périphrase : le « Vivant », 1′ »Ancien des jours »…
  • devant le trône 7 lampes, les 7 esprits de Dieu = L’Esprit Saint
  • 24 ANCIENS, assis sur 24 trônes autour du trône central. Qui sont-ils ? – Des hommes, non des Anges (car dans la Bible jamais les anges ne sont nommés « anciens », ni ne siègent sur des trônes, ni ne portent des couronnes). Ce sont les saints de l’A.T. – Pourquoi 24 ? Deux hypothèses :
  • soit les 24 Prophètes, (une tradition juive comptait les 24 auteurs des 24 livres de l’AT).
  • Soit les « Princes », comme étaient appelés les représentants des 24 classes sacerdotales (1 Ch. 24, 5). De toute façon, ils représentent le peuple de Dieu déjà présent au ciel, en somme l’humanité sanctifiée. Ils portent un costume sacerdotal (robe blanche) et royal (couronnes d’or).
  • 4 ANIMAUX : ce sont d’une part les 3 animaux les plus puissants, d’autre part l’homme qui sait les dompter. Ils représentent le monde créé, la création matérielle qui est honorée par Dieu puisqu’il ne l’exclut pas de son ciel. Ils sont « tout couverts d’yeux » parce que la création reflète Dieu, et ici son omniscience.

2_ La liturgie céleste en l’honneur de Dieu (4, 8-11)

  • C’est d’abord le monde créé (les 4 animaux) qui loue Dieu avec le triple « saint » d’Isaïe.
  • Les 24 anciens se prosternent, déposent leur couronne (en signe de vassalité) puis glorifient Dieu à leur tour. On s’aperçoit que la liturgie de l’Apocalypse commence par une louange à Dieu créateur. C’est le tout premier acte de Dieu.

Fr Joseph

Prière de mai

Tu es le temple de l’Esprit-Saint
Tu es la glorieuse cité de Dieu
Tu es la femme forte
qui a écrasé la tête du serpent,
Tu es plus radieuse que le soleil,
plus belle que la lune,
plus magnifique que l’aurore,
plus éclatante que les étoiles.
Nous pécheurs, recourons à toi en disant :
Sainte Marie, Notre Dame démente et douce,
fais-nous par tes prières
obtenir la gloire céleste.
Ecoute-nous, Marie,
car ton Fils t’honore et ne te refuse rien.
Sauve-nous, Jésus, Messie,
nous pour qui la Vierge Mère prie.

Un film un livre

Le vieux chêne (The Old Oak), un film de Ken Loach

The Old Oak est le dernier film de Ken Loach (2023), cinéaste à l’engagement humaniste jamais démenti aux côtés de ceux qui ont rarement le premier rôle au cinéma. Il crée des personnages représentatifs des couches populaires dont il décrit l’existence difficile et le joyeux appétit de vivre avec une grande finesse d’observation, un naturalisme toujours juste et très délicatement sensible, jamais moralisateur. Dernier film de Ken Loach parce que le dernier sorti en salle, mais aussi parce que ce grand témoin de notre époque l’a annoncé comme sa dernière fiction, désirant se consacrer désormais au documentaire.

L’histoire que raconte ce dernier film est centrée sur un pub éponyme délabré, The Old Oak, où semble se réfugier le reste d’animation d’une petite bourgade ouvrière anglaise en déshérence depuis que ferma la mine dont vivait ses habitants. Ceux-ci restent marqués par le souvenir des âpres batailles sociales perdues et des années de thatcherisme débridé qui s’ensuivirent, les laissant dans une pauvreté endémique à laquelle ils peinent encore à se résigner sans toutefois imaginer comment en sortir. Tenancier du pub, le bienveillant TJ, y sert placidement des pintes de bière à un quarteron d’habitués qui y entretiennent la nostalgie amère d’un passé de relative aisance ainsi que les liens d’appartenance qui les soudent depuis l’enfance. L’arrivée dans cette cité ouvrière fantôme de quelques familles de réfugiés syriens met en présence deux misères : celle de l’exil endeuillé et celle de la désespérance sociale autochtone. Les locaux voient l’aide apportée à ces étrangers comme une injustice de trop alors qu’eux se débattent depuis des décennies dans le dénuement, oubliés de tous. Ken Loach décrit l’absurde réalité dans laquelle le pauvre a tôt fait d’accuser plus pauvre que lui de sa pauvreté, découragé qu’il est de s’en prendre à ses véritables responsables, tellement hors de sa portée qu’ils ont disparu du champ de sa conscience. Mais le cinéaste ne s’arrête pas à la condamnation facile et sans issue d’une xénophobie ordinaire, car s’ll rend compte de l’opposition irréductible de certains à l’autre étranger, il s’attache bien davantage à décrire de quelle manière l’humain reconnaît peu à peu, irréversiblement, l’humain en l’autre différent, comment la misère de l’un rencontre la misère de l’autre et ainsi comment, par la communauté d’intérêt et de perception qui en résulte, se révèle une richesse de possibilités, de relation et de sentiments aussi naturelle qu’elle fut insoupçonnée de prime abord. L’autre n’est différent que dans la mesure où l’on ignore sa propre différence par rapport à lui, et celle-ci, une fois révélée par la rencontre, s’efface comme obstacle et se transforme en hospitalité curieuse, en accueil solidaire réciproque, en considération confiante et affectueuse, toutes qualités qui constituent un peuple uni dans sa diversité, à même de faire reculer la misère et de faire renaître l’espoir.

