Au Commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité. David Graeber et David Wengrow
David Graeber & David Wengrow, Au commencement était…, édition Les Liens qui Libèrent, 2021, 752 pages, 29,99 €
Nous percevons notre préhistoire à travers des lunettes : l’œil droit, comme celui de Hobbes, voit une humanité foncièrement mauvaise fort opportunément corrigée par la loi et l’ordre, et le gauche, celui de Rousseau, lui prête une nature originellement bonne, mais pervertie par la propriété et l’inégalité. Ces deux yeux — dont les auteurs font découler les idéologies de droite et de gauche — composent une seule image : celle de l’État comme unique possibilité d’une société. Cette vison repose sur un évolutionnisme ancré dans les esprits non seulement de Hobbes, de Turgot, de Rousseau mais bien au-delà, de Marx, de Freud… de tous les intellectuels qui ont projeté le modèle européen sur des époques dont tout leur était pourtant à peu près inconnu : nos lointains ancêtres chasseurs-cueilleurs auraient vécu dispersés dans des clans dont la petite taille autorisait une sorte de communisme primitif, puis l’élevage et l’agriculture les auraient rassemblés dans des villes où l’importance des groupements imposa des systèmes de régulation, de moralisation, d’organisation, naturellement assumés par ceux qui contrôlaient les surplus de production, c’est à dire les classes dominantes, grâce auxquelles la civilisation put enfin émerger de la confusion bestiale…
Depuis que Rousseau, Hobbes et les autres s’autorisaient toutes les audaces, l’étude de la préhistoire a fait des pas de géant, et même des pas décisifs ces dernières décennies. Pourtant, les conceptions évolutionnistes et autres téléologies erronées continuent de faire fortune dans l’esprit du grand public comme dans celui de la majeure partie des intellectuels et des politiciens. L’immense mérite de Graeber pour l’anthropologie et Wengrow pour l’archéologie est de s’employer par ce livre, qui est une véritable somme de connaissances, à restituer une image plus juste de la douzaine de millénaires (Holocène) qui nous précèdent : « (…) de l’Égypte antique au Pérou des Incas, en passant par la Chine des Shang, il apparaît que l’État, ou ce que l’on définit comme tel, est loin d’être une constante historique ou le résultat d’un processus évolutionniste qui aurait pris sa source à l’âge du bronze ». Les préjugés y volent en éclats au fil des chapitres : de très importantes agglomérations précédèrent de loin la naissance de l’agriculture ; nos ancêtres, doués des mêmes facultés cognitives que nous, se sont montrés plus inventifs pour structurer leur vie collective ; de très diverses formes d’organisation politique ont existé, alterné et coexisté à travers les âges, dont beaucoup visaient à contenir les ambitions dominatrices et à maintenir la liberté de chacun en limitant les pouvoirs dans le temps et dans l’espace ; l’État n’est pas une fatalité démographique mais une construction déterminée qui résulte de l’histoire européenne, imposée au reste du monde à partir de 1492 par la colonisation brutale et destructrice de toutes les autres formes de gouvernance telles que celles qui firent la grandeur de Teotihuacan, Çatal Höyük, Knossos, Mohenjo-Daro…
« Comment avons-nous pu nous laisser enfermer dans une réalité sociale monolithique qui a normalisé les rapports fondés sur la violence et la domination ? » C’est la grande question qui traverse le livre. Elle s’impose à nous alors que l’humanité entre sous nos yeux dans une crise déterminante pour sa survie. Le travail de compilation de Graeber et Wengrow est à ce titre plus que bienvenu, éclairant, magnifiquement nourrissant pour la réflexion, et aussi très urgent, car « repenser les prémisses de l’évolution sociale, c’est repenser l’idée même de politique ». En revanche, il souffre d’un vide, voire même d’une certaine indigence conceptuelle, où les préoccupations féministes et indigénistes des auteurs résonnent souvent comme des préjugés à la mode, gênant la possibilité d’une synthèse des connaissances par ailleurs très précieuses qui y sont révélées. S’ajoute à ce manque — mais sans doute devra-t-il être comblé par des travaux ultérieurs — l’anti-religiosité peu discrète avec laquelle les auteurs présentent la spiritualité exclusivement comme un argument de domination. Cette impression est renforcée par le titre français qui détourne les premiers mots de la Bible, alors que le titre original anglais— The Dawn of everything (l’aube de toute chose) — était plus judicieux. Mais ces critiques n’enlèvent rien à la nécessité de lire ce livre pour imaginer des sorties à l’impasse délétère dans laquelle notre humanité se précipite en ne voyant d’autre avenir possible que l’État capitaliste, alors qu’il rend justement tout avenir impossible.
Conduis-moi, douce Lumière, au milieu des ténèbres : je t’en prie, conduis-moi.
La nuit est sombre, et je suis loin de la maison : je t’en prie, conduis-moi.
Veille sur mon chemin. Je ne demande pas à voir le but lointain : un seul pas me suffit.
J’étais autre jadis, et je ne priais pas pour que tu me conduises. J’aimais choisir et voir ma route.
Maintenant, je t’en prie, conduis-moi. J’aimais le jour brillant et, malgré mes frayeurs, l’orgueil me gouvernait. Oublie les jours passés.
Ta puissance pendant si longtemps m’a béni que, j’en suis assuré, elle me conduira par landes et marais, montagnes et torrents, jusqu’au retour du jour.
Et demain souriront les visages des anges depuis longtemps aimés, et que je ne vois plus.
John Henry Newman (1801-1890) Cardinal et théologien britannique
L’actualité parfois nous bouscule, nous réveille et nous révèle. Je voudrais m’arrêter sur ce que l’on appelle désormais « la crise des migrants ». Elle a agi en moi comme un révélateur ; elle m’a ouvert les yeux sur ce qui m’entoure et que je ne voyais pas. Peu souvent, jusqu’alors, je n’avais réalisé la chance que j’ai d’avoir grandi et de vivre dans un pays en paix. Dans un pays que j’ai parfois envisagé de quitter, mais uniquement motivée par la soif de découvrir de nouveaux horizons. Jamais par peur de la guerre, de sa violence, de ses privations.
