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Prière

Je te salue, Joseph,
toi que la grâce divine a comblé.
Le sauveur a reposé entre tes bras et grandi sous tes yeux.
Tu es béni entre tous les hommes et Jésus,
l’enfant divin de ta virginale épouse est béni.
Saint Joseph, donné pour père au Fils de Dieu,
prie pour nous dans nos soucis de famille, de santé et de travail, jusqu’à nos derniers jours,
et daigne nous secourir à l’heure de notre mort.
Amen.

(Anonyme)

Un livre / Deux films

Pierre Lemaitre 
Un avenir radieux, Paris, Calmann-Lévy,
592 p., 23,90 €.

Il caracole en tête des ventes de toutes les librairies, son nom brille au firmament de toutes les têtes de gondole, tous les supports médiatiques encensent son dernier roman, Pierre Lemaitre est de retour. Les plumes des uns, les voix des autres se penchent goulûment sur son nouveau bébé : Un Avenir radieux. Force est de reconnaître que cet emballement enthousiaste gagne le lecteur qui entre dans cette histoire le 19 avril 1959 pour la quitter un mois plus tard, harassé, saisi, happé qu’il fut par le rythme effréné de ces aventures. Il y eut déjà le succès de la trilogie des Enfants du désastre, couronnée dès le premier volet, Au revoir là-haut, par le prix Goncourt 2013, poursuivie avec Couleurs de l’incendie et Miroir de nos peines. Le cinéma s’est déjà emparé avec bonheur des péripéties familiales des Péricourt achevées dans les affres de « l’étrange défaite[1] ».

Le Grand Monde, premier volume de la saga familiale tétralogique des « années glorieuses » paru en janvier 2022, plonge le lecteur dans le monde en reconstruction des trois décennies de croissance rapide qui séparèrent la Libération du choc pétrolier ; période supposée bénie de croissance économique et de croissance démographique. Il y a un soupçon de nostalgie rétroactive pour cette période, nostalgie qui accoucha d’un chrononyme[2] cher à Jean Fourastié afin de qualifier cette « Révolution invisible ». 

Pierre Lemaitre nourrit l’ambition de « feuilleter et feuilletonner » le XXe siècle, de la première guerre mondiale à la chute du Mur, à travers un kaléidoscope de personnages.

Un Avenir radieux, celui de l’espérance, durant lequel les conditions de vie s’améliorèrent considérablement sous l’effet de l’augmentation de la croissance économique, plongeant la France dans le mirage de la société de consommation. Ce nouveau volet de la saga de Lemaitre en appelle à « un personnage collectif, la famille Pelletier » dont les aventures, les turpitudes, les amours sont ceux de toute une époque.  

Les personnages sont précipités au cœur de la Guerre froide et de la menace nucléaire qui nourrissait alors les angoisses. Intrigues politiques, affaires d’espionnage, relations familiales complexes, naissance des magasins-bazars bon marché se mêlent dans ce roman que l’on ne lâche pas.  

L’histoire repose surtout sur trois personnages : Jean, mal marié à l’odieuse Geneviève, emporté par de soudaines bouffées meurtrières ; François, journaliste au magazine télévisé Edition spéciale entraîné dans une mission d’exfiltration par les services spéciaux et Colette, fillette de onze ans, qui quitte brutalement le monde de l’enfance, souffrant du rejet de sa mère et victime d’un prédateur sexuel. Sans doute inspiré des grandes sagas familiales à la Druon, à la Thomas Mann ou à la Martin du Gard, Pierre Lemaitre offre une nouvelle vie à l’art du feuilleton littéraire, art considéré comme « populaire » tombé en désuétude. Le feuilleton qui contribua pourtant à l’explosion de la presse et des romans tels ceux de Dickens, de Balzac, de Sue, de Sand ou de Dumas, publiés sous forme d’épisodes tenant en haleine les lecteurs. L’auteur ne nourrit pas l’ambition d’écrire un roman historique, il prend quelques libertés avec la « vérité de l’événement »[3] mais il écrit un livre tout à la fois polar, roman d’espionnage, comédie de mœurs, si proche de ce que furent les années de Guerre froide. Le lecteur ressent l’atmosphère de crainte, de suspicion, de méfiance qui régnait au-delà du « rideau de fer ». Lemaitre manie avec aisance suspense, angoisse, révolte, incitant le lecteur à frémir, gronder, s’indigner voire être choqué. Les relations familiales quasi-claniques, hantées par les jalousies mais mus aussi par la solidarité et la fraternité lors des épreuves nous emporte de la première à la dernière page celle qui conte la mort du patriarche…fin d’une époque. La face sombre d’un avenir qui devait être radieux c’est celle de la surproduction, de la surconsommation, d’une information cadenassée à la recherche du scoop et de la catastrophe écologique imminente.

Enfin, peut-être y-a-t-il un clin d’œil à la configuration actuelle, marquée par le regain nationalo-populiste,le retour de la guerre en Europe, les menaces des ambitions poutiennes, l’arrivée au pouvoir de mégalomanes et le nouveau péril nucléaire. 

Un livre qui risque fort de vampiriser une de vos nuits. 

Érik Lambert.


[1] Allusion à l’incontournable ouvrage de Marc Bloch, L’Étrange Défaite.
[2] Un chrononyme, concept introduit par la linguiste suisse Éva Büchi en 1996, consiste, selon la définition de la revue Mots en 2008, reprise par Dominique Kalifa (Paris-I-Panthéon-Sorbonne), en « une expression, simple ou complexe, servant à désigner en propre une portion de temps que la communauté sociale appréhende, singularise, associe à des actes censés lui donner une cohérence, ce qui s’accompagne du besoin de la nommer ». Les historiens ont remis en cause ces appellations : ainsi, la   « Belle Époque » fut davantage marquée par la misère ouvrière et de graves tensions sociales que par l’illusion d’une époque de progrès sociaux, économiques et technologiques. Période d’effervescence artistique, intellectuelle et scientifique qui agitait le pays et, dans des proportions diverses, le reste de l’Europe. Mais cette effervescence fut le fait d’une bourgeoisie opulente, qui vivait de ses rentes, jouissait intensément des progrès et des créations culturelles de son temps et voyageait beaucoup – sans passeport -, alors que le reste de la population demeurait dans une certaine précarité. Jean Fourastié a utilisé le chrononyme de « Trente Glorieuses « dans un essai paru chez Fayard en 1979, Les Trente Glorieuses, ou la révolution invisible de 1946 à 1975 afin de qualifier la période d’après-seconde guerre mondiale.
[3] Pour exemple, pages 498-499 lorsqu’il évoque l’incendie à la centrale nucléaire de Windscale, en Angleterre, dont les effets se firent sentir pendant plusieurs décennies. Or, il situe cet événement en 1959 alors qu’il survint le 7 octobre 1957.


J’ai vu au cinéma deux films récents : la chambre d’à côté de Pedro Almodovar et le dernier souffle de Costa- Gavras traitant de la fin de vie… et me revient en boomerang cette question : comment vais-je appréhender ma propre mort ?
Ce qui m’a frappée dans les deux films, c’est la peur pas toujours exprimée mais latente de celui ou celle qui va affronter la mort et la frayeur des membres qui l’entourent.
Une piste de réflexion s’ouvre dans chacun des deux films :
Se situer en vérité c’est-à-dire : donner à chacun la part de vérité qu’il peut entendre.

J’ai ressenti à quel point la vérité peut rendre libre et combien les mensonges et les non-dits sont toxiques et aboutissent à des impasses.
Ce cadre exigeant étant posé, celui ou celle qui va quitter la vie reçoit le pouvoir de décider du moment où il ou elle pourra fermer les yeux.
J’ai été profondément touchée par la présence de proches quelquefois joyeuse, quelquefois bruyante, quelquefois artistiquement animée mais toujours bienveillante qui marque les derniers instants de vie des héros portés à l’écran.
Je me permets de vous recommander ces deux films. Loin de s’opposer, ils recèlent une profonde leçon de vie.

