1er mai, Fête du travail ou fête des travailleurs ?

Quelles mutations du travail aujourd’hui ?

Depuis les origines de l’espèce, l’homme a survécu en mettant en œuvre diverses techniques qui lui ont permis de répondre à ses besoins élémentaires : la nourriture, la défense contre les agressions externes, animales ou intempéries climatologiques. Cette réponse à une nécessité vitale a été un travail, à la fois d’intelligence, de créativité, mais aussi de confection, manuelle à l’origine, puis de plus en plus mécanisée au fil des siècles. Les bénédictins en avaient fait dès le 5ème siècle un des piliers de leur vie contemplative et communautaire.

L’homme travaillait pour vivre. J’ai connu des membres de ma famille, qui possédaient toutes ces techniques élémentaires qui leur permettaient de répondre à quasiment tous leurs besoins à partir de l’exploitation de leur petit bout de montagne dans le nord de l’Italie. Ils étaient catholiques, mais la vertu dominante chez eux, c’était le travail et plus précisément le travail manuel. L’Eglise ne s’est pas trompée en faisant de ce premier mai, en 1955, la fête de Saint Joseph travailleur.
Lorsque la terre familiale ne permettait plus de nourrir toutes les bouches, les derniers arrivés prenaient la route pour trouver ailleurs le moyen de subsister. C’est ainsi que mon arrière-grand-père paternel a pris la route vers la France ; il est arrivé à Paris en 1856, âgé de 8 ans. L’hospitalité de ce coté-ci des Alpes, n’était pas meilleure qu’aujourd’hui pour les migrants. Il a néanmoins survécu, fondé une famille malgré les aléas sociaux et politiques qui ont nécessité parfois des allers-retours : commune de Paris, assassinat de Sadi Carnot, première guerre mondiale, entre autres.
Mais, en toutes circonstances, c’est la vertu du travail qui dominait, c’est le premier point que je voulais souligner, car c’est, pour moi, le premier versant de cette fête. Saint François d’Assise a inscrit l’obligation du travail dans les règles de 1221 et 1223, et il la rappelle avec force dans son testament :  » Et je travaillais de mes mains et je veux travailler ; et je veux fermement que tous les autres frères travaillent d’un travail qui relève de l’honnêteté. Que ceux qui ne savent pas apprennent, non pour le cupide désir de recevoir le prix du travail, mais pour l’exemple et pour chasser l’oisiveté. Et quand on ne nous donnerait pas le prix du travail, recourons à la table du Seigneur en demandant l’aumône de porte en porte. »
L’autre versant de cette fête, plus collectif, est la solidarité des travailleurs, qui se manifeste assez tôt dans l’histoire ; elle est évidemment plus forte chez les travailleurs que la nature de leur travail oblige à unir leurs forces, on peut penser aux bâtisseurs de cathédrales. Le syndicalisme s’inscrit dans la lignée des groupements corporatifs (métiers, compagnonnage…) des sociétés modernes et médiévales. Ces groupements sont interdits par la loi Le Chapelier de 1791 et subissent une répression opiniâtre lors de la première révolution industrielle. La révolution française avait déjà institué une fête du travail, que Fabre d’Eglantine dés 1793, proposait dans son calendrier républicain. Cette journée des travailleurs fut instituée le 20 janvier par Saint Just, et fut célébrée pendant quelques années. Les syndicats ne sont cependant légalisés qu’en 1884 avec la loi Waldeck-Rousseau, qui comporte encore plusieurs restrictions. En particulier, le syndicalisme fut interdit dans la fonction publique. En 1867, au Familistère Gaudin, nait une fête du travail, fixée au 5 juin, qui est encore célébrée aujourd’hui. Le 1er mai est la journée internationale des travailleurs dans de nombreux pays, qui commémore les luttes pour la journée de huit heures.
Dans l’histoire récente le massacre de Haymarket Square, à Chicago, constitue le point culminant de cette journée de lutte, et un élément majeur de l’histoire de la fête des travailleurs du 1er mai.
• 1886 : à l’appel de l’American Fédération of Labor, 350 000 travailleurs débrayent aux États-Unis pour réclamer la journée de travail de huit heures. Le massacre de Chicago constitue le point culminant de cette journée de lutte et un élément majeur de l’histoire de la fête des travailleurs du 1er mai.
• 1889 : première journée internationale de revendication des travailleurs, instituée par la deuxième Internationale ouvrière, qui a donc adopté le 1er mai comme jour de revendication.
• 1891 : en France, fusillade de Fourmies. À Fourmies (Nord), lors de la première célébration française et internationale de la journée d’action du 1er mai, la troupe tire sur les grévistes faisant dix morts (hommes et femmes âgés de 11 à 30 ans) et trente-cinq blessés.