« Qu’aurais-je fait si cet inconnu nommé Joseph m’avait demandé l’hospitalité ? »
J’ai donc grandi dans un pays en paix où la pratique de ma religion n’a jamais été dangereuse ni problématique. Et pourtant, comme j’ai pesté, en vacances le plus souvent, quand il me fallait parcourir plusieurs dizaines de kilomètres en campagne avant de trouver une messe. Et là encore, une fois arrivée, combien j’ai pu râler devant le ton monocorde du prêtre octogénaire et les voix chevrotantes de l’assemblée ! Je n’ai jamais risqué ma vie pour assister à un office ni craint quoi que ce soit en affirmant ma foi, si ce n’est quelques railleries bien inoffensives. Enfin, ces exodes d’Afghans, de Syriens, d’Irakiens ou de Lybiens sont venus me bousculer dans mon nid douillet. Parce qu’ils m’obligent à me poser une question, et par là-même à me remettre en question : suis-je capable d’ouvrir ma porte à celui qui frappe ? Suis-je capable, pour l’accueillir, de chambouler mon confort et mon quotidien tranquille ? En cette période de Noël, cette interrogation prend tout son sens, alors que je vois Joseph tirant son âne dans les rues de Bethléem, inquiet de voir Marie le ventre tendu par la vie qui point, soucieux de n’avoir pour elle et l’enfant à naître aucun logis correct. Je m’imagine cette nuit-là. Qu’aurais-je fait, alors, si cet inconnu m’avait demandé l’hospitalité ? Aurais-je ouvert ma porte, et par là-même mon cœur, ou lui aurais-je demandé de passer son chemin pour ne surtout pas risquer de troubler ma tranquillité ?
ANNE-DAUPHINE JULLIAND Journaliste, Écrivain (avec l’aimable autorisation de la revue ‘Panorama’ -magazine de spiritualité chrétienne- N° 524, année 2015)
2. Une jeunesse bretonne à l’aube du siècle des totalitarismes, …CELLE D’UN RESTAURATEUR DE L’ORDRE AVANT LE SECOND CONFLIT MONDIAL, …
En 1921, à 27 ans, Jean-Marie Cloarec avait quitté sa Bretagne natale pour rejoindre Amiens. Il avait souhaité entrer chez les frères mineurs et donc rejoindre la famille franciscaine. L’expérience de la guerre et de la captivité avait peut-être incité Corentin à cultiver une vie intérieure qui le conduisit à s’engager dans une vie monastique. En effet l’image qu’offrait en ces temps l’idéal franciscain était celle d’une vocation qui indiquait un chemin de sainteté. Il prit l’habit franciscain le 8 septembre 1921 et devint le frère Corentin. En choisissant ce saint breton il témoignait de ses origines, Durant plus de deux années, son noviciat correspondit au retour des frères mineurs qui avaient quitté la France suite à l’anticléricalisme développé à la fin du XIX°siècle. En effet, le 29 mars 1880, le ministre de l’Instruction publique Jules Ferry prit deux décrets par lesquels il ordonna aux Jésuites de quitter l’enseignement dans les trois mois. Fervent républicain, athée et franc-maçon, issu d’une riche famille de libres penseurs de Saint-Dié, Jules Ferry donna aux enseignants des congrégations catholiques le même délai pour se mettre en règle avec la loi ou quitter l’enseignement. Le 21 décembre 1880, le député Camille Sée, ami de Jules Ferry[1], fit passer une loi qui ouvrit aux filles l’accès à un enseignement secondaire public où les cours de religion seraient remplacés par des cours de morale. L’année suivante, il fit voter la création de l’École Normale Supérieure de Sèvres afin de former des professeurs féminins pour ces lycées. L’Église n’avait plus désormais le monopole de la formation des filles.Jules Ferry établit par ailleurs la gratuité de l’enseignement primaire par la loi du 16 juin 1881 et le rendit laïc et obligatoire par la loi du 29 mars 1882. L’affaire Dreyfus[2] devenue une affaire nationale lancée le 6 novembre 1894 par La Libre Parole[3] d’Édouard Drumont accentua le conflit. La seconde expulsion des congrégations religieuses de France fut une conséquence de la loi du 1er juillet 1901 sur les associations. Cette loi établissait la liberté d’association mais son article 13 fit une exception pour les congrégations religieuses en soumettant leur création à une autorisation préalable. Interprétée de façon restrictive par le Conseil d’État dès l’année suivante, elle porta à son paroxysme le conflit entre l’Église et la République. Émile Combes[4], né dans une pauvre famille du Tarn, put accomplir de brillantes études grâce au soutien bienveillant de quelques ecclésiastiques. Mais le directeur du séminaire jugea qu’il n’avait pas la vocation religieuse et le dissuada de devenir prêtre. Évoluant vers un violent anticléricalisme, il fit fermer en quelques jours plus de 2 500 écoles religieuses. Le 7 juillet 1904, il fit voter une nouvelle loi qui interdisait d’enseignement les prêtres des congrégations… Le 7 avril 1903, toutes les autorisations furent refusées, tous les couvents furent dissous et confisqués. Ces tempêtes avaient eu raison de la présence des frères franciscains en France, nombre de frères quittèrent le pays, certains entrèrent dans la clandestinité.
La Grande Guerre et la participation des religieux au conflit permirent à la vague d’anticléricalisme de se calmer. En octobre 1923, le petit séminaire de Fontenay-sous-Bois, tout juste créé accueillit le frère Corentin. Le jeune frère contribua au mouvement de restauration de l’Ordre en France. Il fit preuve de grandes qualités d’organisation et de rigueur et fit montre d’un solide charisme personnel tant à Fontenay qu’à Mons-en-Barœul. Ses compétences s’exprimèrent au couvent de Saint-Brieuc dont il fut le gardien entre 1927 et 1937 puis à Paris à partir de 1938. Il fut considéré par le Provincial comme l’un des jeunes cadres de l’Ordre auxquels étaient confiées les tâches de développement et de consolidation des implantations nouvelles. Outre cette activité organisationnelle, Corentin Cloarec poursuivit une activité de prédication, et en février 1936, il entra au conseil provincial. Dans le contexte de ces années agitées, Il s’éleva contre les « doctrines détestables » qui ne mettaient pas l’amour au centre. Son inquiétude face aux menaces nées des totalitarismes fascistes et communiste ne le conduisit pas à ignorer les réalités nationales. En 1937, il dénonça le matérialisme bourgeois (« Détrônez le veau d’or de son piédestal et empêchez l’argent de devenir la grande puissance ici-bas »). Sensible à l’engagement social de l’Église, présent auprès des plus modestes, il souhaitait par ailleurs sensibiliser les familles bourgeoises à l’action franciscaine[5]. Homme d’engagement, ancien combattant ; comment pouvait-il affronter la défaite et l’occupation ?