Michèle Levasseur

événements

Thème : La miséricorde
Intervenant : Frère François Comparat, ofm

Quand 👉 Dimanche 16 mars 2025 Accueil à partir de de 9h . Fin à 17h15
Où 👉 Au couvent des Capucins, 32 rue Boissonnade, 75014 Paris,
Métro Raspail ou RER Port-Royal.

Repas partagé – Participation aux frais :10 €
Eucharistie à la fin de la journée.


« Des ténèbres à son admirable lumière » – Saint François d’Assise

Inscriptions et informations :
‼️ Inscriptions avant le 1er avril 2025 ‼️
Contact 👉 Sœur Brigitte Desserre (Deauville) : 06 77 60 30 60 / brigittedesserre8@gmail.com


Quand 👉 Du jeudi 29 mai vers 17h, avec la participation à la messe de l’Ascension, au dimanche 1er juin 2025 matin.

Au programme :

  • Approche historique, philosophique et théologique du cantique des créatures.
  • Ecologie intégrale : Cri de la terre et cri des pauvres.
  • Actualité du Cantique des créatures.
  • L’émerveillement et la louange
  • des ateliers : Louer en prenant soin de la création
  • des activités pour les enfants et les jeunes.

Programme détaillé, coûts (jusqu’au 17 janvier 2025) et modalités d’inscription 👉 C’est Ici

Edito mars

Le 1700e anniversaire du Symbole de Nicée (325)

C’est un événement considérable pour l’Église d’aujourd’hui, nous expliquons pourquoi.

Qu’est-ce qu’un symbole de foi ? C’est une formule destinée à exposer en résumé l’essentiel de ce qu’il faut croire pour être considéré comme chrétien. La nécessité du symbole remonte à l’origine même de l’église chrétienne : des petites communautés de croyants rassemblés à partir de la prédication et de l’initiative d’un apôtre ou d’un de leurs disciples, répandues à travers tout le monde antique, surtout le monde gréco-romain, mais bientôt asiatique, africain et européen ; Ces communautés étaient environnées de païens dont il importait de se distinguer. Quand un baptisé voyageait et se présentait dans une autre communauté chrétienne, il était nécessaire de le reconnaitre, alors que des divergences doctrinales avaient déjà vu le jour (gnostiques, docètes, subordinatianistes etc…).

Chacune des communautés avait sa formule propre pour dire : « Dieu-Créateur, son Fils unique Jésus-Christ, sauveur des hommes par son incarnation, sa passion et sa résurrection. L’Esprit-saint qui unifie les croyants dans une unique église qui transmet la rémission des péchés, la sanctification et la foi en la vie éternelle. » Ces formules échangées entre les communautés chrétiennes s’étaient ajustées progressivement les unes aux autres pour être intégrées dans la catéchèse et la liturgie baptismale.

Au début du IVe s. Arius un prêtre d’Alexandrie, célèbre prédicateur et instruit de la philosophie grecque rechercha une expression plus compréhensible, selon lui, pour parler de l’Incarnation du Christ. Il enseignait que Jésus, Fils de Dieu, avait été créé avant les autres créatures, comme intermédiaire entre Dieu et ses créatures, il n’était donc pas lui-même Dieu au même titre que le Père, mais seulement associé au divin, de par son origine. En raison de son succès oratoire, cette explication séduisit un grand nombre de chrétiens d’Alexandrie, puis de là, des chrétiens d’autres églises asiatiques. Des discussions et des querelles s’ensuivirent au point d’inquiéter l’empereur Constantin nouvellement converti, mais non encore baptisé. Il souhaitait l’apaisement et l’unité de la communauté chrétienne, à travers son empire. Il convoqua donc une assemblée des évêques, en 325, pour formuler une expression commune de la foi chrétienne. Le nombre des évêques présents, selon les diverses sources varie entre 230 et 318. Malgré d’intenses disputes, le diacre Athanase, soutien de l’évêque Alexandre d’Alexandrie qui avait condamné Arius, parvint à faire admettre sa profession de foi par l’ensemble des évêques, sauf deux qui quittèrent l’assemblée. Ce fut le premier Concile œcuménique, dont le symbole servit de matrice aux symboles publiés par les conciles suivants. A partir du 5e siècle, après apaisement des querelles, il devint le symbole officiel de la liturgie chrétienne, surtout baptismale.

Portée œcuménique
Et il demeure, jusqu’aujourd’hui la référence essentielle des églises chrétiennes, comme pour le Conseil œcuménique des églises chrétiennes, fondé en 1948 qui rassemble plus de 300 communautés ecclésiales et a comme critère d’appartenance : « l’Église professe la foi dans le Dieu trinitaire selon les Écritures, et telle que cette foi est reflétée dans le Symbole de Nicée-Constantinople. » C’est dire sa portée œcuménique, car toute tentative de rencontre pour un retour à l’unité chrétienne, part de cette formule de foi.

La Fédération protestante de France et l’église grecque orthodoxe dans son ensemble se réfèrent donc à ce symbole ; avec cependant deux restrictions : La traduction française « catholique » du mot grec « Katholicos » qui signifie bien « universel », mais qui a le tort à leurs yeux de faire référence privilégiée à l’église romaine ; et l’expression « Filioque » ajoutée au IXe siècle au symbole de Nicée-Constantinople, sur une initiative de Charlemagne qui légiféra en liturgie pour l’ensemble de son empire. C’est le lieu d’un débat encore actuel entre les églises d’Occident et les églises d’Orient.

Actualité du symbole de foi.
Dans la société contemporaine fortement sécularisée, où beaucoup de chrétiens se contentent d’une expression approximative de leur foi et n’hésitent pas à se forger, pour chacun, sa propre conception doctrinale, il est important de se référer à une valeur sûre, une formule qui remonte à l’origine de l’Église, professée par l’ensemble des chrétiens qui se reconnaissent dans cette profession de foi. Pour la catéchèse d’aujourd’hui, il est urgent d’exposer et d’expliquer cette base catéchétique que nous avons accueillie lors de notre baptême et qui nous permet, dans notre prière de nous approcher avec sûreté du vrai Dieu, vivant et vrai, Père Fils Esprit Saint, auteur de la création et du salut de tous les hommes, manifesté et réalisé en son Fils Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme qui nous promet la vie éternelle en communion avec Dieu et avec l’humanité sauvée.

N-B. Pourquoi le retour à l’expression « consubstantiel au Père »

Il est vrai que c’est un mot difficile. Une première traduction qui a eu cours pour les pays francophones, entre le Concile Vatican II et 2019, semblait écarter cette difficulté en proposant « de même nature que le Père ». Mais cette traduction entraînait une ambiguïté, car elle exprimait bien le caractère divin du Christ, mais pouvait être comprise comme s’appliquant à deux êtres différents, de même que Pierre et Jacques sont possesseurs de la même nature humaine, mais sont deux individus différents. On a donc préféré revenir au texte d’origine… qui cependant suppose une catéchèse pour chaque génération.

F. Luc Mathieu, ofm
Paris 2025

frère François Comparat

Pour commencer, François, pourrais-tu nous retracer ton parcours ?
Je suis le frère François, lyonnais d’origine. J’ai bientôt 80 ans et cela fait plus de cinquante ans que je suis chez les frères mineurs. Avant d’être franciscain, j’étais étudiant, skieur, alpiniste…et puis un beau jour, à Taizé, j’ai découvert la prière en français – chez nous c’était encore en latin – ça m’a beaucoup plu…c’est ainsi que cela a commencé et ça a pris des années…
Il faut dire que je suis d’une famille nombreuse, huit enfants, donc le mouvement, le groupe, le service, je connaissais. J’ai fait aussi du scoutisme, et au lycée, comme à la fac, j’étais au Bureau des élèves. Par conséquent, j’ai toujours été habitué à vivre avec d’autres, à partager avec d’autres. Et c’est une des raisons pour lesquelles j’ai choisi la vie religieuse : pour vivre à plusieurs.
J’ai d’abord terminé mes études, à caractère juridique. Et j’avais presque 25 ans quand je suis rentré dans l’Ordre. Là, je n’ai pas voulu faire de théologie car j’en avais un peu assez des études !
Alors, j’ai passé un CAP de maçon, et j’ai été ouvrier pendant près de 3 ans. Non pas par amour de la maçonnerie, mais par amour des ouvriers étrangers qui travaillaient dans le bâtiment, parce que c’était un milieu que je ne connaissais pas, moi qui étais issu de la bonne société. Je voulais être avec les étrangers de l’époque qui étaient des maghrébins – c’était après la guerre d’Algérie – mais j’étais très mauvais comme maçon !

