« Claire d’Assise, un exemple lumineux pour le monde… » (1ère partie)

Bien des aspects de la vocation et de la spiritualité de celle qui aime à se nommer « la petite plante de saint François » peuvent éclairer notre vie de foi aujourd’hui. Dans cette 1ère partie nous nous attacherons à la pauvreté et à la symbolique du miroir, avant d’aborder dans la seconde partie la joie et l’action de grâce.

La pauvreté et la symbolique du miroir

Si Claire au eu le souci des plus pauvres dès son enfance, sa rencontre avec François a été un véritable révélateur : elle a reconnu dans la Forme de vie qu’il avait choisie ce qu’elle portait et désirait au plus profond d’elle-même depuis toujours : suivre la vie et la pauvreté du très haut Seigneur Jésus Christ et de sa très sainte Mère. Guidée par les conseils et l’exemple de François, elle place la pauvreté au cœur de sa vie évangélique. La pauvreté qu’elle prône est radicale et exigeante, mais Claire a cette intuition, qu’elle expérimentera tout au long de sa vie, qu’en se dépossédant de tout bien, qu’en s’abandonnant à la volonté du Père et à la divine Providence, elle accède à une joie bien plus grande, à des richesses éternelles. Le dépouillement, donc, mais pas la misère ; la pauvreté, non pas comme une fin en soi, mais comme une vertu qui rend totalement libre et ouvre le cœur pour mieux aimer le Seigneur et chacune de ses créatures, pour tout recevoir de Dieu et se recevoir de lui qui est le « Tout Bien ».
Traditionnellement, les monastères possédaient des biens et des titres de propriété qui garantissaient leur existence et leur permettaient de se vouer à la prière ; Claire, elle, se bat pour obtenir le « privilège de la très sainte pauvreté » pour son Ordre. Rien ne peut l’en détourner, pas même le Pape, sa détermination et son audace ont raison de tous les obstacles : ce privilège lui est accordé, personne ne pourra forcer les Sœurs Pauvres à recevoir des possessions. La pauvreté tient également une place importante dans la Règle qu’elle se décide à écrire, et elle est la première femme à le faire, pour asseoir la Forme de vie qu’elle a choisie et ne plus dépendre de textes rédigés pour d’autres communautés monastiques et qui ne la satisfont pas. « Que les sœurs ne s’approprient rien, ni maison, ni lieu, ni quoi que ce soit. Et comme des pèlerines et des étrangères en ce siècle, qu’elles envoient à l’aumône avec confiance ; et il ne faut pas qu’elles en aient honte, car le Seigneur s’est fait pauvre pour nous en ce monde. Telle est la hauteur de la très sainte pauvreté qui vous a instituées, vous mes sœurs très chères, héritières et reines du royaume des cieux, qui vous a faites pauvres en biens, qui vous a élevées en vertus. Qu’elle soit votre part, elle qui conduit dans la terre des vivants. Totalement attachées à elle, sœurs bien-aimées, pour le nom de notre Seigneur Jésus-Christ et de sa très sainte mère, veuillez ne posséder à jamais rien d’autre sous le ciel. » (Reg Cl 8, 1-6) L’approbation tant attendue de cette Règle, qui est largement inspirée de celle de François, lui parvient la veille de sa mort.
Celano nous dit que deux sujets occupaient toutes les pensées de François : l’humilité manifestée par l’Incarnation et l’amour manifesté par la Passion. De même, Claire en regardant le visage du Christ y découvre « … la pauvreté de celui qui a été déposé dans une crèche et enveloppé de petits langes. Ô admirable humilité, Ô stupéfiante pauvreté ! Le Roi des anges, le Seigneur du ciel et de la terre est couché dans une crèche », « … l’humilité, du moins la bienheureuse pauvreté, les labeurs sans nombre et les peines qu’il supporta pour la rédemption du genre humain », « … l’ineffable charité par laquelle il voulut souffrir sur le poteau de la croix et mourir là du genre de mort le plus honteux de tous. » (4 LAg 19-23) Elle ne peut que s’émerveiller du chemin que le Seigneur a emprunté pour nous rejoindre dans notre humanité, du don qu’il a fait de sa vie pour nous révéler son amour et nous faire participer à la gloire de Dieu.
Son expérience de la contemplation du Christ, elle la traduit en utilisant la symbolique du miroir, très présente dans ses Lettres à Agnès de Prague. « Dans ce miroir resplendit la bienheureuse pauvreté, la sainte humilité et l’ineffable charité, comme, avec la grâce de Dieu, tu pourras le contempler par tout le miroir. » (4 LAg 18) Le Christ est le miroir qu’il nous faut contempler car il nous rend visible le Père, il est « la splendeur de la gloire éternelle, l’éclat de la lumière éternelle et le miroir sans tache. » (4 LAg 14) Le contempler, c’est se laisser transformer par lui, en lui, pour devenir à son tour miroir pour les autres, pour être reflet de la divinité dans ce monde. « Pose ton esprit devant le miroir de l’éternité, pose ton âme devant la splendeur de la gloire ; pose ton cœur devant l’effigie de la substance divine et transforme- toi tout entière par la contemplation en l’image de la divinité elle-même ». (3 LAg 13-14) C’est la vocation de Claire et de ses sœurs : « Le Seigneur lui-même, en effet, nous a placées comme une forme en exemple et miroir, non seulement pour les autres, mais aussi pour nos sœurs que le Seigneur appellera à notre vocation, pour qu’elles aussi soient un miroir et un exemple pour ceux qui vivent dans le monde. » (TestCl 19-20) Le Pape Alexandre IV écrit dans la Bulle de canonisation de Claire : « Ô admirable clarté de la bienheureuse Claire ! […] Elle a scintillé pendant sa vie : après sa mort elle rayonne ; elle a éclairé sur terre : au ciel elle luit ! »
C’est aussi la vocation de tout chrétien : être lumière pour ses frères et sœurs en humanité et leur donner à voir dès ici-bas l’amour miséricordieux du Père qui transfigure toute chose et tout être.