[2] L’affaire Dreyfus, (1894-1906) par son retentissement énorme, est considérée comme l’événement fondateur de l’engagement des intellectuels à l’époque moderne. Elle a pour toile de fond un antiparlementarisme provoqué par des scandales politico-financiers, et un antisémitisme qui traverse la société française. Les injustes condamnation et déportation du capitaine Alfred Dreyfus pour espionnage le 22 décembre 1894 prennent une nouvelle dimension lorsque l’impossibilité de la révision du procès révolte ses partisans. Des protestations individuelles provenant de la famille et des amis, on passe alors à une lame de fond mobilisant les « intellectuels ». Par ailleurs, la presse constitue la tribune des débats.
[3]La Libre Parole est un journal antisémite qui a lancé l’affaire Dreyfus en l’évoquant publiquement alors que la procédure militaire se déroulait à huis-clos. Journal lancé à Paris le 20 avril 1892 par Édouard Drumont, journaliste et polémiste. Journal disparu en juin 1924. Journaux lancés juste avant, ou pendant l’affaire Dreyfus, tels La Libre Parole illustrée, Le Chambard socialiste, Le Rire, La Feuille, Psst!, Le Sifflet, Le Cri de Paris, Le Musée des Horreurs et L’Assiette au Beurre.
Apparemment, le récit de Jean s’apparente à celui des synoptiques, mais en réalité il est très chargé d’intentions théologiques : Jean contemple dans les événements tous les signes de la Royauté du Christ Sauveur. Nous sommes dans une ambiance d’une liberté incomparable, qui permet au Christ de prendre l’initiative ; l’impression d’une majesté souveraine ; et la prédominance d’un plan divin, qui se réalise à travers la Passion et la mort de Jésus, et qui déjoue l’apparente victoire du plan des hommes.
Jean devine que commence à cette heure-là le temps de l’Eglise et de la vie sacramentaire : • Eglise signe de l’unité • Eglise mère • sacrements : baptême, eucharistie, réconciliation.
Arrestation, comparution devant Hanne, reniement de Pierre
La scène du jardin (18, 1-12)
Le texte johannique ne comporte pas l’épisode de l’agonie. Jean préfère retenir ce qui met en valeur la majesté et la liberté, la lucidité et la maîtrise des événements chez Jésus. • Jésus sait tout ce qui va lui arriver, Judas ne le surprend pas (v. 4) • C’est lui qui prend les devants et se livre ; impressionnés, les soldats reculent et tombent à terre (v. 4-8) • « Je suis »… comme YHWH au Sinaï, qui se désigne ainsi à Moïse (v. 5) • « Laissez partir ceux-ci » : signe de l’autorité de Jésus, même sur les ennemis (v.5) • « La coupe que m’a donnée le Père, ne la boirai-je pas ? » (v. 11). Cela rappelle la réponse de Jésus aux disciples, lors de l’épisode de la Samaritaine : « J’ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas ! … ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé » (4, 32-34). L’événement de la Passion s’inscrit dans un plan divin à respecter.
Le procès juif officieux chez Hanne (18, 13-27)
Le procès juif officiel devant le Sanhédrin, Jean n’en dit rien. Et pour cause : pour lui tout est joué d’avance, l’audience a déjà eu lieu : ce sont tous les face à face de Jésus et des autorités religieuses tout au long de l’évangile. Chez Hanne, ce n’est donc que l’audience officieuse. Hanne l’interroge sur ses disciples et son enseignement. Jésus, avec une liberté souveraine, répond : « J’ai toujours agi au grand jour ! » Contraste entre la fermeté et la constance de Jésus, et la faiblesse de Pierre.
Le procès devant Pilate (18, 28-19, 16)
Tout va tourner autour de l’idée de Jésus Roi, du chef qui rassemble en sa personne la destinée de toute l’humanité.
L’épisode se déploie en 7 scènes, disposées suivant un plan précis, scènes qui se répondent pour mettre en valeur une idée centrale :
A 18, 29-32 Pilate sort pour dialoguer avec les Juifs : « La loi ne permet pas de condamner à mort ! »
B 18, 33-38a Pilate rentre et dialogue avec Jésus : Royauté… Vérité
C 18, 38b-40 Pilate ressort devant les Juifs : « innocent ! je le relâche ? Barabbas ! »
D 19, 1-3 Investiture royale
C’ 19, 4-7 Pilate ressort avec Jésus devant les Juifs : « Innocent ! Voici l’homme ! » « Crucifie-le ! »
B’ 19, 8-11 Pilate rentre et dialogue avec Jésus : quel pouvoir ?
A’ 19, 12-15 Pilate sort pour dialoguer avec les Juifs : « Voici votre Roi ! Non ! César doit le condamner à mort ! »
Le rapport « Sauvé » fut comme un tsunami, annoncé, redouté puis révélé… Il déclencha des réactions diverses sans que nous percevions encore les évolutions possibles. Mais le « mal » demeure un mystère permanent et interroge toujours. Ce fut sans doute une question pour François d’Assise et surtout une expérience personnelle et sociale.
Rappelons-nous la première parole entendue par François, lors de sa conversion : « François, va et répare mon Eglise qui, tu le vois, tombe en ruine ». Et il passa vite de la remise en état de la chapelle saint Damien au renouvellement de la communauté chrétienne. L’Eglise de ce temps n’était pas à la hauteur et François ouvrit un nouveau chemin d’Evangile à partir des laïcs. C’est peut-être ce que nous sommes en train de vivre aujourd’hui aussi. Et peu de temps avant sa mort, dans son Testament, François recommande à ses frères de « ne pas juger ceux qui vivent selon le monde ». Cette remarque en dit long sur le mauvais état de l’Eglise en son temps.