Pourquoi as-tu choisi d’entrer chez les frères mineurs ?
J’ai choisi les frères mineurs presque par hasard, tout simplement parce que j’ai rencontré un Franciscain « sympa »… j’aurais pu être Dominicain, Assomptionniste, Salésien…mais j’ai croisé sur ma route un frère qui m’a aidé, qui m’a compris et qui m’a accompagné. Alors, je me suis dit : pourquoi pas ?
Et je n’ai jamais souhaité être prêtre. D’abord parce que Saint François ne l’était pas. Ensuite, ce qui m’intéressait c’était le mot « frère » et la fraternité, et je ne voyais pas pourquoi être autre chose. L’Église m’agaçait un peu, parfois, et je la trouvais trop formaliste. J’étais plus proche d’un Évangile au ras des pâquerettes. J’ai toujours voulu être en relation avec d’autres, être parmi les autres.
Après avoir été maçon à Grenoble, j’ai participé à la fondation d’une petite communauté dans le Lubéron : Grambois. J’y ai travaillé comme ouvrier agricole. Mais un beau jour, le boulanger du village est venu à la communauté en disant : « Ma femme est malade, est-ce qu’un frère pourrait la remplacer pendant quelques jours? » J’y suis allé… et j’y suis resté deux ans et demi ! Tout cela s’est fait par hasard.
A Grambois, puis à Lyon, j’ai fait des études de théologie. Au début, je n’y tenais pas trop, car ce qui m’intéressait, moi, c’était l’action avec les plus simples. Mais les frères ont insisté, alors, j’ai fait de la théologie. Finalement cela m’a beaucoup plu, et plus tard je suis devenu professeur de théologie. Pendant que j’étudiais, le recteur de la Catho de Lyon m’a demandé si je pouvais remplacer un aumônier durant 2 à 3 mois. J’ai accepté et cela a duré 30 ans, entre Lyon, Avignon et Strasbourg. Quelques années après, en Avignon, c’est un professeur de théologie qui était malade et qu’il a fallu remplacer. J’avais les diplômes pour, j’ai donc donné mon accord. C’était pour 3 mois, et j’y suis resté, là aussi, 30 ans ! A chaque fois les choses se sont faites par hasard, et parce qu’on m’a sollicité.
J’ai beaucoup bougé aussi, j’allais là où on me demandait d’aller. Je crois que j’ai vécu dans 13 ou 14 communautés différentes, où j’ai été pendant de nombreuses années membre de l’équipe de formation.

C’est drôle, dans ton parcours tu as fait beaucoup de choses, mais pas forcément par choix personnel au départ ?
Non, mon choix, ça a été la vie religieuse, et ça c’est un choix vraiment très fort. J’ai d’ailleurs commencé par regarder du côté de La Trappe, à Tamié, parce que je cherchais une vie communautaire. Les moines m’intéressaient pour cette raison. Mais j’ai réalisé que j’adorais parler, et que j’aimais bien prier, mais pas trop… J’ai découvert alors qu’il existait une vie religieuse apostolique, et c’est vers elle que je me suis orienté, pour pouvoir continuer à parler, à bouger, à rencontrer du monde. J’en avais besoin parce que j’étais un « excité de première » ! Et je suis devenu Franciscain parce que j’ai rencontré ce frère. Je n’avais jamais lu les Écrits de saint François, et je ne les ai lus que beaucoup plus tard. C’est la vie franciscaine qui m’a formé. Moi, je n’ai eu simplement que le désir d’être à plusieurs. C’est un peu pour cela aussi que je n’ai jamais souhaité être prêtre parce que j’aimais bien être au milieu des autres, voilà, c’est tout.

Et pourquoi les frères t’ont-ils demandé de faire des études de théologie ?
C’était pour ma foi. Les frères m’ont dit qu’il fallait que j’approfondisse ma foi, et donc l’Écriture sainte, la pensée de l’Église, le Credo…et moi je me disais : « Oui, oui, je veux bien…mais pas plus…pas trop ! » Or, les études de théologie m’ont beaucoup plu ! Un peu bizarrement, elles m’ont transformé !
Donc j’ai beaucoup enseigné, j’ai été professeur de théologie en Avignon, à Lyon, à Paris, à Strasbourg, et même, mais de façon irrégulière, à Kinshasa, à Tananarive, en Thaïlande… J’ai beaucoup enseigné, mais, à chaque fois, parce qu’on me l’a demandé, et à chaque fois j’ai été content de le faire. Et pourtant, je ne demande rien, j’aime bien ne rien faire, je suis très paresseux en fait…Un ancien provincial disait : « François, c’est un paresseux qui travaille ». Alors, je travaille beaucoup, mais quand je ne fais rien, je suis encore mieux ! J’adore ne rien faire ! (éclats de rire)

Tu parlais également du souci des plus pauvres, d’être au milieu d’eux…
A la fin de mes études, je n’avais pas très envie de travailler, j’étais plutôt attiré par l’activité communautaire. Je me voyais mal cadre supérieur. Donc l’Église m’a attiré car elle me permettait d’échapper à cette emprise d’efficacité professionnelle. Je cherchais un peu plus de gratuité, un peu plus de temps libre, je cherchais le contact avec les autres, et pas simplement une réussite professionnelle.
C’est pourquoi l’aumônerie étudiante m’a bien plu, et c’est pourquoi je me suis aussi occupé d’étrangers et de migrants. L’action est une chose, mais moi j’aimais surtout être le frère, l’ami, l’écoutant. Je n’étais pas une assistante sociale, j’étais là seulement pour écouter.
Et je rends grâce à Dieu car beaucoup de gens sont venus me voir alors que je ne m’estimais pas capable de les recevoir. Ils voulaient simplement parler… Aujourd’hui, je fais beaucoup d’accompagnement humain et spirituel, je n’ose pas dire « direction spirituelle » parce que je ne dirige personne.

A côté de tout ce que tu fais actuellement, tu es aussi écrivain public ?
Oui. Ayant fait un peu de droit, j’ai travaillé dans une association qui accueillait des migrants. Mais je n’étais pas un bon juriste, c’est l’accueil gratuit qui me convenait, et c’est ce que j’ai fait. Puis j’ai été nommé à Strasbourg, et là-bas j’ai continué à voir des étrangers, mais hors cadre associatif. Je me suis contenté d’être leur ami, un écoutant, et je suis devenu écrivain public. Car ces personnes, au bout de quelques années, parlaient bien français, mais l’écrire c’était autre chose. Beaucoup de gens sont venus me voir pour que je corrige leurs lettres ; aujourd’hui encore, parce qu’ils en parlent entre eux. Je suis un « écrivain public privé », c’est à dire que ce sont les gens qui font la démarche, qui viennent me chercher.

Et pour toi c’est important de maintenir l’équilibre entre ce souci des plus pauvres et un côté plus intellectuel ?
La théologie, pour moi, c’est d’abord une proximité avec l’Écriture sainte, et j’espère avec le Christ, et tout le reste s’explique à travers cela. C’est par amour de l’Évangile que je suis capable d’écouter des gens qui ne pensent pas comme moi, qui ne croient pas comme moi, qui croient autrement…ça ne me gêne pas parce que l’Évangile est premier.

Propos recueillis par Pascale Clamens-Zalay, le 7 janvier 2025
La seconde partie de cet entretien sera mise en ligne sur notre site au mois de mars.