P. Clamens-Zalay

PIE IX, UN PAPE À L’IMAGE DE SON SIÈCLE : ENTRE LIBÉRALISATION ET CONSERVATISME

3. Un pape à l’image d’une Église agitée par les sociétés en mouvement.

L’échec de sa tentative de gouvernement libéral étouffa les velléités novatrices du Pape. Désormais, il aspira à défendre son pouvoir temporel indispensable selon lui, à l’indépendance spirituelle de l’Église. Durant le reste de son règne, il ne cessa de lutter contre l’Italie naissante. Emporté par le tourbillon libéral qui balayait l’Europe, ses positions conservatrices ne s’affirmèrent pas seulement en Italie mais concernèrent l’ensemble du continent. Confronté aux patriotes italiens, il accentua les positions adoptées en son temps par Grégoire XVI[1]. Ce pontife, initialement libéral, puis perçu comme réactionnaire, combattit en son temps, la vague de religiosité romantique[2] et de naturalisme rationaliste[3]. Il condamna les doctrines de Lamennais de séparation de l’Église et de l’État et les libertés de conscience et de presse. Cette source d’inspiration nouvelle qui guida Pie IX le conduisit à nourrir une solide opposition au discours de Montalembert prononcé au congrès de Malines de 1863[4]. Il lança l’encyclique Quanta Cura[5], publiée le 8 décembre 1864. Le texte condamna le naturalisme, en particulier le rationalisme moderne et la conception libérale des rapports entre la religion et la société civile ; le socialisme et de manière générale la société moderne. Le texte était complété par une liste de quatre-vingts propositions erronées, intitulée Syllabus[6]. Toutefois, le Pape connut une popularité exceptionnelle tant il suscita l’empathie auprès du « mouvement catholique ». Considéré par beaucoup comme un martyr ; cet homme doté d’un réel pouvoir de séduction, avide de contacts[7], rallia les masses et le clergé. Sa situation fut un accélérateur de l’ultramontanisme[8]. Ce dernier courant était fidèle à la perspective tracée par Pie IX lors du XXe concile œcuménique de l’Église romaine[9], Vatican1, affirmant le principe de la primauté et de l’infaillibilité pontificale. Ce fut ce pape qui forgea le Dogme de l’Immaculée Conception dans la bulle apostolique Ineffabilis Deus[10] en décembre 1854. Le dogme de l’Immaculée Conception proclamait la conception « sans tâches » de la mère du Christ. Cela signifiait qu’elle n’était pas marquée par l’empreinte du péché originel comme l’avaient déjà affirmé de nombreux pères de l’Église[11]. Les apparitions de la Vierge à Catherine Labouré[12] en 1830 puis à Bernadette Soubirous en 1858[13]  procédèrent de ce culte marial en pleine expansion. 
Toutefois, la guerre franco-prussienne entraîna la suspension du concile Vatican1 et la disparition de l’État pontifical, privé de la protection de la France. Les troupes italiennes occupèrent Rome le 20 septembre 1870 désormais capitale du royaume d’Italie[14].
L’ambition affirmée de Pie IX de servir l’Église avec un esprit mystique ouvrit l’ère des papes missionnaires. Certes, son pontificat fut celui d’une Église sur la défensive avec le développement du laïcisme en Allemagne[15], en Suisse, en France mais il fut aussi celui d’un regain de religiosité.  

Le Pape Jean Paul II béatifia le dimanche 3 septembre 2000 Pie IX et Jean XXIII. Associer les deux souleva l’indignation. Ceux qui s’y opposèrent estimèrent que Jean Paul II, en béatifiant Pie IX, voulut ménager les milieux traditionalistes, adversaires de toujours de l’œuvre de Jean XXIII. Deux papes, l’un symbole du conservatisme, l’autre de la modernité[16].
L’Église, c’est aussi des contradictions et le long règne de Pie IX en fut l’expression : comment l’Église peut-elle affronter les défis générés par les évolutions de société ? 


[1] Pape de 1831 à 1846.
[2] Les romantiques songeaient à une individualisation du sentiment religieux plus qu’à une religion instituée, catholique ou reformée.
[3] Le rationalisme considère que l’homme peut réfléchir par lui-même sans intervention de la religion. Pour le naturalisme, l’homme est un être vivant qui naît, vit et meurt. La pensée meurt avec le corps et il n’y a dès lors de vie après la mort. Dans les deux cas, la raison seule juge ce qui est bon et ce qui est mal.
[4] Cf. L’Église Libre Dans l’État LibreDiscours Prononcés Au Congrès Catholique de Malines, Par Le Comte de Montalembert.
[5] « Avec quel soin… » https://www.vatican.va/content/pius-ix/la/documents/encyclica-quanta-cura-8-decembris-1864.html
[6] Un recueil qui dénonçait « les principales erreurs du temps ».
[7] 9 heures d’audience par jour.
[8] L’ultramontanisme (du latin ultra, au-delà et montis, montagne) désigne ce qui est au-delà des monts alpins par rapport à la France, c’est-à-dire l’Italie et plus précisément Rome. Il se manifeste dès les XVIIe et XVIIIe siècles, mais surtout au XIXe siècle. Ses partisans, les ultramontains, considèrent que le pape a la prédominance sur les conciles nationaux pour tout ce qui concerne l’Église catholique (dogme et administration).
[9] Réuni du 8 décembre 1869 au 20 octobre 1870. Sept cents évêques pour « trouver les remèdes contre les si nombreux maux qui oppressent l’Église » 
[10] « Dieu ineffable ». https://www.icrsp.org/Saints-Patrons/Christ-Roi-Immaculee-Conception/Ineffabilis_Deus_Pie_IX.htm
[11], Saint-Augustin, in De natura et gratia « De la sainte Vierge Marie, pour l’honneur du Christ, je ne veux pas qu’il soit question lorsqu’il s’agit de péchés. Nous savons en effet qu’une grâce plus grande lui a été accordée pour vaincre de toutes parts le péché par cela même qu’elle a mérité de concevoir et d’enfanter celui dont il est certain qu’il n’eut aucun péché. »
[12] La Vierge se serait présentée comme « conçue sans péché » à Catherine Labouré.  La médaille miraculeuse a été comme « dessinée » par la Vierge elle-même ! Elle aurait en effet demandé la forme ovale, l’invocation à graver, son effigie à poser sur une face et au revers les motifs symboliques. De ce fait, la Vierge en a donné le contenu ; le message, explicite et implicite, de sa propre identité, sa Conception Immaculée. Ensuite la Sainte Vierge en a donné le mode d’emploi : « Ceux qui la porteront avec confiance », on trouve là comme un écho des paroles de Jésus à la femme guérie après avoir touché son manteau : « Va, ta foi t’a sauvée ». Enfin, la Vierge en assigne le but : recevoir de grandes grâces, nous rappelant ainsi la miséricorde de Dieu et la primauté de la vie spirituelle.
[13] La « belle dame » lui est apparue dans la grotte de Lourdes en lui disant : « Que sòi era Immaculada Concepciou », « Je suis l’Immaculée Conception » en gascon.
[14] Le Pape refusa la « loi des garanties » votée par le Parlement italien en mai 1871 laissant ouverte la « question romaine » résolue par les accords du Latran de 1929.
[15] Kulturkampf, Otto von Bismarck, ne se cachant pas d’être agnostique, voire athée, aspirait à réaliser l’unité de l’Allemagne autour de la Prusse. Pour cela, il convenait de mener un « combat pour la civilisation » qui visait en fait à éradiquer l’influence du Saint-Siège sur l’Église allemande et réduire son influence dans certains territoires allemands comme l’Alsace ou la Bavière. 
[16] Sans porter de jugement ou se lancer dans une démarche de repentance ignorant les réalités des temps, la position des deux sur les Juifs est intéressante à observer. Ainsi, l’affaire Dreyfus à l’italienne que fut l’affaire Mortara ne peut que solliciter notre intérêt. 