Dans un autre écrit, François demande à ce que les frères ne se laissent pas appeler « Père » « car vous n’avez qu’un seul Père ». En faisant cette recommandation, il révèle que, dans toute relation, la qualité de « Père » concerne une situation d’origine, de dépendance et d’autorité, mais ce constat ne dit rien de la vie humaine par rapport « à Dieu de qui vient tout Bien ». Le mot « autorité » parle peu de la proximité et du service significatifs de l’Evangile. Quelle que soit l’époque, nous ne sommes jamais à l’abri de dérives. Pour mettre en garde contre l’autorité, François prend les devants en disant : « Il n’y aura pas de supérieur parmi vous, mais tous s’appelleront « frères ». Et on comprend bien que nommer ainsi une relation peut engendrer plus justement la « Fraternité ».
En poursuivant cet inventaire significatif d’un style de vie, je soulève encore quelques remarques sur la manière d’évangéliser. François est aussi sensible à l’itinérance, deux par deux, ce qui est une autre manière d’annoncer le Royaume. En présence d’un proche, le témoignage est plus crédible, plus sûr et moins personnel. C’est à deux que commence le début du témoignage, référence incarnée de la mission. C’est ainsi que ce fut une nouvelle manière d’annoncer l’Evangile. L’enseignement devient vie transformée sur leur passage.
Un autre élément est contenu dans l’appel de l’Evangile, c’est la « conversion ». Il s’agit moins d’une expérience personnelle miraculeuse que « d’une manière d’être » en évolution permanente avec la force de l’Esprit, au milieu des événements de la vie. L’expérience de la foi est un chemin parcouru avec une volonté permanente d’évoluer et de choisir l’essentiel. A tous moments, nous sommes conscients des régressions, des dérives, des limites qui peuvent naître en nous. Cette dynamique de la conversion est précieuse au quotidien. Mystérieusement mais réellement, le mal est présent dans les fragilités de nos vies, d’où cette insistance sur la veille pour garder le cap.
Rappelons-nous enfin que dès le début de la Bible, certains récits portent des traces du combat permanent entre le Bien et le mal qui traversent le monde créé. Nous avons la mémoire courte et le quotidien ne montre pas tout de suite les avancées ou les résistances de la vie, il faut le temps de la relecture pour percevoir ce qui est croissance dans l‘histoire personnelle et collective. Nous avançons souvent comme des aveugles ou des automates. Sans cesse le bonheur et les échecs sont mêlés. Le royaume présent n’est pas un lieu chimiquement pur. Dans nos temps de prière est souvent confessée la reconnaissance du mal qui malmène la vraie Vie. « Délivre-nous du mal passé, présent et futur » dit François dans sa prière. C’est toute notre histoire qui est défigurée par le mal, personnellement et collectivement, avec des chocs plus ou moins violents.
« Délivre-nous du mal », ce n’est pas un mythe, c’est la reconnaissance permanente d’une vie imparfaite, et un engagement à changer notre manière de vivre ensemble. Avec le rapport Sauvé, nous sortons d’une vie idéalisée, mais partagée, à des degrés divers, par tous. Nos yeux s’ouvrent sur cet Exode auquel nous sommes appelés. C’est comme un « Synode » pour édifier ensemble un monde nouveau. Le livre de l’Apocalypse annonce qu’à la fin « l’Amour aura le dernier mot ». C’est notre Espérance, ébranlée récemment, mais dont Jésus témoigne toujours, par miséricorde et par don sans condition…
1. Une jeunesse bretonne à l’aube du siècle des totalitarismes.
En ces temps de campagnes électorales, l’Histoire est invitée par ceux qui exploitent les peurs, les rancœurs et l’ignorance pour servir leur logorrhée ; celle d’une France malade d’un passé qu’elle ne parvient pas à assumer. Or, les témoins disparaissent comme le déplorait récemment du haut de ses 99 ans Pierre Rolinet[1], ancien déporté au Struthof. Cette conjoncture encourage les « assassins de la mémoire », comme les qualifiait l’historien Pierre Vidal-Naquet[2], à revisiter l’Histoire à l’aune de falsifications et de mensonges. Invitant le roman national, conviant la nostalgie d’un passé imaginé bien meilleur qu’un présent honni, sollicitant avec une faconde confondante le général de Gaulle[3], ils manipulent sans vergogne l’Histoire, faisant de la France de Vichy un parangon de vertu, un rempart protecteur des israélites durant les années sombres.
Ils furent pourtant un certain nombre en ces temps obscurs, à se lever pour dire « non » à la collaboration engagée par le Maréchal Pétain, collaboration assumée et scellée dès le 24 octobre 1940 lors de l’entrevue de Montoire[4].