François Leclerc du Tremblay

Francois Leclerc du Tremblay (1577-1638)

Il fait l’objet de nombreux livres ; Alfred de Vigny lui attribua une responsabilité dans l’exécution du jeune conspirateur Henri Coiffier de Ruzé d’Effiat, marquis de Cinq-Mars[1], alors qu’Aldous Huxley lui consacra en 1941 une biographie[2] ; il apparaît par ailleurs dans un drame lyrique de Gounod[3], eut l’honneur des colonnes du Monde Diplomatique[4] en avril 1958, apparaît dans des films, figure en arrière-plan de la célèbre œuvre picturale de Henri-Paul Motte, Richelieu au siège de La Rochelle[5] et eut même le privilège d’être portraituré au XVIII°siècle[6]. Il fut par ailleurs l’objet d’une huile sur toile du peintre académique Jean-Léon Gérôme conservé au musée de Boston[7]. Enfin, l’intérêt qu’il suscite encore de nos jours se manifeste par les multiples podcasts[8]qui lui sont consacrés. Mais qui était ce personnage énigmatique ?

François Leclerc du Tremblay, dit « Père Joseph » fut un homme d’une telle influence que l’historiographie française du xix° siècle et du début du xx° siècle forgea le concept d’« éminence grise », concept inspiré par la figure de ce capucin, principal collaborateur du cardinal de Richelieu. Dans Les Trois Mousquetaires, Alexandre Dumas n’écrivit-il pas : « Après le roi et M. le cardinal, M. de Tréville était l’homme dont le nom peut-être était le plus souvent répété par les militaires et même par les bourgeois. Il y avait bien le père Joseph, c’est vrai, mais son nom, à lui, n’était jamais prononcé que tout bas, tant était grande la terreur qu’inspirait l’éminence grise, comme on appelait alors le familier du cardinal ». Sa robe grise de capucin fut mise en parallèle avec celle, rouge, du cardinal de Richelieu et devint l’archétype de l’éminence grise. Homme talentueux et efficace, travaillant dans l’ombre de Richelieu, il exécutait des missions secrètes pour le cardinal. Le contraste entre le vu et le caché est essentiel pour percevoir le concept d’« éminence grise ». Adjoint du premier ministre de Louis XIII, le « Père Joseph » fut un collaborateur de qualité à tel titre que Richelieu demanda à Rome le chapeau de cardinal pour celui qui ne le quittait jamais ; d’où le nom d’« éminence ». Perpétuellement malade, Richelieu pensait sans doute à son homme de confiance pour lui succéder, et c’est pour cela qu’il contribua à l’élever au cardinalat. Mais, le père Joseph mourut avant lui le 18 décembre 1638. 

Tremblay était un ecclésiastique sans position à la cour, devenu l’un des principaux diplomates royaux et une sorte de ministre des affaires militaires. Ce statut ecclésiastique fut très important car il induisit longtemps l’idée qu’une éminence grise était nécessairement un homme d’Église. Capucin, il était vêtu de gris, couleur parfaitement associée avec le symbole de ces « zones grises[9] » entre l’ombre et la lumière où œuvrent depuis les Arcana imperii[10] de l’Antiquité, ces personnages obscurs qui étaient parfois plus puissants que les puissants. Du reste, Molière dans Le Tartuffe illustra les obsessions nourries au XVII°siècle pour la dissimulation, stratégie qui fut dénoncée avec l’avènement de la démocratie. 

François-Joseph Leclerc du Tremblay naquit le 4 novembre 1577 à Paris d’une famille de parlementaires[11]. En effet, son père fut président aux requêtes du Parlement de Paris, puis ambassadeur à Venise et enfin chancelier de François d’Alençon[12]. Il reçut une éducation humaniste, d’autant qu’hormis sa mère, personne ne devait lui parler autrement qu’en latin et en grec. Il aurait probablement suivi la tradition de robe paternelle si le veuvage de sa mère, Marie de La Fayette, n’en avait décidé autrement. En effet, son père mourut en 1587, en pleine période ligueuse. François avait alors 10 ans. Les troubles politiques incitèrent sa mère à se retirer dans leur château du Tremblay, près de Montfort-L’Amaury. Ce fut là que le jeune François découvrit Saint -Augustin. « J’avais joué aux cartes, ri et folâtré à bouche ouverte, quand, au-dedans, je conçus soudain une grande mutation de sentiments ; sur les parties basses de mon âme, s’épandit une rosée de délectation divine. ». Sa mère, issue d’une famille de noblesse d’épée, préféra diriger son aîné vers la carrière militaire. Né dans un milieu très ouvert pour l’époque, animé tant par le service de l’État que par l’intérêt manifesté pour les questions religieuses, sa filiation parentale lui permit de prendre le titre de baron de Maffliers en 1595. Ce titre contribua par ailleurs à sa fortune et le mit en relation avec quelques grandes familles de la cour, les Joyeuse, les Retz et les Montmorency. Du reste, Joseph-François reçut une éducation nobiliaire et, à 18 ans, fit plusieurs voyages initiatiques en Italie et en Allemagne, expérimenta sa bonne connaissance des langues, séjourna à la cour sous la protection du connétable[13] de Montmorency, s’initia au métier des armes, fréquenta la célèbre académie équestre d’Antoine Pluvinel et participa, en 1597, à son premier fait d’armes, au siège d’Amiens. 

Sa décision de rompre avec sa carrière de noble d’épée n’était pas une tocade car il avait déjà côtoyé les milieux dévots parisiens. Il fréquenta le collège de Boncourt[14], rencontra André du Val[15] et Pierre de Bérulle, deux figures de proue du renouveau spirituel à l’aube du Siècle des Saints. Ce fut Bérulle, le futur fondateur de l’Oratoire, qui le fit entrer dans l’un des plus célèbres foyers religieux de la capitale : l’hôtel de Madame Acarie. Par ailleurs, Joseph fut, dès son enfance sujet à des « visions sataniques » tout en nourrissant un profond sentiment de culpabilité qui le conduisit, le 2 février 1599, à prendre l’habit gris des capucins sous le nom religieux de Père Joseph. Soucieux de fuir le monde qu’il aspirait à réformer, son amitié avec Pierre de Bérulle[16] le conforta dans son ambition de jouer une rôle spirituel. Selon ledit Bérulle, le catholicisme français était déchiré entre les « catholiques royaux » qui situaient l’Église dans l’État, et les « catholiques zélés » qui situaient l’État dans l’Église. Refusant le catholicisme royal, conjoignait mystique et politique, Bérulle entendait réformer le corps de l’Église en pariant sur le fait que le roi finirait par ne plus tolérer les hérétiques en son royaume. Le choix opéré par François Leclerc du Tremblay de rejoindre les Capucins n’était pas anodin : cet ordre franciscain austère, très attaché à l’entourage de feu roi Henri III avant de verser dans la Ligue catholique, était connu pour avoir déjà accueilli plusieurs membres de la cour, comme le marquis de Querfinian et le célèbre Ange de Joyeuse[17].

Créés en 1525 par Matteo di Bassi dans le but de restaurer la règle franciscaine dans toute sa rigueur, les Capucins exerçaient au XVIIe siècle, par leur ardeur militante, une influence grandissante. Au moment des grandes crises de subsistances et des épidémies, avec leur capuche, pieds nus dans des sandales, ils circulaient parmi les malades, payant de leur personne, très souvent au prix de leur vie. Ordonné prêtre en 1604, le père Joseph devint alors un mystique et un missionnaire à l’activité débordante. À l’intérieur de l’ordre, son ascension fut rapide. Il fut successivement maître de philosophie à Paris, maître des novices à Meudon, supérieur de la maison de Bourges avant d’être envoyé dans la province tourangelle comme coadjuteur du provincial. Le père Joseph se signala aussi par un grand nombre d’initiatives. Il organisa les grandes missions capucines dans les régions calvinistes de l’ouest du royaume, il mena également la réforme de l’abbaye de Fontevraud et fonda la congrégation des filles du Calvaire. Ce nouvel ordre de moniales, dont il devint le directeur de conscience attitré, reçut alors le soutien de Marie de Médicis à Paris et de Richelieu à Loudun. Cette rencontre avec la reine mère et le jeune évêque de Luçon, Armand Du Plessis plus connu sous le nom de Richelieu, fut décisive pour son avenir politique, puisqu’on le sait, cela lui permit de devenir l’agent et le principal conseiller de « l’homme rouge », après que celui-ci eut été rappelé aux affaires d’État. Ils se rencontrèrent en 1610 ou 1611 alors qu’ils travaillaient tous les deux à la réforme de Fontevraud. Avide de pouvoir, Richelieu, dont l’origine sociale et l’éducation étaient très proches de celles du père Joseph, comprit le bénéfice qu’il pourrait retirer de l’amitié du capucin, qui connaissait parfaitement les milieux de la cour. L’existence du Père Joseph suivit dès lors un nouveau chemin. 