L’histoire du vieux chêne se déroule en Angleterre, mais l’on pense bien sûr à la France où les « élites » se complaisent dans une vision moralisante et culpabilisante, largement erronée, de l’accueil réservé aux migrants et aux réfugiés par les catégories populaires, il est vrai poussées à la xénophobie par des partis aux ambitions politiques suspectes relayées par des médias douteux. On ne peut nier, comme Ken Loach le montre, que cette tendance irraisonnée, très dangereuse, ait quelque succès, mais l’un des grands mérites du film est de décrire comment la vie se charge de déjouer ce piège d’inhumanité : en réalité, dans les peines et les joies de l’existence quotidienne, les êtres se rencontrent, se ressemblent et se rassemblent, n’en déplaise à ceux qui préfèrent les voir ennemis, enfermés dans des « communautés » réputées antagonistes, que cela flatte leur bien-pensance ou que cela serve leurs intérêts. Car si la richesse est de moins en moins partagée, la misère l’est, elle, toujours davantage, et lorsque l’on met sa foi dans la force du partage plus que dans la poursuite du profit égoïste, alors tous les espoirs redeviennent permis.

Jean Chavot


Les Âmes tièdes
Un livre de Nina Valbousquet, édition La Découverte,

Nombreux furent et demeurent les avis, les propos, les dénonciations, les louanges, les opinions plus ou moins péremptoires suscités par l’action ou l’apathie du Pape Pie XII face à la Shoah. Le relatif silence, le confortable secret conféré par les lois protégeant les archives prêtaient à toutes les rumeurs. Dès l’après-guerre, les mises en cause du Vatican et de son souverain furent violentes[1]
Le Pape François décida en 2020 d’ouvrir les archives du pontificat de Pie XII, qui présida aux destinées du Saint-Siège de 1939 à 1958. Certes, les travaux historiques commencent seulement à être publiés mais, à la faveur des premières publications s’esquissent les controverses ou les débats. Nina Valbousquet, historienne qui effectua ses recherches à l’École française de Rome de 2019 à 2023, spécialiste des relations entre le catholicisme et l’antisémitisme[2], a dépouillé pendant trois années les fonds désormais ouverts. 
Le volumineux fruit de son travail est publié sous le titre Les Âmes tièdes, titre ô combien révélateur[3]. Il ne s’agit pas d’un ouvrage à charge, mais d’une étude historique rigoureuse présentant les motivations, les réflexions mais aussi les dilemmes du Pape et des personnes qui l’entouraient. C’est toute la pertinence de l’enquêtrice[4] qui n’étudie pas que l’action ou l’inaction du Pape mais celles des « âmes » ; le pluriel illustrant le nombre d’intervenants dans la politique adoptée par le Vatican. Ce fut toute une administration qui intervint ; ne dit-on pas que l’Église dispose d’un réseau dense d’informateurs ; des congrégations aux clergé séculier, des nonces aux secrétaires ? Cette configuration tentaculaire incite du reste à penser que le Saint-Siège eut rapidement connaissance du sort qui était réservé aux Juifs. Si le Pape avait une voix qui importait, le rôle joué par le diplomate Domenico Tardini et celui du référent aux questions concernant les Juifs, Angelo Dell’Acqua furent déterminants. Le poids d’un antijudaïsme « historique » pesant sur les analyses vaticanes, la politique de frileuse et sourcilleuse prudence motivée par le souci de protection des Églises nationales, la crainte du communisme et la méfiance à l’endroit d’une religion disposée à exploiter une situation favorable constituent un terreau à ne pas négliger. Ménager fascisme, nazisme, collaborateurs vichyssois voire oustachis croates ; gérer les défis politiques, humanitaires, religieux et culturels engendrés dans un contexte plus qu’agité ; défendre l’Église menacée par Staline et les affres d’un monde moderne fragilisant l’aura multiséculaire de l’Institution ; autant de contraintes qui pesaient alors sur le Saint-Siège.
Nina Valbousquet exploite les textes formels et officiels mais aussi les annotations marginales, les témoignages multiples, les notes transmises par les religieux, les correspondances. Avec pertinence, elle poursuit son étude au-delà de la défaite nazie et convoque la sollicitude charitable manifestée vis-à-vis des bourreaux à l’issue du conflit. 
L’étude conduit à identifier un choix délibéré ; celui du souci de conserver une neutralité sourcilleuse baignée dans un climat de menaces protéiformes. Les âmes furent tièdes face aux persécutions subies par les Juifs. Le supplice fut dénoncé de manière très sibylline, le souci des familles et des « catholiques-non aryens[5] » présidant souvent à l’action « humanitaire ». Cela ne signifie pas que le Saint-Siège et Pie XII[6] demeurèrent inactifs mais la prudence fut sans doute en contradiction avec les ambitions de magistère moral que l’Église aspirait à incarner. 