Parmi ces femmes et ces hommes de l’ombre dont certaines rues portent, dans l’indifférence voire l’oubli, les noms : Corentin Cloarec[5].Nul doute que son patronyme, comme son prénom de religieux, fleurent la Bretagne. Jean-Marie est né le 31 mars 1894 au sein d’une famille de cultivateurs dans un petit village du pays de Léon ; un coin de France où le breton constituait la langue des échanges mais aussi celle d’une certaine résistance à la culture française. À partir de 1870, la République d’alors dut lutter pour s’imposer en un pays majoritairement monarchiste[6]. Le Léon dans lequel naquit le futur religieux, était sans conteste une terre propice aux vocations sacerdotales. Les « Léonards[7] » fournirent nombre de prêtres et de missionnaires à l’Église ! C’est au collège de Saint-Pol-de-Léon[8] qu’il fit ses études secondaires puis il entra au grand séminaire de Quimper en octobre 1913. Son parcours le mit au contact des grandes crises de l’époque liées aux incertitudes institutionnelles, à la loi de séparation comme à la naissance du catholicisme social. Après une année au séminaire, il vécut l’expérience traumatisante de la guerre en 1914. Pour nombre de religieux, ce fut, comme l’écrivit Teilhard de Chardin, un « baptême dans le réel »[9]. Les Bretons payèrent un lourd tribut à la Grande Guerre d’autant que le conflit accéléra la fin des terroirs[10] d’une France très en retard dans ses évolutions sociétales par rapport à ses voisins d’Europe occidentale. En effet, entre 120 et 150 000 Bretons perdirent la vie accélérant l’intégration de la Bretagne à la communauté nationale. Les séminaristes ne bénéficiaient pas d’un régime de faveur depuis la loi dite « des curés sac au dos » du 15 juillet 1889[11]. Aussi, nombre d’entre eux furent tués sur le front alors que d’autres ne poursuivirent pas leur parcours sacerdotal ou, traumatisés, rejoignirent le clergé régulier. Caporal mitrailleur, Corentin[12] fut blessé en septembre 1915 sur le front de Champagne. Revenu au combat, il fut fait prisonnier à Verdun au printemps 1916 et interné plus de deux années dans l’Oflag de Rennbahn en Rhénanie du Nord. En juin 1916, les Allemands ouvrirent un « camp-séminaire » auquel fut affecté le Breton. Il côtoya plusieurs frères franciscains qui exercèrent une influence majeure sur ses futurs engagements. Par ailleurs, si ses années de captivité ne le conduisirent pas à abandonner le chemin vers la prêtrise, elles influèrent sur la suite de son parcours sacerdotal. Son souci des prisonniers, son attachement à Sainte Thérèse de Lisieux, marquèrent ses années en religion. Entré au séminaire de Quimper à l’issue des hostilités, il rejoignit le noviciat franciscain d’Amiens le 8 septembre 1921 ; il avait 27 ans. Une nouvelle étape de sa vie commençait.
[5] Une rue porte son nom à Paris dans le XIV° arrondissement. (Rue du Père-Corentin)
[6] Le 30 janvier 1875, au Palais-Bourbon, un amendement institue la République à une voix de majorité. Après la défaite de 1870 et la chute de l’empereur Napoléon III, les élections ont porté à l’assemblée une majorité monarchiste. Toutefois, le fils du duc de Berry, le comte de Chambord refusait le drapeau tricolore. L’assemblée constituante attribua à l’Orléaniste Louis-Adolphe Thiers le titre de président de la République. Puis, lui succéda le légitimiste maréchal de Mac-Mahon, Les tentatives de restauration échouèrent suite à l’intransigeance du comte de Chambord. Le 30 janvier, Henri-Alexandre Wallon, un député de centre gauche déposa un amendement : « Le président de la République est élu à la majorité des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible ». Le texte fut voté par 353 voix pour et 352 voix contre. La République, la fonction présidentielle et le septennat entrèrent dans les lois constitutionnelles françaises. La monarchie laissa ainsi passer son ultime chance.
[7] Nom donné aux habitants du pays de Léon. (Finistère Nord)
[9] « Ce qui m’a déconcerté, à Verdun, c’est la vision concrète et prochaine de la destruction possible. J’ai senti, palpé, ce que c’est que se perdre, et d’avoir à renoncer à tous les espoirs nourris, à tous les cadres aimés. », in Journal, 30 juin 1916.
[10] On se reportera par exemple à E.Weber, La Fin des terroirs, La modernisation de la France rurale (1870-1914) paru chez fayard en 1983.
[11] La loi du 15 juillet 1889 ramène le temps sous les drapeaux à trois ans, en supprimant les exemptions pour les ecclésiastiques et les enseignants qui sont désormais tenus à un an de service (loi des « curés sac au dos »). La loi de 1895 va imposer un service d’un an aux dispensés pour raisons familiales. Enfin la loi du 21 mars 1905 établit le service universel et égalitaire pour tous d’une durée de deux ans. Le tirage au sort est enfin supprimé. La loi du 19 juillet 1913 rétablit le service de trois ans pour des questions de rééquilibrage avec l’armée allemande, qui vient d’augmenter sensiblement ses effectifs.
Couvent de Notre-Dame de Reinacker Lieu-dit Reinacker 67440 REUTENBOURG tél : +33 3 88 03 23 26
Tous les deux ans depuis sa fondation, notre fraternité du « Petit Prince » choisit de partir en vacances pour vivre une semaine, ensemble, dans un cadre détendu et si possible spirituel, qui nous sorte du quotidien et nous permette de nous retrouver et d’approfondir nos échanges dans une ambiance sereine et baignée de nature ! En cette année où la pandémie commence à régresser, nous avions soif de partir et nous avons eu le privilège de nous évader la première semaine de septembre.
Presque par hasard, l’idée de notre assistant capucin, le frère Gilles Rivière, qui connaissait ce lieu, nous amena à séjourner en Alsace, non loin de Strasbourg, à 9 kms de Saverne, chez les Petites Sœurs de saint François d’Assise au « Foyer Notre-Dame de Reinacker ». Si vous cherchez un hâvre de paix, où l’on vous accueille chaleureusement, « comme en famille », où vous trouverez toutes les commodités d’un séjour agréable, dans un cadre de prière et de calme et un site exceptionnel de campagne, n’hésitez pas : votre trésor est là ! Nous étions onze (neuf laïcs et deux frères capucin et franciscain) accueillis merveilleusement par une communauté de onze religieuses, à l’esprit ouvert et joyeux, où chacune se rend toujours disponible, d’une écoute bienveillante et en recherche constante d’une présence fraternelle à tous (alors qu’elles préparaient leur chapître général qui se déroulait juste après notre séjour dans ces lieux!). Notre arrivée coïncida avec le début du « Mois de la Création », organisé par cette communauté, en lien avec les orthodoxes et célébré chaque week-end de septembre jusqu’à la saint François. Une belle prise de conscience de la nécessité de la Sauvegarde de la Création selon l’esprit de « Laudato Si » de notre Pape François ! Nous avons d’ailleurs apprécié d’être associés largement aux rencontres des 150 laïcs présents à cette occasion (concert de flûtes par le Quatuortensia le samedi soir, messe festive en plein air le dimanche présidée par Mgr Kratz, évêque auxiliaire de Strasbourg, ateliers et exposition d’oeuvres d’artistes, apéritif-rencontres…)
Puis, chaque jour de notre semaine se déroula selon un programme bien établi :
Le matin
Après l’office de laudes pour certains et la prière ensemble, nous avions convenu que chacun pourrait, seul ou en couple, présenter au groupe, entre 9h et midi, un thème qui lui tenait particulièrement à coeur : ce fut une surprise pour chaque matinée et l’occasion de nous découvrir mutuellement un peu mieux à travers nos choix.