ET APRES… C’EST AUJOURD’HUI.

L’après comme un nouvel instant où il y aurait du changement, c’est aujourd’hui.

Quel changement ?

Pour moi, qu’est ce qui change ?

Je ne perçois pas comme un grand changement d’éteindre la lumière, d’économiser l’eau et tout le reste. Actions nécessaires mais minimes, peu mobilisantes face au défi annoncé.

Que m’a fait découvrir cette pandémie.
Nous avons expérimenté notre interdépendance et perçu concrètement notre obligation de solidarité comme frères humains.

Changer mon vocabulaire pour dire les mouvements de population vers l’Europe : horde, invasion, migrants, terroristes, sans papiers, islamistes, flux.
Ce sont, avant tout, des personnes désespérées, abandonnées, tordues dans les règlements administratifs servant de repoussoir.

Nous devons agir collectivement, nous aider, nous soulager, nous parler.
Combattre tous les systèmes d’exclusion dont la télé nous fait le tableau chaque soir.

« TUTTI FRATELLI » nous l’avait dit, nous l’avions même lu, maintenant nous le savons.

Je dois développer la bienveillance vis-à-vis de tous.

Pour mon église.

La province franciscaine de France ne recrute plus et à terme les frères franciscains ne seront plus présents. De même dans chaque diocèse, il n’y a plus de recrutement ou si peu.
A Saint Merry, au milieu de toutes les tensions et contradictions propres à cette nouveauté, l’évêque clos brutalement le débat et renvoi tout le monde !

En confinement, tant bien que mal, les chrétiens ont assuré chacun chez soi ou à plusieurs leur propre liturgie et recueillement. La vie chrétienne pourrait-elle continuer sans les clercs et sans leur autorité ?

La cour pontificale médiévale est complètement obsolète pour nos mentalités contemporaines.
François en son temps a aimanté autour de lui une « foule » d’hommes qui voulaient adopter son nouveau style de vie.

C’est une église nouvelle qu’il faut inventer.
Se défaire de ce que l’on a appris, expérimenté et connu.

Comment nos fraternités pourraient-elles être cette communauté universelle où se célèbrerait le repas partagé ?


Pour la société.

Tout ce qui a été perçu comme « à changer » nous revient en boomerang :
La destruction de l’hôpital, les réformes de l’assurance chômage et du système de retraite au mieux suspendues, renforcement du contrôle aux frontières, les rémunérations exorbitantes des chefs d’entreprise du CAC 40 avec parachute doré, etc.

Le pass-sanitaire, un temps facultatif rendu obligatoire par la bande. Débat au parlement (assemblée nationale et sénat) dans la précipitation, sans possibilité d’amendements, sans consensus qui emporterait l’adhésion du plus grand nombre.

Encore huit cents rescapés en méditerranée autant de noyés.
Les afghans qui s’accrochent aux ailes des avions, qui se font piétinés à mort dans les bousculades. Il faut maîtriser les flux.

Comment porter une force de rupture aux puissances d’argent, du tout marché, du tout se vend, tout s’achète ?

Jacques

VOUS AVEZ DIT EMOTIONS ? BENEVOLAT DANS UNE ECOLE PRIMAIRE A PARIS

Voilà maintenant 3 ans que je suis bénévole dans une petite école primaire catholique à Paris et y propose des séances destinées au développement des « compétences psychosociales » (pour reprendre le jargon officiel en cours ! ;-). Il s’agit de séances destinées à mieux se connaître, notamment par la découverte et la « gestion » des émotions qui nous traversent. Une manière de contribuer à l’apaisement des relations et à l’éducation à la paix.

Toute ma source vient de la Communication NonViolente (CNV) de Marshall B. Rosenberg : suite aux stages « modules de bases » que j’avais eu la grâce de pouvoir suivre, je souhaitais ardemment la partager tant cela m’avait apporté. Et je pensais tout spécialement aux enfants dans un premier temps : moi j’avais attendu d’avoir 40 ans pour apprendre ça, quel temps perdu ! Je me disais que je pouvais déjà en partager au moins quelques « miettes », ce serait toujours ça de gagné pour eux ! Les séances que je propose ne prétendent donc pas être une transmission fidèle de la CNV (il faut beauooooooocoup de temps pour l’intégrer et la pratiquer vraiment !), cependant elles s’en inspirent largement.

Au début j’ai commencé dans une seule des 3 classes maternelles de l’école : celle de Silvia, rencontrée providentiellement lors d’une journée Foi et Lumière chez nous à Fontenay-sous-Bois, et par qui je suis entrée dans cette école. Puis, assez rapidement, le lien se créant dans le secteur des maternelles (il est « géographiquement » un peu à part), je suis intervenue dans les 2 autres classes. Il s’agit de 3 classes maternelles Montessori, avec des enfants âgés de 3 à 6 ans en moyenne (les petite, moyenne et grande sections y sont donc mélangées, à proportion aussi égale que possible), et les maîtresses sont également éducatrices Montessori, formées à l’Institut Maria Montessori.