Érik Lambert.


[1]Rolf Hochhuth, Der Stellvertreter, Le Vicaire en français, pièce donnée en 1963. A inspiré le film de Costa Gavras, Amen. 2002.
[2] Elle a participé à l’organisation de la remarquable exposition « À la grâce de Dieu », les Églises et la Shoah qui se tint de l’été 2022 à l’hiver 2023 au Mémorial de la Shoah, 17, rue Geoffroy-l’Asnier 75004 Paris.
[3] « Notre monde n’a pas besoin d’âmes tièdes. Il a besoin de cœurs brûlants »., Albert Camus, Combat (éditorial du 26 décembre 1944)
[4] Il m’apparaît important de rappeler qu’étymologiquement le mot « histoire » a pour origine le titre du livre d’Hérodote, Les Enquêtes (Historíai). Il s’agit donc d’une enquête ou d’une narration sur les faits passés de l’humanité d’un peuple, d’une personne ou d’une société.
[5] Cette « catégorie » désigne les Juifs convertis au catholicisme ou baptisés à la naissance, considérés toutefois comme « non aryens » car ayant un ou plusieurs ascendants juifs. Il s’agissait d’identifier les convertis « sincères » de ceux qui l’étaient par opportunisme. Extra Ecclesiam, nulla salus : « En dehors de l’Église, point de salut. ».
[6] Jusqu’à présent, un certain nombre d’ouvrages sont parus sur Pie XII. La sensibilité des auteurs transpirait surtout du fait de l’incertitude consécutive à l’abondance des archives secrètes jusqu’alors inaccessibles. On peut ainsi citer P. Milza et Philippe Chénaux. 

ÉVÉNEMENT de Mai

Quand  👉.Dimanche 16 juin de 9h à 17h
👉 Au couvent Saint-François, 7 Rue Marie Rose, 75014 Paris


Quand  👉 du 21 au 28 juillet 2024
Thème 👉 C’est le Christ qui vit en moi
Intervenants 👉 Sylvie Badets, ofs, Frère David Vern, ofm
👉 Les Grottes de Saint Antoine à Brive la Gaillarde
41 rue Michelet ,19100 Brive la Gaillarde
Contact 👉 vacancesfamillesbrive@orange.fr
Télécharger le tract 👉 C’est ici


Une semaine de vacances dans le massif des Ecrins.
Au programme : Randos, jeux, vie fraternelle, prière, chants.

Quand  👉 du 21 au 28 juillet 2024
👉 dans le parc des Ecrins, Serre Chevalier, Le Monêtier les Bains, le Casset, rue du Canal.
inscription 👉 cecile.burillon@yahoo.fr
Pour plus de renseignement sur le Chalet 👉 télécharger le tract


Découvrir et raviver des trésors du répertoire franciscain que vous soyez débutant ou choriste confirmé.
‼️ Inscription avant le 1er juin 2024 ‼️

Quand  👉 du 21 au 28 juillet 2024
👉 Maison des sœurs de Saint François d’Assise à Rodez,
4 rue Peyrot 12000 Rodez.
Contact 👉 mb.schindler67@gmail.com
Télécharger le tract 👉 C’est ici

ÉDITO DE MAI

Journalisme et vérité

Les tensions et les conflits qui agitent le monde suscitent curiosité, inquiétude, accrois-sant l’exigence d’une information indépendante et diversifiée, à même de favoriser la compré-hension et la lucidité indispensables à la conscience et à l’action des citoyens. C’est la fonction du journalisme, condition primordiale de la démocratie. Mais si l’on se doit de protéger sans ré-serve son exercice et ses acteurs, n’est-on pas autorisé à s’interroger sur ses conditions in-ternes qui compromettraient sa mission et son honneur ?