La révolution industrielle du 19ème siècle a accéléré le mouvement de résistance des travailleurs aux exigences du capitalisme naissant, et a favorisé, dans le même mouvement, la naissance de syndicats qui se démarquent du corporatisme médiéval pour créer les confédérations que nous connaissons aujourd’hui, lesquelles regroupent des travailleurs de tous métiers, nationalités, âges, cultures, religions et opinions, même si demeurent chez certains des relents de corporatisme (on l’a vu à la SNCF par exemple au moment du débat sur la réforme des retraites). Bien qu’elles n’échappent pas au clivages politiques et, souvent hélas, aux envies de domination, ces confédérations défendent utilement les droits des travailleurs.
Ce que je trouve intéressant dans ce versant collectif de la fête, c’est la solidarité qu’elle manifeste, non seulement entre les métiers au plan national, mais aussi entre syndicats au niveau international. On peut souhaiter que les manifestations du 1er mai en ce temps de pandémie soient unitaires et répondent au grand défit du moment : comment redonner du travail, au sens d’une occupation qui soit utile au corps social et qui permette à chacun de vivre dignement, à tous ceux qui l’ont perdu ou qui n’en ont jamais eu ?
Car c’est « Du jamais vu dans l’histoire. » Recensant l’impact sur l’emploi de la crise sanitaire, l’Organisation internationale du travail (OIT) tirait en janvier 2021 la sonnette d’alarme. La baisse du nombre d’heures de travail l’année dernière s’est traduite au niveau mondial par la destruction de 114 millions d’emplois, dont les femmes et les jeunes travailleurs ont été les premières victimes. Le nombre de chômeurs a fait un bond considérable – 33 millions de personnes ont glissé vers le chômage – mais, plus préoccupant encore, 81 millions d’individus sont passés de l’emploi à l’inactivité. De quoi augmenter le taux de pauvreté, dans un contexte où les revenus liés au travail ont baissé globalement de 3 700 milliards de dollars. Bien sûr, tous les pays et tous les secteurs ne sont pas dans cette situation. Mais, partout sur la planète, Covid-19 est synonyme de tremblement de terre…
Certains attendent le retour de la croissance du PIB comme la solution à tous nos problèmes ; d’autres, comme Gaël Giraud, espèrent, je devrais dire prient, pour sa suppression et le remplacement du système économique néolibéral hors-sol actuel, qui est une course sans fin au toujours plus pour le profit de quelques uns, par un système qui permette une croissance douce et équitablement profitable à tous, salariés ou investisseurs, et donc avec de nouveaux indicateurs.
Mais cela ne saurait suffire ; il faudrait dans le même temps mettre en œuvre un programme d’instruction publique vraiment universel qui donne aux enfants du monde les savoirs élémentaires en fin de primaire. Et, toujours dans le même temps, combattre vigoureusement le dérèglement climatique et arrêter la fonte des glaciers.
Cela ne semble possible, que si des régimes réellement démocratiques sont instaurés partout, et que les habitants de la planète acceptent la frugalité comme règle de vie, comme le Pape François les y invite.
Même si l’humanité, par miracle, se mettait d’accord dés demain sur ce programme, y aurait-il pour autant du travail pour tous ? Il faudrait encore que tous ceux qui sont en capacité de travailler acceptent de s’adapter à de nouveaux métiers, dont certains n’existent pas encore, et de les pratiquer dans un esprit de service rendu à la collectivité.
Tout cela semble impossible ; le prix à payer de cette crise sera, quoi qu’on fasse, très lourd et les conséquences désastreuses pour beaucoup de pays. Et dans chaque pays, il y a des peuples qui souffrent.
Certes, mais l’Espérance du temps pascal nous porte à l’optimisme ; de toute crise peut naître du neuf. On donne souvent comme exemple de réalisation qui semblait impossible, la mise en route de la communauté européenne au lendemain de la seconde guerre mondiale ; or des nations qui se sont combattues à trois reprises en moins d’un siècle sont entrées dans un cercle vertueux de paix et d’alliance.
Justement, ici ou là, des gestes de solidarité apparaissent au niveau international. Prions pour qu’ils soient exempts de toute arrière-pensée d’hégémonie financière ou politique et, répondant à l’invitation du Pape François dans sa lettre encyclique Fratelli Tutti, soyons les bons samaritains qui prennent soin de ce monde en souffrance.