Érik Lambert


[1] A. de Vigny, Cinq-Mars, publié en 1826. A.de Vigny, Cinq-Mars, Paris, Livre de poche, 2006, 640 pages.
[2] On peut se reporter au travail publié par les Éditions des Belles Lettres, A. Huxley, L’Éminence grise, études de religion et de politique, Les Belles Lettres, Paris, 2022, 360 pages.
[3] C. Gounod, Cinq-Mars, première représentation à l’Opéra-Comique, 5 avril 1877.
[4] Article titré « Un capucin diplomate ».
[5] Il apparaît aussi dans une huile sur toile conservée au Detroit Institute of Arts ; Charles-Édouard Delort, La distraction de Richelieu, le Père Joseph, le Cardinal Richelieu et ses chats
[6] Oeyreluy ; église paroissiale Saint-Pierre par La Tourasse au XVIII°siècle.
[7] J.L. Gérôme, L’Éminence grise. 1873. Peinture à l’huile sur toile représentant le Père Joseph descendant un grand escalier du Palais-Cardinal devenu Palais-Royal sous Louis XIV. On identifie une douzaine de courtisans qui montent les marches et s’inclinent dans sa direction. Le Père Joseph dans sa coule de capucin, la corde de Saint-François (cordon séraphique) à laquelle pend un rosaire, descend lentement les marches. Son regard plongé dans la lecture du bréviaire qu’il tient des deux mains, sans paraître se préoccuper des courbettes que provoque son passage. Le peintre souligne l’influence politique du père Joseph en accentuant le contraste entre le capucin vêtu de sa robe de bure seul à droite et la magnificence des ecclésiastiques et des nobles qui s’inclinent respectueusement devant lui, regroupés à gauche. Les armes du cardinal de Richelieu se détachent à l’arrière-plan (D’argent à trois chevrons de gueules). L’œuvre est peut-être une critique ironique de l’influence de l’église sur la vie politique. Gérôme montre la duplicité du père Joseph. D’ailleurs ce tableau est peint en période d’Ordre moral. Le Larousse de 1865 précise à propos de Tremblay : « intelligence vaste et réfléchie… peu scrupuleux… sachant allier les ruses de la politique aux formes de l’austérité religieuse, ce moine homme d’état, cette éminence grise, comme on l’appelait, était un vrai ministre sans titre officiel, mais une autorité devant laquelle s’inclinait secrétaire d’État, ambassadeurs et généraux ». 
[8] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/au-fil-de-l-histoire/l-eminence-grise-de-l-eminence-rouge-le-pere-joseph-conseiller-de-richelieu-1058507 ; https://www.europe1.fr/emissions/les-conseillers-de-lombre/le-pere-joseph-eminence-grise-de-richelieu-4001504
[9] Expression désormais très utilisée en géopolitique pour qualifier un espace de dérégulation sociale, de nature politique ou socio-économique, échappant au contrôle de l’État ; espace dont le contrôle est aux mains de « groupes alternatifs » et dans lequel tend parfois à se développer une économie parallèle. 
[10] Gouvernement secret, ce qui ne peut être percé à jour, ce qui substantiellement est celé tout en étant au cœur de la politique. Le mot arcane, du latin arcanus(de arx, forteresse ou de arca, coffre), apparaît en français sous la forme arquenne ou archane dès le début du XVe siècle.
[11] Issu de la Curia regis (Cour ou Conseil du roi), le Parlement est l’un des principaux rouages de l’administration centrale de la France d’Ancien Régime. Les Parlements étaient des entités juridiques et administratives qui contribuaient à la gouvernance du pays par le Roi.  Ces juridictions (et en premier lieu le Parlement de Paris) avaient pour fonction très importante d’inscrire dans leurs registres toutes les décisions et mesures prises par la Royauté, après avoir vérifié leur compatibilité avec le droit, les usages et les coutumes locales (un ensemble mi-formel, mi-informel que l’on appelait alors les « Lois fondamentales du Royaume »). Ce furent donc une « cour constitutionnelle ». Petit à petit, les Parlements développèrent un nouvel usage coutumier, appelé le « droit de remontrance » qui consistait à formuler des recommandations et préconisations au Roi en amont de l’enregistrement d’une mesure. L’idée était d’avertir le Roi que telle ou telle mesure qu’il souhaitait adopter était en contradiction avec une ancienne mesure de ses prédécesseurs, ce qui nécessitait potentiellement de revoir la mesure proposée par le Roi. Les parlementaires constituèrent une véritable « classe sociale », très riche, disposant de nombreux privilèges, qui se transmettaient donc de génération en génération. La possession d’une charge de magistrat valait au concerné d’être anobli, et les membres des parlements étaient appelés dans l’Ancien Régime la noblesse « de robe ». En fait, ils représentaient la bourgeoisie des villes. Le Parlement de Paris joua un rôle important lorsque Louis XVI décida d’imposer au Parlement de Paris un emprunt important. Les parlementaires réclamèrent la convocation des États-Généraux, chose qui ne s’était plus produite depuis 1614. La réunion des États-Généraux marqua le point de départ de la Révolution, qui détrôna Louis XVI, victime de son incapacité à vaincre l’opposition des privilégiés.
[12] Dernier des fils du roi de France Henri II et de Catherine de Médicis, François d’Alençon, devenu duc d’Anjou en 1576, était un homme ambitieux qui joua un rôle non négligeable au cours des guerres de religions, en France comme à l’étranger. Ses opinions religieuses modérées lui gagnèrent un grand nombre de partisans, catholiques et protestants. Il s’opposa fréquemment à Henri III, participant à des complots avec Henri de Navarre et prenant la tête des troupes combattant les forces royales. Appelé « Monsieur » était le chef des Politiques ou Malcontents qui plaçaient l’intérêt national au-dessus des querelles religieuses. La cinquième guerre de religion se conclut le 6 mai 1576 par la paix de Beaulieu-lès-Loches ou paix de Monsieur car elle est inspirée par le jeune frère du roi Henri III. Mais, la paix apparaissant trop favorable aux protestants, les ligues locales formées par les bourgeois catholiques s’unirent à l’initiative de Charles d’Humières, qui, en novembre 1576, refuse de livrer la citadelle de Péronne au prince de Condé, un chef protestant nommé gouverneur de Picardie et fondèrent le 12 mai 1577 la Ligue catholique (Sainte Ligue «au nom de la Sainte Trinité pour restaurer et défendre la Sainte Église catholique, apostolique et romaine »). Le duc Henri de Guise le Balafré en prit la tête avec ses frères, le cardinal de Lorraine et le duc de Mayenne et engagèrent une nouvelle guerre. La mort, en 1584, de François d’Alençon ouvrit au futur Henri IV la succession au trône de France.
[13] Chef de l’armée royale.
[14] A participé au développement de l’Université de Paris aux XIII° et XIV° siècles. Collège fondé en 1353 par Pierre de Bécoud pour 8 boursiers du diocèse de Thérouanne. Il prit le nom de Boncourt après une mauvaise traduction répétée du nom de son fondateur. Il fut rattaché en 1638 au collège de Navarre Depuis 1981, site du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche qui a abrité dès 1353, le Collège de Boncourt.
[15] André Duval, ou André du Val fut un théologien catholique ultramontain, professeur et prédicateur français né le 15 janvier 1564 et mort le 9 septembre 1638 (à 74 ans).
[16] Né en 1575, mort en 1629, après avoir fondé l’Oratoire en 1611 et été ordonné cardinal en 1627, Bérulle est un homme du Concile de Trente (1545-1563) et de la Contre- Réforme, dont le but fut à la fois de réformer l’Église catholique et d’endiguer le protestantisme. Bérulle poursuivit ses études à la Sorbonne et fut ordonné prêtre en 1599. En même temps, il faisait montre d’une grande précocité spirituelle, favorisée par l’influence des Capucins, des Chartreux, et de sa propre cousine Madame Acarie, qui tenait salon à Paris et qui bénéficiait de profondes expériences mystiques. Bérulle mènera de front deux types d’activité : l’accompagnement spirituel et la controverse. En 1600 il participe à la Controverse de Fontainebleau qui oppose le Cardinal du Perron à Duplessis-Mornay. Sur le plan spirituel sa première œuvre sera d’introduire en France le Carmel réformé par Sainte Thérèse d’Avila en 1584. Fascinés par l’œuvre espagnole, les dévots français – le cercle Acarie – affirment que la réforme doit être spirituelle avant d’être institutionnelle. Bérulle obtiendra d’Henri IV la permission et les moyens d’installer des carmélites espagnoles en France en leur donnant mission de former les futures carmélites françaises. En octobre 1604, six religieuses arrivent au couvent de l’Incarnation, et à la mort de Bérulle 42 carmels auront été fondés. A la suite du Concile de Trente s’est mise en route une profonde réforme du clergé séculier, très mal formé au 16ème siècle par manque de séminaires. Conscient des faiblesses théologiques et spirituelles du clergé, Bérulle travaille d’abord modestement, en regroupant quelques prêtres en communauté de façon à les former et à les mettre à disposition des évêques. Il a pour modèles d’enseignement les jésuites, les oblats de Saint Ambroise, et Philippe de Néri, le fondateur de l’Oratoire romain. Cet admirateur de Savonarole, né à Florence en 1515, monta à Rome où il fut profondément frappé par le nombre de personnes désœuvrées. Il eut l’idée de les inviter à former une sorte de groupe de prière qu’on appela l’Oratoire. L’Oratoire est introduit à Thonon par François de Sales, ami de Bérulle. Et en 1611, celui-ci fonde l’Oratoire de France à l’hôtel du Petit Bourbon, vers l’actuel Val de grâce. L’expansion est très rapide si bien qu’à la mort de Bérulle 50 maisons auront vu le jour, les premières à Dieppe, à la Rochelle, à Saumur…avec parmi leurs objectifs de lutter contre l’influence du protestantisme, les principaux étant l’éducation, la mission, les hautes études. En 1616, l’Oratoire s’installe à l’hôtel du Bouchage, tout près du Louvre afin de se rapprocher du pouvoir royal. En effet, la réforme doit se faire par le haut. Les travaux commencent en 1621. Et pendant tout l’Ancien Régime cette maison aura un rôle de premier plan en tant que foyer liturgique et lieu de prédication. Les oratoriens, qu’on surnomme “ les pères aux beaux chants ” possèdent une belle bibliothèque, avec beaucoup de manuscrits orientaux. Bérulle a même eu le projet d’éditer une Bible polyglotte. Mais ce fondateur fut également un homme politique, lié à Marie de Médicis, aumônier d’Henri IV, et chef du parti dévot à partir de 1620. Mais un conflit l’opposa à son ami Richelieu dans les années 1628-1629 : par réalisme politique, Richelieu décida de composer avec les protestants, et il fut soutenu par Louis XIII., ce qui signifia la défaite de Bérulle et du parti dévot. Cette implication dans les affaires de son temps ne l’empêcha pas d’être avant tout un grand spirituel, qui vécut dans l’évidence et l’adoration de Dieu. Bérulle, cet homme petit, doux, onctueux même, autoritaire et très secret, a marqué la spiritualité française bien au-delà de son époque, de par ses fondations mais aussi de par ses convictions spirituelles. Il a façonné un certain type de prêtre et de chrétien : le catholique dévot. Une belle figure en est Saint Vincent de Paul, qui fonda les lazaristes pour les pauvres ; un exemple moins édifiant en est le Tartuffe immortalisé par Molière….
[17] Henri de Joyeuse, duc de Joyeuse (ville du Vivarais, actuellement en Ardèche) et comte du Bouchage (commune actuellement située en Isère), noble, homme de guerre et prêtre capucin français, nommé en religion « Père Ange », né le 21 septembre 1563 et mort le 28 septembre 1608.  Il a aussi été lieutenant général de la province du Languedoc puis Maréchal de France. Il quitta l’habit et rejoignit la Ligue catholique en 1592. De nouveau capucin à partir de 1599, Henri de Joyeuse (Père Ange) devint un prédicateur renommé et un mystique sujet à des extases. Son corps inhumé dans l’église du couvent des Capucins Saint-Honoré.  