Or, il est avéré que les grands moyens de la presse écrite et audio-visuelle sont la pro-priété quasi exclusive d’une dizaine de milliardaires proches des milieux de pouvoir sur lesquels ils influent directement. On ne peut non plus ignorer l’étroitesse des liens entre les journalistes les plus en vue et ces milieux, par promiscuité dans les mêmes catégories sociales, les mêmes ré-seaux, les mêmes lits parfois, si bien que nous voyons des célébrités sauter du journalisme à la politique, et inversement, avec une aussi déconcertante facilité que les ministres rebondissent d’un portefeuille à l’autre. Comment s’étonner dans ces conditions que, comme le montrent tous les sondages, le désintérêt, la méfiance, voire le dégoût s’emparent des Français à l’égard de leur presse, les jetant non sans dangers pour la démocratie dans les bras des réseaux sociaux après qu’ils ont mesuré la distorsion entre une réalité vécue aux premières loges et la manière dont les médias dominants en rendent compte dans leur langage uniforme fait de formules sté-réotypées (crise, grogne, débordements, séquence, récit…) dont la pauvreté ne convient certes pas à décrire la complexité des situations ni encore moins de leurs causes. Ainsi, par exemple, quasiment jamais l’un de ces journalistes-vedettes n’évoquera les massacres de civils palesti-niens perpétrés par l’armée israélienne sans en incriminer celui du 7 octobre, comme rarement il évoquera le sort antérieur des habitants de la bande de Gaza. Bien que les mêmes sentiments d’humanité l’animent également envers les deux camps, l’invité qui s’y aventurera se verra ins-tantanément accusé de soutenir le terrorisme par les parangons de vertu qui tiennent le micro. Nous les voyons, les mêmes, nous instruire en experts à tout propos et en tout domaine : cul-ture, arts, morale, santé, bon goût, bonnes manières… avec l’égale omniscience qui provoque l’exaspération contre laquelle ils se drapent soudain dans leur honneur de journaliste, un honneur pourtant oublié dans l’inlassable mise en scène de faits divers qui flatte les plus bas instincts à des fins d’audience rémunératrice. Il reste cependant, malgré le formatage des écoles, nombre de journalistes courageux et honorables qui le paient souvent de leur carrière, et parfois de leur vie. C’est le journalisme-spectacle qui est critiqué ici, sa complaisance à en faire un vulgaire outil de propagande grimée en vérité des faits. Mais cette « vérité des faits » est une fiction, une es-croquerie, car la vérité n’est pour l’homme qu’un horizon auquel l’honnête raison s’efforce de tendre, comme l’enseignent toute science et toute philosophie, et comme le souligne le futur utili-sé dans l’Évangile de Jean : « … et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous libérera. » (Jn 8,32). Quant aux « faits », aucun ne recèle de vérité en lui-même : il n’est jamais qu’une des appa-rences, à l’instant de son actualité, d’une réalité dont personne ne peut prétendre embrasser toute la profondeur d’espace et de temps, personne que Dieu dans son éternité et son infinité. La Bible est pleine de « faits » dénoncés par les prophètes qui, inspirés par Dieu, lisaient le pré-sent (l’actualité) et non l’avenir : le petit Daniel (Da, 13) qui sauva Suzanne des accusations des deux vieillards ; et que dire de l’aveugle-né (Jn, 9), du « fait » de sa cécité que croyaient connaître les disciples, de l’épaisse mauvaise foi des Pharisiens, de la réponse de Jésus qui vaut encore pour les propagandistes hypocrites : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais vous dites : Nous voyons ! Votre péché demeure. » Que dire enfin du silence de Joseph devant le « fait » de la grossesse de Marie ? Que l’homme juste reconnaît sa subjectivité et la tait pour écouter la voix de l’Esprit où la Vérité se donne à entendre.

Alors quoi, la vérité est-elle à notre portée, un journalisme honnêtement véridique est-il possible ? Certainement, à la condition expresse qu’il se rapproche humblement de l’inaccessible objectivité en nommant sa propre subjectivité, qu’il se défasse de ses habitudes de pensée, de perception et de langage, qu’il reste constamment critique envers lui-même dans l’observation des situations et des événements de sorte que la vérité, toujours supérieure à lui, ait une chance d’éclairer son discernement. N’est-ce pas à quoi Jésus nous invite tous dans chacune de ses paraboles : à cultiver notre liberté de conscience qui, si elle demeure incapable de produire la vérité, a l’insigne privilège de pouvoir s’en nourrir.

Le comité de rédaction