Suite à notre entretien avec les Sœurs Franciscaines Missionnaires de Marie, de Clichy-sous-Bois, nous avons rencontré sœur Jolanta afin qu’elle nous explique plus précisément sa mission à l’aumônerie de l’hôpital de Montfermeil.
Pour commencer, pourrais-tu, Jolanta, te présenter et nous présenter ton parcours ?
Comme mon nom l’indique, je suis polonaise. J’ai grandi dans une famille chrétienne, où le Seigneur m’a appelée, alors que je faisais des études d’infirmière. J’ai entendu dans mon cœur les paroles du psaume 45 : « Écoute, ma fille, regarde et tends l’oreille, oublie ton peuple et la maison de ton père. » Ces paroles, je les ai reçues pour moi, comme une invitation de la part du Seigneur. Cet appel était tellement fort que j’ai terminé mes études, et que, tout de suite après, je suis entrée chez les Franciscaines Missionnaires de Marie, que j’ai appris à connaitre tandis que je cherchais ma vocation. J’ai fait une partie de ma formation initiale en Pologne, et, par la suite, j’ai été envoyée en France…En France, où j’ai d’abord appris la langue, car je ne connaissais que quelques mots, où j’ai appris à connaître ce beau pays, mais aussi l’Église de France qui était bien différente, à l’époque, de celle de mon pays.
J’ai suivi une formation théologique à Lyon, et c’est là que j’ai fait mes premiers pas d’inculturation. Plus tard, j’ai été envoyée dans différentes communautés, en région parisienne, à Lille, à Marseille, puis de nouveau en région parisienne, à Clichy-sous-Bois où je vis actuellement.
Comment définirais-tu ta mission à l’aumônerie de l’hôpital de Montfermeil ?
L’aumônerie à l’hôpital est une mission d’Église, confiée par l’évêque. Comme pour les aumôneries dans l’armée ou dans les prisons, cette mission est encadrée par la loi de 1905. Dans ces trois lieux, l’État s’engage à permettre aux personnes de pratiquer leur religion, l’aumônerie n’étant pas réservée à l’Église catholique, et les aumôniers sont salariés par l’État. Ainsi, je suis à la fois salariée de l’hôpital et missionnée par l’Église. L’hôpital ne peut pas m’engager comme « ministre du culte » – puisque c’est mon titre exact – sans la lettre de l’évêque. Cette lettre de mission, comme le contrat avec l’hôpital, est à durée indéterminée.
Je suis salariée de l’hôpital de Montfermeil à 60 %, je fais partie à part entière du personnel, mais avec ce statut un peu à part. J’ai une petite équipe de bénévoles dont je suis responsable, je ne vis donc pas cette mission toute seule, mais avec d’autres.
Avec les bénévoles de l’aumônerie, avez-vous des réunions pour reprendre ensemble ce que vous vivez ?
Il y a des rencontres régulières des aumôniers au niveau diocésain de la Pastorale de la santé, et il y a les rencontres de l’équipe. Avec cette particularité d’avoir 2 équipes : l’une pour l’aumônerie de l’hôpital, l’autre pour l’EHPAD et le service des soins palliatifs. Nous avons une fois par semaine une célébration de la Parole pour les personnes qui sont en long séjour. C’est très beau de sentir la joie de se retrouver pour prier ensemble. Certaines personnes sont vraiment seules, elles trouvent un réconfort en participant au partage de la Parole…
Comment vis-tu cette mission ?
Cette mission rejoint ce que je porte en moi depuis très longtemps : cet attrait pour le monde médical… Je suis infirmière de profession, mais, en arrivant en France, je ne pouvais pas exercer mon métier. Donc ce fut une joie pour moi de rejoindre le monde médical, d’être présente, d’une autre manière, auprès des malades, des personnes souffrantes, avec cette étiquette de l’Évangile que je porte dans mon cœur. Cela fait très longtemps que je vis cette mission, dans différentes structures.
C’est tout d’abord une présence d’Église auprès des patients, et auprès des personnels soignants. Etre témoin de la présence du Christ dans ce lieu qu’est l’hôpital. Je pense très souvent à la parole de Paul Claudel : « Jésus n’est pas venu supprimer la souffrance, il est venu la remplir par sa présence »… C’est ce qui m’anime et ce que je vis au quotidien. Aller à la rencontre des personnes qui, pour la plupart, n’ont pas demandé ma présence ; certaines formulent explicitement leur demande, d’autres non, mais je vais à la rencontre de tous.