Jean-Pierre Rossi

L’Avenir est devant

Je pensais que tout serait aisé. Certes, on m’avait dit que ce ne serait pas simple. Mais avec sans doute une dose d’arrogance, j’avais ignoré les avertissements ! Pourtant, l’accélération fut plus rude que je ne l’avais envisagée. Une nouvelle étape de la vie s’est rondement engagée, l’ultime… Quitter une maison dans laquelle nous vécûmes une trentaine d’années, s’évader furtivement d’un établissement qui assurait une reconnaissance sociale. Quelques signatures, des bribes de discours, une décoration ; un chemin de vie familier et gratifiant de plus de quarante années qui s’achevait soudainement. Une vie passée si rapidement à occuper heures et minutes dans un tourbillon incessant en aspirant à …la retraite. Elle est là, le départ dans une ambiance confinée presque en catimini… L’étrange sentiment que subitement quelque chose vient de s’éteindre. Peut-être ce manque d’humilité qui laissait penser dans un coin de l’esprit que j’étais utile ? Puis, subitement l’impression de disparaître des radars de la société. La configuration est déconcertante. Une once de découragement qui sourd, clandestinement, insidieusement. Je suis un peu comme ces deux disciples dont Luc nous conte l’aventure. Tels Cléophas et son ami qui avaient investi temps, espoir en Jésus désormais crucifié ; c’est aussi un peu la fin de mon histoire. Où est Jésus qui fit route avec les désespérés ? Suis-je aussi aveugle, incapable de l’identifier dans ma vie, dans mes soucis ? Suis-je aveugle comme le furent les pèlerins d’Emmaüs ? L’aveuglement sans cécité ? Mon esprit est-il disponible pour l’accueillir ? Les doutes nés de cette nouvelle étape m’aveuglent-ils ? Jésus suit discrètement mon chemin, apparaît mais je ne le vois pas. Il est pourtant là dans ma détresse, mes doutes, ma faiblesse mais aussi dans mes joies comme il le fut aux Noces de Cana. À moi de le trouver dans les douceurs du quotidien ; dans le prochain mariage de notre fils Arthur et de l’enfant qui naîtra peut-être demain. À moi de me laisser surprendre dans le regard de mon épouse toujours là après plus de trente ans. Les deux hommes d’Emmaüs n’avaient pas l’esprit disponible, ils n’avaient que le désespoir de la perte de Jésus en tête. Ne suis-je pas l’un d’eux, ébranlé par ma nouvelle situation ? Peut-être suis-je celui que Luc ne nomme pas ?
Saurais-je le retenir quand il me fera signe comme le firent les deux disciples ? Serais-je moi aussi disciple ? Le verrai-je comme eux le firent lorsqu’il fractionna le pain ? Ce geste de la convivialité, ce geste qui plonge aussi dans notre intimité, ce geste qui est celui de l’Eucharistie. Saurais-je y puiser l’espérance ?
Lorsque Le Caravage peint l’épisode d’Emmaüs, il dévoile un Christ ni jeune, ni vieux et si humain qui surprend. Saurais-je me laisser surprendre ?
Le chemin qu’indique Jésus aux disciples est celui de l’espérance. À moi de l’emprunter avec confiance, à moi d’oublier les désagréments d’un corps parfois frondeur, à moi de ne pas m’apitoyer sur d’insignifiants tracas, de repousser les bouffées de nostalgie. En suivant les pas du Pape François, reconnaître dans l’épisode des pèlerins d’Emmaüs la « thérapie de l’Espérance ».

Jésus m’accompagne sur cette ultime saison de mon existence, celle où je dois chercher Dieu, saisir les instants d’amitié, partager et écouter avec bienveillance. Le mystère nourrit le doute et comme pour Pierre, comme pour les deux pèlerins, la Foi parfois s’éloigne. Profiter du temps qui s’offre à moi dans cette quête. Jésus n’a pas abandonné Cléophas et son ami; tout n’était pas fini !
L’avenir est devant, Jésus fait route avec moi, il s’invite à nouveau à la table de ma vie, il continue à me suivre ; à moi de la reconnaître lorsqu’il se manifeste. Le regard de la Foi qu’évoque Jean (14-19) pourra seul me permettre de relever ce défi.