En arrivant là, j’avais un double objectif : apprendre et m’imprégner le plus possible de cette pédagogie qui m’intéressait beaucoup, pour ensuite partager dans cette dynamique là ce que j’avais compris et intégré du processus de CNV. Cela repose donc depuis le début sur une étroite coopération avec les maîtresses et leurs aides maternelles, et le partage de nos compétences respectives dans un dialogue ouvert aux tâtonnements. Maria Montessori n’ayant pas développé cet apprentissage spécifique (pas en vogue ni au programme scolaire à son époque), nous avions conscience d’innover quelque chose tout en tâchant de rester fidèles à l’esprit d’une pédagogie qui nous précède et nous dépasse, avec l’humilité que cela requiert, notamment par l’accueil de nos erreurs comme faisant partie de notre apprentissage et de notre avancée « pas à pas ». Le fait que nous ayons posé cela dès le début était très libérant à mes yeux, dans le sens où nous ne nous sommes pas fait peser d’attentes ni d’exigences surdimensionnées. L’expérience a été très chouette, et cette première année a aussi été l’occasion de créer de nouveaux outils dans l’esprit de cette pédagogie, et destinés à l’apprentissage des émotions et des besoins (au sens où on l’entend dans le jargon CNV, c’est-à-dire uniquement nos besoins vitaux, ces « énergies de vie » universelles, ces « forces motrices » intérieures qui nous meuvent et nous poussent à développer des stratégies concrètes au service de la vie, pour sa protection et sa croissance – même si on fait aussi le contraire ! Le terme « besoin » n’est donc pas ici employé au sens d’un manque, ni pour désigner une « stratégie » concrète comme cela peut être courant dans notre langage habituel. Par exemple on dira facilement « j’ai besoin d’un stylo » à un moment où il nous manque. En CNV, on distinguera bien la « stratégie » du « besoin », et on ira chercher quelle est l’énergie profonde qui nous anime lorsque nous cherchons la « stratégie » stylo dans cette situation précise et en cet instant t (on pourrait imaginer que c’est le « besoin », la force vitale d’expression/de communication qui est motrice à ce moment-là et me pousse à chercher un stylo pour écrire un message à quelqu’un).

La deuxième année, ayant aussi créé des liens avec les autres institutrices l’année précédente, j’ai continué avec les maternelles, et commencé des séances dans une des autres classes (avec une pédagogie classique : dans cette école seules les maternelles suivent la pédagogie Montessori). Là, c’était une toute nouvelle expérience, avec des séances plus structurées et à durée limitée dans le temps. Un nouvel apprentissage donc, avec des enfants d’une toute autre tranche d’âge, un autre format pour leur partager la CNV, et une autre forme de coopération avec la maîtresse. Une découverte très riche aussi !

Puis le confinement est arrivé et a tout interrompu. Et lorsque je suis revenue, je me suis plutôt rendue disponible pour aider là où c’était nécessaire, la situation étant inédite et l’année scolaire touchant déjà à sa fin.

L’an dernier nous avons eu une année presque normale avec seulement une semaine de fermeture des écoles primaires, ce qui a été très chouette car j’ai pu, cette fois-ci, intervenir tout au long de l’année dans les 8 classes de l’école. Avec les maternelles j’ai continué à peu près sous le même mode que la première année (j’étais toutefois moins présente du fait de mon investissement dans les autres classes), et du CP au CM2, nous avons calé avec chacune des maîtresses, le mode, la durée et le rythme des séances. Là aussi j’ai énormément apprécié la collaboration avec les maîtresses, le partage d’expérience et de compétences, ainsi que leur soutien pour vérifier avec elles que ce que je proposais était bien adapté aux enfants de la tranche d’âge concernée et pour la « gestion de groupe » (dans laquelle je n’avais pas de compétences particulières, et je les prenais en général seule par demi groupes, ce qui fût parfois assez sportif !).

Je rends grâce de tout mon cœur au Seigneur qui par sa Providence a permis cela, et éprouve une profonde gratitude à l’égard de la Congrégation qui m’encourage et me soutient dans cette riche expérience. Je vois que cela m’apporte beaucoup, et me permet de continuer mon apprentissage de la CNV en la pratiquant avec les enfants. Et ce, d’autant plus que le besoin de cohérence, que nous avons tous, est particulièrement « sensible » chez eux. Cela a aussi plein de sens pour moi dans la mesure où ce processus m’aide à vivre davantage de cohérence intérieure pour vivre l’Evangile, notamment pour contribuer à la paix, paix qui est si chère à notre spiritualité franciscaine ! Et cette découverte de nos besoins profonds, ces énergies si vitales qui nous meuvent, est toujours un cadeau : les rejoindre par ce processus est source d’émerveillement et de gratitude devant l’infinie bonté de Dieu et la beauté de sa création. Et bien sûr, comme pour tout le reste, rien n’est définitivement acquis : c’est toujours à re-commencer !!! 😉

Sr Elisabeth Desportes, Sœurs de Saint François d’Assise

Prière de septembre

Tu m’aimes tel que je suis

Seigneur, réconcilie-moi avec moi-même.
Comment pourrai-je rencontrer et aimer les autres
si je ne me rencontre et ne m’aime plus ?

Seigneur, Toi qui m’aimes tel que je suis
et non tel que je me rêve,
aide-moi à accepter ma condition d’homme,
limité mais appeler à se dépasser.

Apprends-moi à vivre
avec mes ombres et mes lumières
mes douceurs et mes colères,
mes rires et mes larmes,
mon passé et mon présent.
………
Donne-moi le courage de sortir de moi-même.
Dis-moi que tout est possible à celui qui croit.
Dis-moi que je peux encore guérir,
dans la lumière de Ton regard et de Ta parole.