• La première se lança sur ce magnifique thème de « la Joie », meilleur remède au pessimisme ambiant dans la période que nous traversons. Elle nous tint en haleine avec son texte « être joyeux », jaillissant de propositions concrètes et profondes, nous faisant deviner jusqu’au bout quel auteur avait bien pu être si intelligemment créatif dans un domaine que peu de gens lui aurait attribué : mais oui, Jacques Attali avait pu écrire tout cela en 2001 ! • La seconde matinée fut focalisée autour des textes du 22ème dimanche ordinaire (Deut,4 et Mc,7) où il est question de ce qui est intérieur (dedans) et extérieur (dehors) à l’homme, ce qui est pur et impur avec, en appui, un texte témoignage très dense de l’expérience d’un aumônier de prison qui atteste combien la moindre lueur du dedans ne doit pas s’éteindre, combien la Parole de Dieu peut transformer une vie et rendre libre intérieurement. • le troisième matin nous plongea dans les grands problèmes socio-économiques et sociétaux de notre France actuelle : un interview remarquable de Gaël Giraud, s.j., projeté sur écran nous situa avec grande lucidité quels enjeux pourraient être réfléchis et « remis en jeu » dans les futurs programmes présidentiels : un grand chantier plein d’ouvertures pour nous ! • Le quatrième intervenant choisit de nous faire réfléchir très avantageusement sur l’amitié : amitié de Dieu, François d’Assise et l’amitié, l’amitié au-delà des différences, l’amitié : mot souvent galvaudé…Qu’est-ce qu’un ami pour nous, quelle est notre expérience de l’amitié, quelles différences entre amitié et fraternité?.. interrogations qui ouvrirent un échange très fructueux ! • La cinquième matinée fut consacrée à la découverte d’Arcabas : ce peintre de l’âme, sculpteur, poète converti à 25 ans et ce don de traduire sa foi et sa liberté de croire dans ses riches peintures, aux teintes extraordinaires (rouge, or, bleu…) qui font de son travail une œuvre sacrée, toujours très vivante, marquée d’une candeur joyeuse, révélatrice de questions profondes qui interrogent et provoquent à l’émerveillement. Un semeur d’Evangile à sa manière…qui a occasionné un vrai partage entre nous autour de ses œuvres parfois si surprenantes. • Le dernier jour nous emporta sur un Discours du Pape François prononcé en 2015, lors d’une audience générale, plein d’humanité, de conseils, dans une expression toujours simple, actuelle, pragmatique, sur ce qu’est « être heureux » dans toutes les situations , meilleures ou pires, de la vie.Il ne condamne pas, va toujours de l’avant avec un regard positif sur les êtres , il est riche de foi en l’homme et en Dieu. Merveilleux échange pour clore cette belle semaine !
L’après-midi : détente et tourisme !
Soeur Pascale Bonef, de la communauté, nous a fait l’honneur de découvrir notre lieu d’accueil résidentiel et pendant plus de deux heures, nous a détaillé l’histoire de la Chapelle du Sanctuaire (XIIème siècle), le cimetière, le jardin des simples et des produits biologiques, les bâtiments et leurs nouvelles constructions porteuses d’avenir pour ce lieu plein de promesses. D’autres jours, nous sommes partis en balades visiter l’Abbatiale de Marmoutier, la Basilique, les rues pittoresques et le jardin botanique de Saverne, avons expérimenté « le Plan incliné de Saint Louis Arzviller » ascenseur à bateaux unique en son genre en Europe et situé sur le canal de la Marne-au-Rhin, et flané en découvrant le joli village typique d’Obernai.
Certaines soirées furent aussi bien occupées par le témoignage de sœur Nicole, supérieure de la Communauté, par la projection de 2 films «Dan et Aaron» (deux frères juifs que tout sépare reflètent bien une société en mutation), et « rêves d’or »(des migrants partis du Guatemala vivent la dure réalité de leur arrivée en Europe) suivis de débats enrichissants, par le partage-signalement de livres intéressants avec notre frère Gilles et même par une replongée sympathique dans nos chants de jeunesse avec l’accompagnement de notre cher guitariste Michel !
« Frère Soleil» rayonna chaque jour fidèlement pour nous découvrir les merveilles de ses levers et couchers dans cette nature luxuriante de fleurs, de champs, de verdure et d’oiseaux multiples !
En somme, une semaine de grâces où nous avons été gâtés en tous points et où nous nous sommes sentis très privilégiés par l’accueil, les rencontres, les échanges, le temps donné et passé ensemble, la prière avec la communauté, les richesses des lieux touristiques…
Oui, nous avons été très heureux de ces jours si fraternels, partagés dans une ambiance joyeuse et sereine, qui sont pour chacun source de renouveau et de « commencement » !…
Nous aimons notre Église avec ses limites et ses richesses c’est notre Mère. C’est pourquoi nous la respectons, tout en rêvant qu’elle soit toujours plus belle : Une Église où il fait bon vivre où l’on peut respirer, dire ce que l’on pense. Une Église de liberté. Une Église qui écoute avant de parler qui accueille au lieu de juger, qui pardonne sans vouloir condamner, qui annonce plutôt que de dénoncer. Une Église de miséricorde. Une Église où le plus simple des frères comprendra ce que l’autre dira où le plus savant des chefs saura qu’il ne sait pas, où tout le peuple se manifestera. Une Église de sagesse.