« Pèlerins d’Espérance… »

Le pape François a voulu faire de cette année 2025, une Année Sainte, celle de l’Espérance, en nous invitant à la ranimer, en nous et autour de nous. Mais dans le climat de défiance et de conflits que connait notre société – où tout semble se gripper – l’Espérance a-t-elle encore réellement sa place ? Ou n’est-elle qu’un rêve inaccessible ?
Il est pertinent de noter que la langue française, contrairement à bien d’autres, possède deux mots différents pour signifier l’espoir et l’espérance.
L’espoir est au cœur de la condition humaine. Il est ce sentiment teinté d’optimisme qui nous pousse à attendre, parfois avec une certaine fébrilité, que se concrétise, plus ou moins vite, un projet qui nous est cher. Il est ce désir qui habite chacun d’entre nous d’un avenir meilleur, de « lendemains qui chantent ». Tout semble possible si l’on a confiance dans les ressources inépuisables, et de l’homme, et de la vie. Toutefois, l’espoir demeure incertain, il ne dure pas, il peut être déçu et mener à des impasses…Nous avons tous connu de ce fait des échecs, ou des renoncements. Tout comme nous avons certainement expérimenté cette joie d’un espoir qui se réalise enfin… Mais cette joie, certes bien réelle, n’a qu’un temps et s’avère très fragile. Difficile pour elle de résister aux épreuves qui jalonnent immanquablement notre route.

La foi chrétienne s’inscrit dans notre condition d’hommes et de femmes, et à ce titre elle ne méprise pas ce qui nous anime, mais elle vient le transfigurer. Ainsi fait-elle de l’espoir, non plus un sentiment, mais une vertu, celle de l’espérance : « vertu théologale par laquelle nous désirons comme notre bonheur le Royaume des cieux et la Vie éternelle, en mettant notre confiance dans les promesses du Christ et en prenant appui, non sur nos forces, mais sur le secours de la grâce du Saint-Esprit. » (Catéchisme de l’Église catholique n°1817)
Avec la foi et la charité, l’espérance est l’une des trois vertus théologales, et comme telle elle est un don. Un don qui dépasse notre entendement, car l’espérance nous ouvre à plus grand que nous, à ce que nous ne pouvons ni concevoir de nous-mêmes, ni réaliser de nos propres forces. Elle ouvre la finitude de notre existence à l’infini de Dieu.
Dans son encyclique Spe salvi, Sauvés dans l’espérance, Benoît XVI écrit : « La vraie, la grande espérance de l’homme, qui résiste malgré toutes les désillusions, ce peut être seulement Dieu. (…) Nous avons besoin des espérances — des plus petites ou des plus grandes — qui, au jour le jour, nous maintiennent en chemin. Mais sans la grande espérance, qui doit dépasser tout le reste, elles ne suffisent pas. Cette grande espérance ne peut être que Dieu seul, qui embrasse l’univers et qui peut nous proposer et nous donner ce que, seuls, nous ne pouvons atteindre. »
L’espérance chrétienne ne consiste pas seulement à attendre des jours meilleurs, elle s’appuie, dans la foi, sur cette certitude de la Vie éternelle promise et du Royaume de Dieu à venir. Sans la foi, notre espérance est vide. Mais, nourrie par la foi, elle nous permet de garder le regard fixé sur le Christ. Or, nous dit saint Paul : « Oui, j’en ai l’assurance, ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances, ni hauteur ni profondeur, ni aucune créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur. » (Rm 8, 38-39)
C’est en Dieu, et en Dieu seul, que se fonde notre Espérance, dans cette Alliance d’amour voulue par lui, dans sa fidélité et sa miséricorde sans cesse renouvelées. Il nous a envoyé son Fils pour nous manifester cet amour et nous donner la vie en abondance, dès aujourd’hui, dès ici-bas. « Gardons indéfectible la confession de l’espérance, car celui qui a promis est fidèle » (He 10, 23).
Si l’espérance ne peut nous préserver des désillusions, des blessures et du découragement, elle est, cependant, une grâce et une force pour tenir dans les épreuves, envers et contre tout. En cela, nous avons pour modèle l’espérance d’Abraham : « Espérant contre toute espérance, il crut et devint le père d’un grand nombre de peuples […] Devant la promesse divine, il ne succomba pas au doute, mais il fut fortifié par la foi et rendit gloire à Dieu, pleinement convaincu que, ce qu’il a promis, Dieu a aussi la puissance de l’accomplir. » (Rm 4, 18 ; 20-21)
Pour Paul, l’espérance ne déçoit pas (Rm 5, 5), pour Pierre, elle nous est offerte et elle est comme une ancre de notre âme, sûre autant que solide. (He 6, 19)
Jean, quant à lui, écrit dans sa 1ère Épître : « Et nous, nous avons contemplé et nous attestons que le Père a envoyé son Fils comme Sauveur du monde. […] nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru. » (1 Jn 4, 14-16).
Pour accueillir ce qui nous est donné de vivre, dans la paix et dans la joie, la prière est essentielle à l’espérance car elle est le lieu où l’homme peut s’abandonner entre les mains de Dieu et recevoir la force de persévérer.
Ainsi, fortifiés par la prière, confiants dans les promesses du Christ et soutenus par la grâce de l’Esprit, soyons, comme le pape François nous y encourage, des témoins et des pèlerins de l’Espérance dans ce monde, et pour ce monde…