Fr M. Hubaut

La pipe qui prie et qui fume de Maurice Chappaz (RÉÉDITION)

La pipe qui prie et qui fume de Maurice Chappaz (Réédition), Edition Conférence, 200 pages, 25€. Lien vers la boutique

Maurice Chappaz (1916-2009) est un écrivain suisse, attaché corps et âme à ses montagnes du Valais. « Seuls les paysans ont une patrie et une religion », dit-il, et en effet son regard d’une méticulosité presque paysanne, nourri par une culture profonde, éclairé par une foi vivante, se voue avec un hétéroclisme voyageur à observer le « oui pur et simple au bonheur ou au malheur d’être né », formule qui est plus qu’une formule tant le pur et le simple suffiraient à qualifier la pleine attention qu’il porte aux gens et aux choses, retranscrite avec une belle constance dans la grande diversité de thèmes et de formes de son œuvre considérable.

La pipe qui prie et qui fume (2008), dernière publication de Maurice Chappaz, est un ultime journal estival du poète qui contemple sa terre et tout ce qu’elle lui suggère en miroir de souvenirs, de rêves, de questions certaines et de réponses incertaines, sans cesse changeantes comme le paysage et le ciel qui s’offrent à ses improvisations méditatives, tandis qu’il fume sa pipe, qu’il inhale et exhale la fumée comme une manifestation de la vie entrante et sortante, que l’on nourrit et qui nourrit. Fumer, prier…
« Prier c’est fumer et souffler vers le ciel cette réalité immédiate ». Celui qui « mordille dans l’au-delà » se rend disponible à l’instant où « La pipe aussi cesse son rêve, s’éteint comme la lune » ; il « avance à reculons comme une écrevisse dans un ruisseau vers un dernier curieux premier jour ». Tout semble apprendre à ne faire qu’un dans la poésie presque synesthésique de Maurice Chappaz où la nature n’est pas séparée de l’homme qui la contemple non pas de l’extérieur, mais de l’intérieur et à l’intérieur de lui, une nature avec laquelle il se confond et qui redevient ce qu’elle est : la Création. « Dieu se parle à lui-même, la nature est son corps et Dieu lui parle, nous lui appartenons. L’esprit de Dieu plane sur nous et si nous l’écoutons nous sommes libres, nous accomplissons notre longue et brève naissance avant de laisser s’échapper l’âme devenue ce qu’elle doit être dans l’éternité. »

Plus qu’illustré — ce dont il n’aurait aucun besoin — le livre est orné de monotypes de Pierre-Yves Gabioud propres à prolonger la méditation inspirée par ces textes et, comme eux, intenses, vibrants et délicats. À défaut de partager une liqueur du Valais avec l’homme que l’on voudrait connaître « vraiment », on peut se plonger dans d’autres ouvrages publiés par le même éditeur, par exemple dans le Journal intime d’un pays qui rassemble une importante collection d’articles lumineux écrits entre 1931 et 2009 par cet auteur terrien et céleste.

Jean Chavot

Pace e bene

Lorsque je travaillais dans l’édition, je me souviens d’un questionnaire adressé par le Syndicat national du livre à toutes les maisons d’édition françaises. Il s’agissait de cocher toutes les cases des domaines dans lesquels pouvaient être classées nos publications. Il se trouve qu’à l’époque, en plus de livres sur l’écologie ou l’économie solidaire, nous publiions des témoignages et des essais sur la construction de la paix. J’ai cherché à quoi ils pouvaient correspondre dans la (longue) liste qui nous était envoyée. En vain. Il y avait bien des cases « armée » ou « art de la guerre », mais d’« art de la paix » ou de « résolution des conflits », point. Cet échec dans ma recherche m’a paru alors en dire long sur nos représentations collectives des situations de violence. Il est loin le temps où Tolstoï intitulait son roman-fleuve « La guerre et la paix »… On peut dire que les médias au sens large, et ce n’est pas nouveau, s’intéressent bien davantage aux ravages de la guerre (qu’il faut évidemment faire connaître) qu’aux efforts de paix qui se développent néanmoins ici et là.

La flambée de violence à laquelle nous venons d’assister au Proche-Orient, et l’impuissance des Nations-Unies à peser sur ce conflit nous rappellent l’urgence de nous unir, en tant que croyants des différentes religions en présence, pour influer sur les décisions géopolitiques de nos gouvernants. Évoquant la situation lors de l’Angélus du 16 mai dernier, le pape François s’écriait : « Ces morts sont terribles et on ne peut pas les accepter. Elles sont le signe que les gens ne cherchent pas à construire mais bien à détruire l’avenir. »

« Construire l’avenir », et y croire… L’affrontement israélo-palestinien est tellement entré dans la routine — désastreuse routine — qu’on avait presque fini par l’oublier. De nouvelles vagues de conflits, partout dans le monde, l’avaient relégué au second plan, alors qu’il continue d’envenimer les relations internationales, et qu’il se développe au cœur même de la Terre Sainte où s’ancre la foi des trois religions du Livre. En effet, comme le dit le pape, on ne peut pas l’accepter, tout comme saint François n’acceptait ni la façon dont l’Église de son époque considérait les « Sarrazins », supposés suppôt de Satan, ni les conflits internes à sa propre région d’Ombrie.

François ne nous a pas laissé de manuel de construction de la paix. Mais une injonction croissante à tenter le dialogue partout où une faille fait entrevoir qu’il est possible. Faille du loup de Gubbio lorsqu’est mise à jour l’origine de sa violence (la faim), faille des brigands surpris d’être traités en frères et nourris, faille du sultan effaré de voir François venir à lui désarmé et pacifique… Tous ces éléments des biographies du Poverello, et bien d’autres, demeurent décisifs par leur symbole et par les démarches qu’ils ont inspiré ensuite aux faiseurs de paix inspirés par la spiritualité franciscaine : par exemple les initiateurs de San’t Egidio, des cercles de silence, ou du comité interreligieux de la famille franciscaine…. Pace e bene.

Construire l’avenir c’est aussi faire connaître ces démarches. On le sait peu, un très grand nombre d’associations œuvrent actuellement, en Israël et en Palestine, dans le sens du dialogue. L’Alliance pour la paix au Moyen Orient (ALLMEP www.allmep.org) en regroupe pas moins de 150, dont toutes sont loin d’être aussi connues que le village de Neve Shalom. Est passée presque inaperçue en mai dernier la pose à Berlin, par des chrétiens, des musulmans et des juifs, de la première pierre d’un lieu de culte commun, la House of one, reliant entre elles par un grand hall commun où des événements et des fêtes pourront être célébrées une mosquée, une synagogue, et un temple protestant. Encore un symbole et une preuve que beaucoup de croyants refusent la fatalité et continuent de croire, en le construisant, à un monde plus pacifique.