Une Église où l’Esprit Saint pourra s’inviter parce que tout n’aura pas été prévu, réglé et décidé à l’avance. Une Église ouverte
Une Église où l’audace de faire du neuf sera plus forte que l’habitude de faire comme avant. Une Église où chacun pourra prier dans sa langue, s’exprimer dans sa culture, et exister dans son histoire. Une Église dont le peuple dira non pas « voyez comme ils sont organisés », mais « voyez comme ils s’aiment ». Église de Saint Denis, Église des banlieues, des rues et des cités, tu es encore petite, mais tu avances. Tu es encore fragile mais tu espères. Lève la tête et regarde : Le Seigneur est avec toi.
La galerie Joseph ouvre à Paris, dans le marais, une vingtaine de lieux à des événements variés. Elle propose actuellement, 116 rue de Turenne, une exposition présentée comme un événement en lui-même. En effet nous dit-on : « Small is beautiful, Miniature Art, est la première exposition européenne à réunir 20 artistes de l’Art Miniature et révéler leurs œuvres physiques au grand public. » Jusque là, l’Art miniature était un phénomène lié à ce qu’il est convenu d’appeler les « réseaux sociaux » où elles s’exposaient en image, à l’instar du Street-Art, autre tendance de l’art contemporain.
Les œuvres, comme le titre l’indique, sont à peu près toutes minuscules, au point que des loupes sont à disposition pour les contempler. Sous cloche pour beaucoup, elles mettent en scène des figurines placées dans des univers sobres ou au contraire très détaillés, souvent de manière incongrue, décalée, avec — on le comprend — une extrême minutie qui constitue une grande part de leur valeur spectaculaire. Quant à leur valeur artistique, inégale, on est en droit, au-delà de tout conservatisme, de se poser quelques questions. Suffit-il à une œuvre d’être petite (small) pour être belle (beautiful) ? Où est la nouveauté dont elles se targuent lorsqu’on connaît la longue et magnifique tradition de la miniature, des enluminures médiévales aux portraits en vogue de la renaissance au XIXème siècle ? À quoi rime une telle minutie, si ce n’est à une certaine absurdité, lorsque les œuvres sont reproduites sur de grandes photographies afin d’être visibles du public ? La performance de maquettiste, pour impressionnante qu’elle soit, constitue-t-elle à elle seule un sujet d’admiration, un talent artistique ? Toutes ces questions trouvent des réponses positives dans deux aspects. Le premier est que la miniaturisation du sujet, de la figure, permet le développement relatif de son contexte, dans des dimensions bien plus larges que celles de la peinture ou de la sculpture traditionnelles. Son replacement surprenant dans une réalité quotidienne dont émane parfois une vraie poésie, un humour riche de sens, nous invite à prêter attention à la beauté et au sens des petites choses sur lesquelles nous marchons tous les jours. Le second aspect est l’impression enfantine qui résulte de toutes ces œuvres : il est toujours bon de retomber en enfance, au temps où nous jouions avec des petits soldats, où nous nous inventions des mondes pour les entourer, où nous étions maîtres d’un univers que nous avions créé, loin de celui des adultes où nous nous sentions nous-mêmes si minuscules… Si l’amateur d’Art trouvera difficilement son compte dans cette exposition, ses enfants, en revanche, y seront parfaitement dans leur élément : ils y verront, mis en scène, le jeu qu’ils pratiquent eux-mêmes sans aucune prétention. Cela éveillera en eux une conscience artistique très profitable, éventuellement mise en œuvre dans des ateliers proposés en marge de l’exposition.
Une dernière question, tout de même, pour les adultes qui s’adonnent à l’Art miniature, penchés sur leur loupe : hormis la mode, qu’est-ce qui les pousse à ces créations minuscules qui requièrent un si énorme travail ? De quoi jouissent-ils à faire sortir de leurs mains ces univers recréés ? On peut oser une réponse qui est une autre question : dans un monde sans Dieu, l’homme devenu géant devant ses œuvres se rêve-t-il en deus ex machina ?
Jean Chavot
La Splendeur et l’infamie d’Erik Larson
E.Larson, La Splendeur et l’infamie, Paris, Le Cherche midi, 2021, 688 pages. 24,90 €.
Il y a des personnages que des circonstances exceptionnelles font entrer dans l’histoire ou les font sortir à nouveau des caves de l’histoire. Ainsi Winston Churchill, jeune ministre perdit-il à Gallipoli une bonne partie de son crédit. L’opération engagée au printemps 1915 fut une catastrophe imputée au jeune premier lord de l’Amirauté, alors âgé de 40 ans, en poste depuis 1911, Winston Churchill. Soucieux que les soldats britanniques cessent de « mâchouiller du barbelé dans les Flandres », il pensa à s’emparer du détroit des Dardanelles, mais l’armée ottomane commandée par le jeune colonel Mustafa Kemal, futur Atatürk, mit en échec les troupes françaises et celles de l’Empire britannique[1]. Vaincus par les Turcs et les épidémies les troupes réembarquèrent piteusement. Or, Churchill fut désigné comme le principal responsable du désastre des Dardanelles. Les politiques fuirent dès lors le « vieux lion ». Pourtant, au printemps 40, ce fut vers celui qui avait toujours tempêté contre les nazis et la frilosité de Chamberlain à Munich en septembre 1938[2], que se tournèrent les Britanniques. Devenu premier ministre le 10 mai 1940, quelque peu par défaut, il dut mener un pays désormais ultime rempart contre les gargantuesques ambitions hitlériennes. De nombreux ouvrages furent et sont consacrés à Churchill[3], mais celui de Larson offre un intérêt certain par son approche originale. Chronique intimiste de l’Annus horribilis qui courut de mai 1940 à mai 1941. Isolé face à la puissance dominatrice nazie, le Royaume-Uni dut affronter la succession de défaites et la bataille d’Angleterre, préalable indispensable à la réussite de l’hypothétique réussite de l’opération « Seelöwe »[4]. Larson téléporte son lecteur dans la chambre de Churchill qu’il croise en peignoir à la sortie de son bain. Il est là lorsque Winston s’exprime devant le Parlement le 13 mai 1940[5], et est assis sur les bancs de Communes le 4 juin[6]. Plongé dans le quotidien