Cela veut dire que tu passes dans toutes les chambres et que tu demandes aux personnes si elles veulent te rencontrer ? Je croyais que c’était uniquement sur demande…
C’est d’abord à la demande, mais cela m’arrive de passer et de me présenter, tout simplement. J’explique qui je suis, en laissant la liberté à la personne de m’accueillir… ou pas. Pour la plupart, les patients de cet hôpital ne sont pas catholiques ; cependant, ils peuvent être contents de rencontrer quelqu’un. Parfois, la personne a envie tout simplement de parler, de partager, et même de dire sa foi. Je pense à l’une d’elles qui m’a déclaré : « Oh, je ne suis pas vraiment une cliente pour vous…parce que je suis juive. » Mais en disant cela, elle m’accueillait et nous avons pu avoir une belle conversation, surtout en cette période de conflit où, pas très loin d’ici, les Juifs se sentent un peu mis à l’écart. Elle s’est présentée avec une certaine appréhension, j’entendais en arrière-plan cette question « est-ce que je vais être accueillie ? »… Donc il y a des rencontres avec des croyants d’autres religions. Mais il y a aussi ceux qui ne le souhaitent pas. Ce n’est pas toujours facile d’accepter les refus, mais c’est important de respecter la liberté de chacun. J’apprends à le vivre dans la simplicité et l’humilité franciscaines.
T’arrive-t-il d’être confrontée, parfois, à une question comme celle de l’euthanasie ?
Je n’ai pas été confrontée ouvertement à cette question récemment. Ce à quoi je suis souvent confrontée, surtout dans le service d’oncologie, c’est à la souffrance qui fait que la personne désire la mort, qu’elle exprime son désir de mourir. C’est aussi le cas à la maison de retraite où les personnes âgées, qui sont diminuées physiquement ou dans leurs facultés, disent : « Qu’est-ce que je fais là ? Ma vie n’a plus de sens. Le Seigneur m’a oublié… »
Cette question de la mort est donc présente, mais les personnes qui demandent l’euthanasie ne s’en ouvrent pas à moi directement. Ce qui est important, c’est de permettre à l’autre d’exprimer son désir de mourir. Je suis convaincue que c’est aussi notre rôle de pouvoir dire à la personne qu’elle a le droit de le désirer, et même de le dire dans sa prière, car le Seigneur peut tout entendre. Dire son désir, sa colère, sa souffrance, sa révolte…ce qui ne signifie pas passer à l’acte. Donc, la question de la mort est présente, oui, mais pas au sens des débats sur l’euthanasie… parfois, aussi, les soignants expriment leur inquiétude…
Dans le cadre de cette mission, peux-tu nous faire part de certaines de tes joies et de tes difficultés ?
Il y a beaucoup de joies…les plus fréquentes, ce sont toutes les fois où je peux porter la communion, avoir un temps de prière et d’accompagnement, soit avec la personne, soit avec sa famille. En cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens, je pense à un monsieur, protestant, auprès de qui j’ai été appelée par la psychologue du service, à la demande de la famille. Je me suis présentée et j’ai appris que ce monsieur était pasteur…je me suis senti toute petite…Il n’était plus conscient, mais je suis rentrée très facilement en dialogue avec son épouse et sa fille qui étaient présentes. C’était un beau moment d’échange. Nous avons prié ensemble ; sa femme m’a dit que c’était important, pour elle, comme pour lui, d’avoir quelqu’un d’Église, au sens large du terme : l’Église de Jésus-Christ.
Cela a été une grande joie pour moi, d’ailleurs je suis restée en contact avec sa famille et j’ai des nouvelles régulièrement.
Une autre joie : celle de pouvoir mettre en place une célébration de mariage en soins palliatifs…C’était très émouvant…ce couple vivait ensemble depuis plusieurs années et n’avait jamais pris la décision de se marier, et là… le désir a resurgi. Ce mariage a donc eu lieu dans ce service des soins palliatifs ; la dame est décédée une semaine après. Le diacre qui a célébré le mariage m’a dit : « Je n’ai jamais vu autant de gens pleurer et se réjouir à la fois le jour d’un mariage.» C’était vraiment une joie de pouvoir vivre cela en Église…
Joie, enfin, de voir certaines personnes s’ouvrir à la parole de Dieu, à la rencontre avec le Christ, malgré la souffrance. C’est très beau de pouvoir toucher, à chaque fois, quelque chose de ce mystère de la présence de Dieu dans le cœur d’une personne.
Les difficultés…ne pas pouvoir rejoindre tout le monde, tous ceux qui attendent peut-être…se confronter au refus de la rencontre, au refus de Dieu, aux personnes qui s’enferment dans la souffrance. C’est là que, personnellement, je me sens invitée à contempler l’humilité de Dieu qui permet ce refus, qui respecte la liberté de l’autre, jusqu’au bout. Dieu qui se propose, mais qui ne s’impose pas. Tout cela me fait grandir dans la foi.
Propos recueillis par Pascale Clamens-Zalay, le 21 janvier 2024