M. Sauquet

POUPONNIERE SAINTE CLAIRE DE LOME-TOKOIN-TOGO

Directrice de la pouponnière Sainte Claire : Sœur Esther SOME
La pouponnière Sainte Claire de Tokoin, à Lomé, a été créée le 28 décembre 1959. Elle accueille des enfants de 0 à 3 ans de diverses catégories : orphelins de mère, bébés nés de mères malades mentales ou en prison, ainsi que des enfants abandonnés. Ce centre abrite actuellement un effectif de 45 enfants.

Extrait du Rapport d’activité 2019 – 2020

RELECTURE DE LA PANDEMIE DU CORONAVIRUS « La vitalité missionnaire de notre Institut s’enracine dans sa capacité à rester ouvert aux réalités du monde et à sa propre réalité…» (Constitutions des Sœurs de saint François d’Assise, chapitre 5)

Le discernement communautaire était nécessaire face à la crise sanitaire mondiale liée à la COVID19. Bouleversées, notre inquiétude était de savoir comment protéger ces enfants vulnérables dont nous avons la charge ? Quelles dispositions prendre ? La solution adoptée à l’unanimité fut celle de rester confinés dans la clôture de la pouponnière pour la sécurité des enfants et de nous tous. Ne pouvaient adhérer à ce projet que les salariés qui avaient moins de contraintes familiales. Des sœurs des autres communautés de Lomé ont été également sollicitées pour renforcer l’équipe de la Pouponnière. Il fallait repenser l’organisation et le système de rotation dans les services. Ce fut à la fois une expérience difficile mais riche de sens car il fallait tout mettre en œuvre pour favoriser le vivre ensemble dans un esprit d’entraide. Il fallait aussi supporter le travail supplémentaire lié à la prise en charge, à tous les niveaux, des employés en confinement surtout quand intervient la maladie. Ce furent des moments d’intenses angoisses. Ce qui est beau est qu’au-delà de cette situation éprouvante pour tous nous pouvons y lire des impacts positifs à plusieurs niveaux :

• Au niveau spirituel. La prise de conscience de la limite de l’homme. La recherche de Dieu comme seul et unique sauveur. Comme Pierre dans la barque nous avons crié : « Seigneur sauve nous ». Notre impuissance face à la situation nous a conduits à l’abandon total à Dieu, notre unique libérateur. Un soutien mutuel nous invitait à prier ensemble pour une même cause : la délivrance de l’humanité de cette pandémie. Une expérience riche en la Providence divine.

• Au niveau relationnel. Nous avons vécu l’expérience de la dépendance face à l’épreuve. La question « Que faire ? » nous a permis de mieux mesurer le sens de la dépendance qui évoque l’idée du besoin. C’est-à-dire : avoir besoin de… Nous avons eu besoin d’un discernement communautaire afin de parvenir à un choix libre et personnel de participer au confinement strict, avec l’adhésion des employés qui n’avaient pas de contraintes familiales. L’application des mesures barrières et la distanciation sociale édictées par les autorités gouvernementales étaient et demeurent une rude épreuve pour nous tous mais un remède en attendant les dispositions idoines pour lutter contre le coronavirus. Ceci dit, le lavage des mains et le port des masques sont obligatoires à la Pouponnière.

Au niveau matériel et financier. Le soutien, tant moral que matériel et financier, dont nous avons bénéficié, témoigne une fois de plus que la cause des enfants à la Pouponnière préoccupe des âmes sensibles et généreuses. Une générosité qui nous a permis à notre tour, dans l’écoute et le discernement, de soutenir des personnes que la pandémie a privées du minimum vital.

Difficultés : Les difficultés s’expriment en termes d’impossibilités et de contraintes. Il s’agit, entre autres, de la limitation des contacts entre les enfants et les personnes extérieures occasionnant la suspension des visites, des stages et des services de bénévolat. La réduction des activités avec les enfants : les sorties détente par exemple. Comme déjà signalé plus haut, une des grosses difficultés a été le travail supplémentaire lié à la prise en charge du personnel confiné avec les enfants. Ce furent des moments d’angoisse mais aussi de tension qui ont, par moment, troublé l’ambiance de paix du groupe. Le contexte de la crise sanitaire a également affecté l’élan de nos activités, mais l’ensemble des acteurs ont été plutôt déterminés à offrir une prise en charge adéquate aux enfants. Les conséquences imposées par cette situation de crise sanitaire ont bouleversé les stratégies de mobilisation des ressources.

Questionnements : Quelles attitudes adopter face au vaccin contre la COVID19 ? Dans quelles conditions autoriser l’accès des personnes extérieures auprès des enfants avec une garantie de sécurité ?

CONCLUSION : Dans la fidélité à notre Charisme, sœurs de saint François d’Assise, la place des plus vulnérables a été toujours valorisée à travers, à la fois le souci des enfants, mais aussi des familles en général vivant dans des conditions de précarité. (…) Au-delà des difficultés incontournables, il convient de souligner combien ces enfants, dans leur innocence, nous édifient et nous interpellent sur notre perception de la vie. Ils nous apprennent comment apprécier les merveilles de la vie en étant à leur service.

PIE IX, UN PAPE À L’IMAGE DE SON SIÈCLE : ENTRE LIBÉRALISATION ET CONSERVATISME

2. Un Pape secoué par l’aspiration à l’unité de l’Italie.

Le Pape Jean Paul II béatifia le dimanche 3 septembre 2000 Pie IX, qui régna sur l’Église de 1846 à 1878, et Jean XXIII, au court pontificat (1958 à 1963). Cette décision fut amèrement commentée en son temps. Certes, l’inquiétude résidait dans la possible béatification du controversé Pie XII qui avait lui-même canonisé Pie X en 1954. Qui était ce Pape aux deux visages ?