P. Clamens-Zalay

L’EGLISE AFFRONTÉE à la ROME TOTALITAIRE(12 – 20 – suite)

3ème Partie

_ Pas directement, car certains traits ne lui sont pas applicables (les 2 fuites au désert, les 12 étoiles qui désignent une collectivité, autrement dit les 12 tribus, des épisodes qui rappellent manifestement 1’exode et la genèse où l’on ne voit guère où serait sa place). En fait, la Femme, c’est
1. Le Peuple de Dieu (de qui viendra le Messie),
2. L’Eglise, nouveau Peuple de Dieu (qui revit le même destin que le premier),
3. Peut-être indirectement Marie, si on la voit comme l’exemplaire-type de l’Eglise.

_ de nouveau la FEMME (6) : elle s’enfuit au désert, lieu-type de la protection de Dieu, comme pour l’Exode, où elle est nourrie par Dieu. Ici, double allusion :
1. à la manne durant l’Exode,
2. à l’Eucharistie depuis l’institution de l’Eglise…
durant 1260 jours, temps limité des persécutions (temps limité parce que Satan n’a jamais droit à du « définitif »).

_ le DRAGON chassé du ciel (7-9) : Jean relève toutes les identités du Dragon : il est l’antique serpent, le diable (le dénonciateur), Satan, l’imposteur, tout ce qu’on a pensé de lui dans l’Ancien Testament.

_ Pourquoi est-il chassé du ciel à ce moment-ci ? Ne l’avait-il pas été dès avant la Création ? – Deux réponses possibles :

  1. La scène se passe au ciel, donc dans l’éternité, où il n’y a plus de temps. De ce fait il n’est pas interdit à Jean de concentrer et de fusionner en une scène unique toutes les interventions et échecs successifs de Satan que raconte l’Ecriture.
  2. Mais il n’est peut-être pas non plus sans signification que sa magistrale défenestration soit en lien avec la naissance de l’enfant mâle. Ne voudrait-on pas nous indiquer par-là que c’est précisément la perspective de l’Incarnation du Verbe qui aurait provoqué la révolte de Satan par jalousie contre l’homme ?

_ L’HYMNE de VICTOIRE des élus (10-12) pour célébrer la royauté définitive de Dieu et de son Christ. Victoire qui a été obtenue par le sang de l’Agneau (par la mort sanglante du Christ), qui est aussi la victoire des chrétiens martyrs, car ils ont préféré porter témoignage du Christ jusqu’à la mort.
_ Pourquoi Satan est-il désigné ici comme l’accusateur des chrétiens devant Dieu ?
_ Parce qu’il croit pouvoir dénoncer les chrétiens comme blasphémateurs, puisqu’ils disent que Jésus de Nazareth est Dieu (Satan = qui dénonce). A l’inverse, l’Esprit Saint « Paraclet » sera 1’Anti-Satan, puisqu’il se fera au contraire leur avocat devant Dieu.

_ La FEMME de nouveau poursuivie par le Dragon (13-18) c’est l’Eglise persécutée.
Les 2 ailes du grand aigle : symbole de l’Exode, lorsque Dieu rappelait à son peuple :  » Je vous ai portés sur les ailes d’aigle, et conduits jusqu’à moi  » (Ex. 19, 4 et Dt. 32, 11).
Le dragon (qui) vomît un fleuve d’eau derrière la femme est la manœuvre inverse de la mer passée à pieds secs lors de l’Exode. Mais la terre avale tout, comme elle avait, dans le désert, avalé 2 juifs rebelles à Moïse (Nb. 16, 2).
• Il s’en prend alors au reste de sa descendance. Son descendant par excellence étant l’Emmanuel, le reste de sa descendance, ce sont les chrétiens, les frères du Christ.
et il se dressa sur le rivage de la mer, guettant l’émergence du monstre marin, la Bête de la mer.

Frère Joseph

Prière de février

Donne-nous, Seigneur, de garder les pieds sur la terre et les oreilles dressées vers le ciel pour ne rien perdre de ta parole.
Donne-nous, Seigneur, un dos courageux pour supporter les hommes les plus insupportables.
Donne-nous d’avancer tout droit, en méprisant les caresses flatteuses, autant que les coups de bâton.
Donne-nous d’être sourds aux injures et à l’ingratitude, c’est la seule surdité que nous ambitionnons.
Ne nous donne pas d’éviter toutes les sottises, car un âne fera toujours des âneries.
Donne-nous simplement, Seigneur, de ne jamais désespérer
de ta miséricorde si gratuite pour ces ânes si disgracieux que nous sommes,
d’après ce que disent ces pauvres humains
qui n’ont rien compris, ni aux ânes, ni à toi,
qui as fui en Égypte avec un de nos frères,
qui as fait ton entrée prophétique à Jérusalem sur le dos d’un des nôtres.

Église protestante unie – Grenoble

Un Livre / Un musée

Édition La Découverte 14€
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Si Louis-Sébastien prétendait plaisamment avoir écrit son Tableau de Paris avec ses jambes, c’est que le livre devenu un classique qu’il publia de 1781 à 1788 rend compte de la longue observation minutieuse qu’il fit de tous les quartiers et de toutes les catégories de population de la capitale arpentée sans relâche et sans préjugés ni crainte. Rien n’échappe à la sagacité du prolifique écrivain, dramaturge, romancier, critique, journaliste qui, d’un œil précurseur de l’anthropologie et de la sociologie appliquées, scrute dans leur réalité quotidienne les mœurs, les métiers, les habitations, la voirie, les égouts, les bons et les mauvais penchants de ses concitoyens, leurs conditions de la misère noire à l’obscène opulence. Les constats qu’en dresse l’auteur lui inspirent des solutions : à l’hygiène, à l’insécurité, à l’injustice, à l’urbanisme, à la circulation, à la pauvreté endémique… toutes éclairées par les « Lumières » dont il participe philosophiquement et qu’il pratique politiquement comme député pendant la Révolution, engagé avec les Girondins puis les Jacobins avant de désavouer le coup d’État bonapartiste.

