2ème épisode : Un pape engagé dans la tempête de l’entre-deux-guerres.
L’encyclique Quas Primas du 11 décembre 1925 institua la fête du Christ-Roi montrant le souci de Pie XI de faire pénétrer l’esprit chrétien dans la législation des peuples et de faire reconnaître juridiquement par les Etats, l’Eglise comme souveraineté spirituelle et supranationale. Fidèle à cette ambition, il signa de multiples concordats[1] avec les états baltes (1922-1927), la Pologne en 1925, la Tchécoslovaquie et le Portugal en 1928, la Yougoslavie (1935), la Roumanie (1939). Le rétablissement de relations normales avec l’Etat italien par les accords du Latran de 1929, signés avec Mussolini nourrissait une volonté diplomatique affirmée. Certes, a posteriori, l’accord du 11 février 1929 peut heurter mais il répondait au souci du Pape de donner à l’institution une existence temporelle. Il s’agissait d’un traité politique qui réglait la « question romaine » [2]. Le concordat comportait par ailleurs un volet financier et déclarait le catholicisme seule religion de l’État italien, rendant obligatoire l’enseignement catholique dans les écoles primaires et secondaires et reconnaissant au droit canonique ses effets civils[3]. Nul doute que ce fut aussi un précieux succès de prestige pour le dictateur italien Benito Mussolini. Sensible au monde de son temps, Pie XI refusa les intransigeances catholiques qui guidaient l’action de Pie X. Il se voulait fervent défenseur des droits de l’Église et d’une conception chrétienne de la société face à un contexte de l’entre-deux-guerres qui suscitait engagements politiques, positionnements et reconfigurations des lignes de fracture au sein du monde catholique. Le xixe siècle avait été celui de positions intransigeantes de refus de la modernité et de retrait de la vie publique, tel ne fut pas l’esprit du pontificat d’Achille Ratti. Ainsi, avec Pie XI, la question de l’intervention, de la norme et de l’action des catholiques fut fondamentale. Une appréhension nouvelle de l’articulation entre autorité hiérarchique institutionnelle et responsabilité individuelle des catholiques fut cultivée dans ce contexte mouvementé.
A l’égard de l’Allemagne hitlérienne, Pie XI crut pouvoir parvenir à un modus vivendi qui l’incita à conclure un concordat avec von Papen[4] le 20 juillet 1933.
Pourtant, les rapports du Saint-Siège avec les régimes totalitaires se détériorèrent. Pie XI engagea une lutte contre les totalitarismes au nom de la dignité chrétienne. Ce fut d’abord avec l’homme de Predappio[5]lorsque l’État fasciste nourrit l’ambition d’embrigader les jeunesses catholiques, ce que le souverain pontife dénonça en 1931 par l’encyclique rédigée en italien Non Abbiamo bisogno.
1937 fut l’année de l’apaisement[6]. Pourtant, le développement du racisme national-socialiste, de la propagande néo-païenne, de la mobilisation politique de la jeunesse allemande, conduisit Pie XI à lancer contre l’hitlérisme l’encyclique Mit Brennender Sorge[7] de mars 1937 dans laquelle il proclama « nous sommes tous des sémites » ! Ce texte adressé exceptionnellement en allemand et non en latin afin que les évêques allemands, puissent le diffuser aisément et qu’il pût être lu dans les églises du pays abordait la « situation religieuse dans le Reich allemand ». Quelques jours plus tard, L’encyclique Divini Redemptoriscondamnait quant à elle le communisme athée considéré « intrinsèquement pervers »avec lequel « l’on ne peut admettre sur aucun terrain la collaboration avec lui de la part de quiconque veut sauver la civilisation chrétienne ».
En revanche, il montra une certaine sympathie pour la « croisade » du général Franco et établit des relations diplomatiques avec lui en juin 1938.
Un Pape qui s’engagea donc dans les bouleversements de son temps mais aussi un Pape qui nourrit son pontificat de l’esprit franciscain…
ÉRIK LAMBERT.
[1] Concordat : Négociations et texte entre le Saint-Siège et le chef d’un État pour réglementer les rapports du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel.
[2] Question romaine : occupation et annexion des États pontificaux par l’Italie en 1870. À partir des accords du Latran, le Vatican reconnaissait l’Italie et cette dernière reconnaissait le royaume d’Italie avec Rome comme capitale.
[3] Interdiction du divorce par exemple.
[4] Franz von Papen, conservateur catholique fut l’ami personnel de plusieurs papes dont Pie XI et Pie XII. Il reçut de Pie XI le titre honorifique de « chambellan du Pape », est fait chevalier de l’ordre souverain de Malte et Grand croix de l’ordre de Pie IX. Il négocia avec Monseigneur Pacelli, devenu Secrétaire d’État et futur Pape Pie XII, le concordat avec l’Allemagne qu’il signa à Rome en 1933. Les relations avec la papauté furent plus difficiles avec les violations répétées du concordat par le régime nazi. Papen joua un rôle important dans le ralliement du primat d’Autriche Theodor Innitzer à l’Anshluss en 1938, que Pacelli et Pie XI déplorèrent. Innitzer déclara : « Les catholiques viennois devraient remercier le Seigneur pour le fait que ce grand changement politique se soit déroulé sans effusion de sang, et prier pour un grand avenir pour l’Autriche. Il va de soi que tout le monde devrait obéir aux ordres des nouvelles institutions ». Les autres évêques autrichiens adoptèrent la même position dans les jours qui suivirent et remercièrent l’Allemagne d’avoir « sauvé l’Autriche du péril bolchevik ». Lors de la publication de cette déclaration de soutien à l’Anschluss, le 18 mars, Innitzer apposa la mention Heil Hitler à côté de sa signature.
[5] Lieu de naissance de Mussolini.
[6] Politique menée par le Premier ministre britannique Neville Chamberlain et suivie par la France qui prône l’« appeasement » (apaisement) à tout prix avec le Führer allemand. Beaucoup de responsables politiques français demeuraient à le remorque de la stratégie du Foreign office. Georges Bonnet d’avril 1938 à septembre 1939 en fut un exemple flagrant. « Apogée » dc cette politique, les accords de Munich de septembre 1938. A sa descente d’avion, Neville Chamberlain, toujours plein d’illusions, n’hésita pas à affirmer que le Führer «est un homme sur qui l’on peut compter lorsqu’il a engagé sa parole».En France, au lendemain des accords de Munich, tous les journaux titrent à la une : La Paix ! Daladier est accueilli à son retour au Bourget par une foule en délire. Pourtant, le 5 octobre 1938, Churchill lança : «Nous avons subi une défaite totale et sans mélange (…). Notre peuple doit savoir que nous avons subi une défaite sans guerre, dont les conséquences nous accompagneront longtemps sur notre chemin». La postérité retint de lui cette formule, dans une lettre postérieure :«Ils ont accepté le déshonneur pour avoir la paix. Ils auront le déshonneur et la guerre».
[7] On peut traduire : Avec une brûlante inquiètude.