Giovanni Maria Mastai Ferretti naquit en mai 1792 dans les Marches, sur la côte adriatique, dans l’actuelle station balnéaire à la jetée art déco de Senigallia, située à quelques encablures de la ville médiévale d’Ancône. Souffrant de troubles nerveux, il ne put entrer dans la garde noble[1]. Il se consacra dès lors à l’étude de la théologie et fut ordonné en 1819. Entre 1823 et 1825, il séjourna au Chili comme secrétaire du légat apostolique[2]. Il y dirigea un hôpital d’enfants handicapés. En 1827, il devint archevêque de Spolète puis évêque d’Imola et cardinal en 1840. Considéré comme un homme à la charité ardente, sans sympathie politique connue, il fut élu le 16 juin 1846 au trône de Saint-Pierre après un conclave de deux jours face au barnabite[3] Luigi Lambruschini[4] pour succéder au défunt Grégoire XVI. L’Europe était alors agitée par des mouvements nationaux et unitaires. L’élection de Pie IX apparut comme l’espoir des libéraux. Du reste, dès son arrivée au Saint-Siège, il libéra des prisonniers politiques, établit le 14 mars 1848 un système bicaméral pour le vote des lois et de l’impôt dans ses États[5]. Il fit même entrer pour la première fois des laïcs augouvernement des États pontificaux. Les Italiens partisans de l’unité, tel l’abbé piémontais Vincenzo Gioberti voire le révolutionnaire Mazzini espéraient que Pie IX prît la tête d’une Italie confédérée[6]. Toutefois, il refusa d’entrer en guerre contre l’Autriche en avril 1848[7]. Rome tomba aux mains des révolutionnaires et le premier ministre Pellegrino Rossi fut assassiné le 15 novembre 1848. Assiégé dans le Quirinal (alors résidence papale) par le peuple, le Pape, déguisé, s’enfuit le 24 novembre pour se réfugier en la citadelle napolitaine de Gaète au sud de Rome. La Ville éternelle abandonnée, les démocrates mazziniens proclamèrent en février 1849 la fin du pouvoir temporel des papes et la République romaine.
Un défi était lancé à la Papauté, quelle serait la réaction de Pie IX, l’espoir des libéraux ?

ÉRIK LAMBERT.


[1] Unité chargée de la protection du Saint-Père. Elle a disparu en 1970. Ne demeurent que les fameux gardes suisses sollicités par le Pape Jules II en 1505, corps créé officiellement le 22 janvier 1506.
[2] Légat apostolique ou pontifical dans la Rome antique, il s’agissait d’envoyés dans les provinces ou dans une nation étrangère. Le terme vient du latin legare, qui signifie « envoyer avec une mission ». Il est envoyé par le Pape pour une mission ponctuelle d’administration ou de représentation, en général diplomatique.
[3] Membres d’une congrégation religieuse fondée en 1530 à Milan par saint Antoine-Marie Zaccaria (1502-1539), médecin originaire de Crémone devenu prêtre en 1528. Ils s’appelèrent d’abord Clercs réguliers de saint Paul et reçurent le nom de Barnabites peu après leur installation auprès de l’église Saint-Barnabé à Milan (1545). Parmi ses membres, le cardinal Bilio, collaborateur de Pie IX dans la préparation du Syllabus.
[4] Candidat de la faction conservatrice des zelanti. Opposé aux idées libérales, il montra même une inclinaison réactionnaire en fustigeant tout changement s’opposant au développement du chemin de fer dans les États pontificaux et au gaz d’éclairage.
[5] Au VIIIe siècle, le déclin de l’empire byzantin, protecteur traditionnel de la chrétienté, conduit le pape à chercher la protection des Francs et de leurs rois, Pépin le Bref puis Charlemagne. Ceux-ci, en retour, accordent à l’évêque de Rome leur protection, notamment face aux Lombards et aux Byzantins. Ils lui reconnaissent une primauté sur les autres évêques et en particulier le patriarche de Constantinople. Enfin, ils lui concèdent un vaste territoire au cœur de la péninsule italienne pour lui assurer son indépendance face aux principautés environnantes. Grégoire VII (Pape de 1073 à 1085) et ses successeurs luttèrent pour assurer l’autonomie de l’Église catholique face aux interventions des souverains séculiers dans la désignation des évêques et des abbés, autrement dit des chefs des églises locales. Le pape s’affirma dès lors comme chef suprême de la chrétienté occidentale, se présentant comme un souverain spirituel mais aussi séculier, attaché à défendre les États pontificaux et à sanctionner les agissements coupables des souverains, en usant notamment de l’arme la plus dissuasive qui soit, l’excommunication. Depuis les accords du Latran de 1929, le Vatican est le plus petit État du monde d’une superficie de 44 hectares soit à peine la surface du cimetière du Père-Lachaise.
[6] Idée inspirée des Guelfes du Moyen-Âge. La riche Italie est tout au long du Moyen Âge convoitée par les empereurs allemands titulaires du Saint-Empire. Mais leurs prétentions se virent contestées par le pape, principal souverain italien. Aux XIIIe et XIVe siècles, les cités marchandes furent déchirées par les conflits entre les partisans de l’empereur (le parti gibelin ou parte Ghibellina) et ses adversaires, qui eurent généralement l’appui du pape (le parti guelfe ou parte Guelfa). Le conflit fut la transposition de la rivalité entre deux familles allemandes prétendant l’une et l’autre à la couronne impériale : les Guelfes (dont le nom vient d’une seigneurie souabe, Welfen) et les Hohenstaufen, dont les partisans portaient le nom de Gibelins, d’après la seigneurie de Weiblingen, d’où ils étaient issus. Le conflit allemand se solda par le triomphe des seconds en la personne de Frédéric II de Hohenstaufen, après que l’empereur Othon IV de Brunswick, chef des Guelfes, eut été défait par le roi de France Philippe Auguste à Bouvines (1214).
[7] Le Printemps des peuples en 1848 a soulevé l’espoir d’un Risorgimento, d’une renaissance de l’Italie, qui se ferait en expulsant l’Autriche et les souverains inféodés à elle. À Milan les habitants commencèrent à manifester contre la tutelle autrichienne dès le mois de janvier 1848 en s’abstenant de fumer pour ne pas payer la taxe sur le tabac. Les troupes d’occupation se plurent alors à fumer sous leur nez de voluptueux cigares. Le commandant en chef autrichien Radetzki (qui inspira la fameuse Radetzki March de Johann Strauss https://www.facebook.com/watch/?v=10155624205272598 ) fut obligé d’évacuer Milan, possession autrichienne, après la bataille des «Cinq Jours», du 18 au 22 mars 1848. À Venise, autre possession autrichienne, Daniele Manin proclama le 22 mars la République de Saint Marc. Le même jour, le roi de Piémont-Sardaigne, Charles-Albert 1er, se posant en champion de l’unité italienne, entra en guerre contre l’Autriche. Il reçut le concours du grand-duc de Toscane et du roi des Deux-Siciles (Naples), poussés à intervenir par leur bourgeoisie libérale. À Rome, le pape Pie IX fut chassé par les révolutionnaires. L’armée autrichienne étouffa toutefois les différentes révolutions et réussit à maintenir la domination directe ou indirecte des Habsbourg sur des États italiens divisés. Malgré les défaites, l’idéal du Risorgimento progressa, l’opéra et le chemin de fer étant des vecteurs de l’unité italienne sans doute plus efficaces que la barricade.