L’œuvre initiale en douze volumes comporte mille chapitres, brefs en général, toujours vifs, incisifs et très plaisants à lire. L’édition présentée ici propose en 350 pages (14 €) des morceaux choisis organisés en cinq parties : Coup d’œil sur Paris ; La Structure sociale de Paris ; Les Conditions de vie ; Croyances religieuses et pratiques populaires ; La Vie politique. De quoi restituer le portrait complet d’un peuple dont rien ne laissait présager que couvait en son sein l’imminente explosion révolutionnaire, et cela même aux yeux du fin critique de la société d’Ancien Régime que fut Louis-Sébastien Mercier, lequel ne cachait pourtant pas, à ses risques, ses propres aspirations à de profonds changements. Beaucoup ont même affirmé que le Tableau de Paris avait été un facteur décisif du déclenchement de la Révolution. Il est vrai que l’auteur n’y retient pas ses coups assénés souvent avec un humour tantôt tendre, tantôt cinglant, toujours avec une précision et une liberté de ton qui est l’expression de sa liberté de conscience, le tout écrit d’une plume agile, jamais bavarde, entièrement au service de l’humanité qu’elle observe, si bien que ces qualités garantirent un retentissant succès au livre dès sa publication.

On ne peut manquer aujourd’hui, à la lecture passionnante de ces pages au style impeccable, en considérant l’injustice criante, l’inégalité et l’arbitraire décrits, de rapprocher l’apparente apathie de nos ancêtres à la veille de 1789 du dégoût résigné pour la politique qui gagne chez nos contemporains malgré les difficultés et les inégalités vertigineuses dont souffrent notre société, rapprochement qui éveille l’inquiétude d’une éruption soudaine dont chacun de nos brillants politologues pourrait s’apercevoir après coup qu’elle était hautement prévisible. Mais lequel de nos intellectuels, artistes ou même journalistes se donne aujourd’hui le mal d’embrasser toute une réalité comme le fit Louis-Sébastien Mercier ? Certains le font, dont on n’entend très peu parler, tandis que la plupart enfermés dans leur spécialité ou dans des polémiques stériles semblent davantage préoccupés de leur carrière que de notre destin collectif. Cette démission des clercs, leur indifférence supérieure à l’égard du « petit peuple », est sans doute l’une des dérives inquiétantes de notre société contemporaine.

Jean Chavot


Le musée de Cluny est le lieu de visite des férus d’art médiéval. Les magnifiques salles épousent nombre de périodes de l’architecture parisienne. Ouvert en 1844, il fréquente des thermes antiques, un hôtel particulier de la fin du Moyen Âge, et des extensions qui se sont succédé du 19e au 21e siècles. Il conserve des trésors médiévaux et, parmi eux, des sculptures de Notre-Dame de Paris. Régulièrement le musée propose des expositions temporaires comme celle qui y a élu domicile jusqu’au 16 mars. Le musée a l’ambition de « faire parler les pierres de Notre-Dame » alors que le Président Macron et madame ont participé à la cérémonie de réouverture de la cathédrale ce samedi 7 décembre 2024. Si Cluny est le principal lieu de conservation des sculptures de la cathédrale de Paris, sa « salle Notre-Dame », inaugurée en 1981 présente les principaux fragments sculptés de l’édifice découverts en 1977 et présente donc des éléments des cinq grands portails et de la galerie des Rois[1], victimes des foudres révolutionnaires avant que n’émerge la notion de conservation des « monuments » anciens pour des raisons d’art et d’histoire, dans l’intérêt de la Nation, en particulier au moment de la vente des biens nationaux. La lutte contre le « vandalisme », mené par l’abbé Grégoire, député conventionnel, et le contrôle des travaux sur les édifices publics fut mis en œuvre par le Conseil général des bâtiments civils, en 1795. Pourtant, le mal était fait. En effet, en 1793, il s’agissait de s’en prendre aux représentations de la royauté et de l’autorité religieuse en confiant au sculpteur Bazin la mission de supprimer les « signes de la féodalité ». Puis, le sculpteur Varin fut chargé de décapiter et supprimer l’ensemble de la statuaire à l’intérieur comme à l’extérieur.

L’exposition présente les fragments polychromes de l’ancien jubé de Notre-Dame de Paris datant probablement des années 1230-1250, rappelant qu’au Moyen-Âge, la couleur était appréciée. Les traces de peinture du vert au vermillon, du bleu au rose violacé, et une couronne dorée rappellent ce goût médiéval que beaucoup ignorent. Aujourd’hui disparu de la plupart des églises, le jubé, consistait en un « mur » fermant le chœur entre les deux piliers orientaux à la croisée du transept. Cet aménagement né de la réforme grégorienne du XI°siècle, répondait à des considérations liturgiques, spirituelles et pratiques contribuant à hiérarchiser l’espace afin d’accueillir les fidèles tout en préservant la tranquillité de la prière des religieux. Or, à la faveur des recherches archéologiques conduites par l’Inrap en 2022 consécutives à l’incendie qui frappa la cathédrale au printemps 2019 et à la fouille archéologique préventive prescrite par la Drac Île-de-France[2] (service régional de l’archéologie) au niveau de la croisée du transept de la cathédrale, de belles œuvres furent mises à jour.

L’exposition « Faire parler les pierres. Sculptures médiévales de Notre-Dame » présente ainsi les principaux fragments sculptés et les résultats de l’important programme d’étude et de restauration, ainsi que d’autres pièces provenant du décor de l’édifice. Dans la salle des sculptures de Notre-Dame, est exposée une sélection de fragments permettant d’évoquer les corps disparus des statues colossales de la galerie des rois et la statue d’Adam, qui faisait partie du décor du revers de la façade sud du transept, chef-d’œuvre du XIII°siècle. L’exposition temporaire permet de découvrir ou redécouvrir le magnifique cadre offert par les thermes gallo-romains et par la salle Notre-Dame. Par ailleurs, à l’étage, une modeste exposition complémentaire intitulée « Feuilleter Notre-Dame : chefs-d’œuvre de la bibliothèque médiévale dans les collections de la BnF » repose sur des manuscrits médiévaux et offre une autre entrée pour découvrir la cathédrale. On plonge dès lors dans cet univers mystérieux qui attise nos rêves, secoue notre imaginaire, ce monde que nos esprits essaient d’imaginer endévorant Les piliers de la terre[3], Le passeur de lumière ou en se plongeant dans les œuvres de Victor Hugo et d’Umberto Eco.

Certes, les cartels pourraient être obscurs pour les béotiens ; acéphale et phylactères côtoyant piédroits, impostes, et ébrasements à ressauts et il serait fort avisé de venir avec son glossaire de termes architecturaux. En revanche, même si la visite peut parfois se révéler ardue, elle mérite notre vif intérêt tant cet événement culturel et cultuel, organisé dans un musée souvent méconnu du public, présente des œuvres, qui, à l’inverse de nos misérables existences humaines, rassurent en défiant le temps, illustrant ainsi la permanence des réalisations anthropiques. 

Érik Lambert.

« Faire parler les pierres. Sculptures médiévales de Notre-Dame »
Jusqu’au 16 mars, au musée de Cluny, place Paul Painlevé, 75005 Paris

JOURS ET HEURES D’OUVERTURE

Ouvert tous les jours sauf le lundi de 9h30 à 18h15. Fermeture de la billetterie à 17h30. Début de l’évacuation des salles à 17h45.

 TARIFS 
Plein tarif : 12€ / tarif réduit : 10€ (+1€ si réservation en ligne).
Gratuit pour les moins de 18 ans, les moins de 26 ans (membres de l’UE) et les membres des Amis du musée. 
Gratuit pour tous les premiers dimanches du mois.
Plus d’information 👉 c’est Ici


[1] Les neuf rois en question n’étaient pas des rois de France mais des rois de Juda. Ils surplombaient la façade ouest de la cathédrale.
[2] Ancrée sur un territoire francilien présentant de multiples facettes et des dynamiques fortes, la DRAC Île-de-France (Direction régionale des affaires culturelles)œuvre à rapprocher la culture de tous les habitants, dans les villes et dans les campagnes, en soutenant les artistes et professionnels de la culture, et en prenant soin du patrimoine dans sa diversité.
[3] K.Follett, Les Piliers de la terre ; B.Tirtiaux, Le Passeur de lumière ; V.Hugo, Notre-Dame de Paris ;  U.Eco, Le Nom de la rose.