d’un homme exceptionnel avec ses faiblesses, son charisme et ses éclairs de génie. Entraîné dans les bourrasques de l’automne 1940 lorsque Hitler engagea une nouvelle tactique consistant à bombarder systématiquement les villes britanniques dans l’espoir d’abattre le moral anglais. Emporté dans le Blitz qui frappa les quartiers populaires de l’East End de Londres mais aussi le palais de Buckingham puis de nombreuses villes britanniques. Londres bombardée 57 nuits de suite avant que le brouillard n’offrît un répit aux habitants… Puis ce furent les villes du royaume telle Coventry réduite en cendres dans la nuit du 14 au 15 novembre. On imagine partager un Johnnie Walker Black Label, et une bouteille d’eau-de-vie dès le lever du matin avec de l’eau gazeuse. On fume un « Romeo y Julieta », alors que Mary Churchill, agitée par ses émois sentimentaux, vit de manière parfois insouciante sa vie de jeune femme avant de s’engager au sein du Women’s Voluntary Service. Nous passons des week-ends dans les résidences de Chequers Court à Ellesborough et de Ditchley Park avec les invités du natif prématuré du palais de Blenheim. Clémentine, intelligente et vive est à ses côtés avec nous alors que Randolph, coureur de jupons, buveur, colérique accumulant les dettes de jeux perd sa femme, la belle Pamela[7] lassée des frasques de son époux. Nous soutenons ses efforts afin de convaincre Roosevelt d’engager son pays dans le conflit. Nous sommes épuisés par le rythme de Churchill, toujours en mouvement qui monte en pleine nuit sur les toits du 10 Downing Street pour observer les avions allemands bombardant la capitale anglaise. Parfois, oubliait-on que ce géant de la seconde guerre mondiale était aussi un mari et un père de famille. On discute avec John Colville, le secrétaire particulier, avec Lord Beaverbrook, l’ami intime du Premier Ministre, craint et sans cesse démissionnaire mais aussi avec le physicien Frédérick Lindemann, surnommé le « Prof » le lobe scientifique du cerveau churchillien. Farci d’anecdotes, reposant sur des documents historiques souvent inédits[8], l’aventure que vit le lecteur au fil de courts chapitres est celle d’un grand homme, imprévisible, déterminé, indomptable, intrépide mais si humain lorsqu’il verse des larmes le 3 juillet 1940 après la tragédie de Mers-el-Kébir[9]. Ainsi, si l’on plongeait dans l’histoire des futurs du passé, que serait-il survenu si Lord Halifax, pressenti par beaucoup dont George VI, avait occupé le poste de Premier Ministre ? Foin de cela, car l’ouvrage de Larson ne manie pas l’uchronie, il nous entraîne dans un passé qui fut celui d’un homme avant d’être celui d’un géant.
Erik Lambert
[1] On regardera avec intérêt le film de Peter Weir avec Mel Gibson, Gallipoli sorti en 1981 mais surtout le très beau La promesse d’une vie avec un remarquable Russell Crowe. [2] À l’automne 1938 suite aux funestes accords de Munich, Churchill affirma : « […] Je vais commencer en disant la chose la plus impopulaire et la plus indésirable […], ce que tout le monde voudrait oublier ou faire semblant de ne pas voir, mais qui doit néanmoins être cité, à savoir que nous avons subi une défaite cinglante et totale, et que la France a à en souffrir peut-être plus que nous […]. Ne croyez pas que c’est la fin. C’est seulement le commencement du jugement, la première gorgée, le premier avant-goût d’une coupe amère qui nous sera tendue année après année, à moins que dans un suprême rétablissement de notre santé morale et de notre ardeur guerrière, nous nous relevions et combattions pour la liberté comme par le passé ». « Ils ont eu le choix entre le déshonneur et la guerre ; ils ont choisi le déshonneur, et ils auront la guerre« . [3] On pourrait se reporter avec grand intérêt aux biographies de A.Roberts, F.Kersaudy, et F.Bedarida. [4] La Bataille d’Angleterre, débuta officiellement le 10 juillet 1940 lorsque la Luftwaffe, l’aviation allemande de Göring, lança, depuis ses bases du Nord Pas-de-Calais, un premier raid au-dessus de la Manche pour bombarder des convois de navires britanniques. Le 16 juillet 1940, Hitler diffusa sa Directive n°16 qui déclencha les préparatifs de l’Opération Seelöwe (« Lion de Mer » ou « Otarie » en français) : « Puisque l’Angleterre, en dépit d’une situation militaire désespérée, ne montre aucun signe de compréhension, j’ai décidé de préparer une opération de débarquement et, si besoin, de la mettre à exécution. Le but de cette opération sera d’éliminer toute possibilité que le territoire national anglais serve de base à la poursuite de la guerre contre l’Allemagne et, le cas échéant, de l’occuper entièrement ». Le 20 août 1940, il remercia la poignée de pilotes de la Royal Air Force qui avaient repoussé les attaques aériennes allemandes et préservé l’Angleterre d’une invasion qui eut été fatale à la liberté en Europe :« Jamais, dans l’histoire des guerres, un si grand nombre d’hommes n’ont dû autant à un si petit nombre » (« Never in the field of human conflict was so much owed by so many to so few »). [5]« Je n’ai à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur » (« I have nothing to offer but blood, toil, tears, and sweat »),[6]« Nous combattrons sur les plages, nous combattrons sur les terrains d’atterrissage, nous combattrons dans les champs et dans les rues, nous combattrons dans les montagnes ; nous ne nous rendrons jamais » (« We shall fight on the beaches, we shall fight on the landing grounds, we shall fight in the fields and in the streets, we shall fight in the hills ; we shall never surrender »)… [7] Pamela Harriman, considérée parfois comme une courtisane, surnommée « La grande horizontale ». Mariée en 3ème noce en septembre 1971 avec l’ambassadeur américain William Averell Harriman avec lequel elle avait entretenu une liaison pendant la guerre. [8] Y compris le journal de Goebbels. Le volume 1943-1945 est paru chez Tallandier. [9] Le 3 juillet 1940, la Royal Navy attaque la flotte française amarrée dans la rade nord-africaine de Mers el-Kébir, près d’Oran (1297 morts et 350 blessés chez les marins français). L’objectif était d’éviter que la flotte française ne devienne allemande.