« Orgueil et humilité »

« Les laïcs franciscains accueilleront, d’un cœur humble et courtois, tout homme comme un don du Seigneur et une image du Christ. » (Projet de Vie 13)

2nde partie : L’humilité selon St François

Un épisode des Fioretti, en apparence anodin, nous en donne une première approche. Le frère Massée, voulant éprouver l’humilité du Saint, l’interroge ainsi : « Pourquoi tout le monde court-il après toi et pourquoi chacun semble-t-il désirer te voir, et t’entendre, et t’obéir ? De corps, tu n’es pas bel homme, tu n’as pas grande science, tu n’es pas noble ; d’où te vient-il donc que tout le monde court après toi ? » Et François de lui répondre : « Dieu n’a pas trouvé sur terre de plus vile créature, il m’a, pour cette raison, choisi pour confondre la noblesse et la grandeur et la force et la beauté et la science du monde, afin que l’on connaisse que toute vertu et tout bien viennent de lui et non de la créature, et que nul ne puisse se glorifier en sa présence, mais que quiconque se glorifie dans le Seigneur, à qui appartient tout honneur et gloire dans l’éternité. » (Fior 10) Ces paroles pourraient s’apparenter à de la fausse humilité, il n’en est rien ; François n’attend aucun démenti, aucune protestation de Massée car il a le sentiment profond de sa pauvreté, de son insignifiance, de sa « petitesse ». Être humble, c’est d’abord pouvoir se placer en vérité sous le regard de Dieu, et non sous le regard des hommes qui n’a jamais la juste mesure. « Heureux le serviteur qui, lorsqu’on le félicite et qu’on l’honore, ne se tient pas pour meilleur que lorsqu’on le traite en homme de rien, simple et méprisable. Car tant vaut l’homme devant Dieu, tant vaut-il en réalité, sans plus. » (Adm 20,1-2) Être humble n’est pas se dévaloriser, se rabaisser, car cela reviendrait à rester centré sur soi-même, or l’humilité a le narcissisme en horreur. Être humble, c’est contempler Dieu pour mettre en lumière, certes, le fossé qui sépare la créature de son Créateur, mais surtout l’amour incommensurable du Père pour celui qu’il a tiré du néant, et c’est pouvoir se réjouir d’un tel amour. L’humilité se vit donc dans la vérité, la sérénité et la joie pour celui, et c’est le cas de François, qui accepte devant Dieu et devant ses frères de s’accueillir tel qu’il est, avec ses grandeurs et ses faiblesses.

L’humilité de François nait de sa contemplation du Christ qui lui découvre l’humilité de Dieu : « le Très-Haut », « le roi tout puissant », le « roi du ciel et de la terre » s’est penché vers nous, s’est courbé bien bas et s’est donné tout entier à nous en prenant chair de notre chair. De l’incarnation à la crucifixion, dans l’Eucharistie comme dans le Lavement des pieds, c’est un Dieu humble et pauvre qui nous est révélé dans le Christ. « Voyez: chaque jour il s’abaisse, exactement comme à l’heure où, quittant son palais royal, il s’est incarné dans le sein de la Vierge; chaque jour c’est lui-même qui vient à nous, et sous les dehors les plus humbles; chaque jour il descend du sein du Père sur l’autel entre les mains du prêtre.» (Adm 2,16-18) C’est dans ce même mouvement d’abaissement que le Christ se met à genou devant ses disciples pour leur laver les pieds. A l’école du Christ, François a compris que l’humilité ne consiste pas à être petit ou à se sentir petit, mais à se faire petit, à se faire le serviteur de tous.

C’est pourquoi il en fait une vertu centrale dans sa vie, comme dans celle de ses frères, appelés chaque jour à faire l’expérience de la minorité et du service. Tout d’abord, s’agissant de leurs relations fraternelles, il les exhorte à ne pas calomnier, ne pas envier les autres, ne pas les jalouser, à éviter les disputes, à accepter les reproches, à se montrer patient, obéissant, compatissant…Mais surtout, il les invite à adopter une attitude de désappropriation : ne rien s’attribuer à soi-même, mais reconnaître que tout vient de Dieu, les biens, les honneurs, les bonnes actions…Il recommande à ses frères « de s’appliquer à l’humilité en tout, de ne pas se glorifier, se réjouir, s’enorgueillir intérieurement des bonnes paroles et bonnes actions, ni même d’aucun bien que Dieu dit, fait ou accomplit parfois en eux ou par eux [ …] Soyons-en fermement convaincus : nous n’avons à nous que les vices et les péchés. » (1 R 17,5-7)

L’humilité qu’il prône rejette toute forme de domination et se refuse à asservir une autre créature, la plus petite soit-elle, au nom d’une fraternité partagée et reçue d’un même Père, Lui, le Très Haut qui se fait, par amour pour nous, le Très Bas. « O humilité sublime, ô humble sublimité ! Le maître de l’univers, Dieu et Fils de Dieu, s’humilie pour notre salut, au point de se cacher sous une petite hostie de pain ! Voyez, frères, l’humilité de Dieu, et faites lui l’hommage de vos cœurs. Humiliez-vous, vous aussi, pour pouvoir être exaltés par lui. Ne gardez pour vous rien de vous, afin que vous reçoive tout entiers Celui qui se donne à vous tout entier.» (Lettre à tout l’Ordre 27-29)

P. Clamens-Zalay