Érik LAMBERT

Elpdius MarkötTer

Elpidius Markötter (1911 – 1942)

Le 30 janvier 1933, Adolf Hitler devenait chancelier allemand. Si nombre de citoyens adhéraient aux idées, voire aux mesures adoptées par les dirigeants de l’Allemagne « millénaire » ; pour certains Allemands, cet événement fut le début de la nuit[1] et d’un engagement pour la défense d’une certaine idée de l’humanité.
La résistance était très difficile à mener dans un pays totalitaire qui pratiquait une répression impitoyable. Les communistes organisèrent un réseau de renseignement appelé « L’orchestre rouge »[2]. Les protestants de Martin Niemöller ou de Dietrich Bonhoeffer et les jeunes de « La Rose Blanche » prirent l’initiative de résister. De tels actes conduisaient à la mort des traîtres, à la hache, souvent dans les locaux de la prison de Plötzensee[3].   

Les catholiques ne furent pas en reste. Si le Saint-Siège signa un concordat le 20 juillet 1933, le Pape Pie XI affirma son opposition à l’idéologie nazie. L’Encyclique Mit Brennender Sorge, volontairement rédigée en allemand en mars 1937, lue en chaire dans toutes les églises d’Allemagne à la faveur du dimanche des Rameaux, manifesta l’opposition pontificale aux doctrines nazies. Les conséquences furent immédiates : la déportation de plus de 300 prêtres à Dachau. Le 13 avril 1938, le Syllabus[4] contre le racisme fut diffusé auprès des établissements catholiques du monde entier.

Parmi tous ceux qui se levèrent pour des raisons philosophiques ou religieuses, se trouvait Josef Markötter. Il était le fils d’un commis de poste Hermann Markötter, et de son épouse Elisabeth. Il suivit un cursus primaire à l’école de Südlohn puis, en 1925, fréquenta l’école du recteur de la petite ville de Rhénanie-du-Nord-Westphalie[5], Stadtlohn. De 1926 à 1932, il entreprit des études secondaires au St. Ludwig Franciscan College de Vlodrop, aux Pays-Bas, tenu par des franciscains allemands[6]. Le 14 avril 1932, il entra au noviciat de la Province franciscaine saxonne à Warendorf et prit le nom religieux d’Elpidius. Il étudia la philosophie et la théologie à Dorsten et Paderborn. Il prononça des vœux solennels le 23 avril 1936 et fut ordonné prêtre le 27 mars 1939 à Paderborn[7], là où il avait suivi des études de philosophie et de théologie. À Pâques 1939, il prit un poste d’enseignant au collège des missions de la province de l’ordre du sud du Brésil au couvent de Garnstock près d’Eupen, en Belgique. Il y fit un discours « Sendung der Liebe »[8] qui marqua les esprits des jeunes missionnaires. Il participa à un ouvrage fort de quatre volumes, Die Ostkirche betet[9] dirigé par le père franciscain martyr Kilian Kirchhoff. Cette contribution illustra ses aptitudes intellectuelles ; il s’agissait en effet de traduire du grec en allemand des hymnes des Églises orientales transmis par un moine russe du mont Athos, Vassili Kriwoszein.

Les franciscains rejetèrent pour la plupart le nouvel Zeitgeist[10] qui animait la « révolution nationale-socialiste ». Le nouveau régime athée s’attaquait volontiers à cette « superstition nuisible » même si dans ses bouffées délirantes Hitler considérait Jésus comme le précurseur du « combattant aryen » luttant contre « le pouvoir et les prétentions des pharisiens corrompus » et le « matérialisme juif ». Le régime s’attaqua aux couvents surveillant les pèlerinages et les retraites tout comme les activités des franciscains. Ainsi, le collège de St. Ludwig (Vlodrop) perdit le droit de préparer à l’Abitur[11] en 1938 ; il fut fermé en 1940. Les élèves du secondaire durent intégrer des lycées publics, où ils furent rétrogradés d’une classe. Un collège ouvert à Warendorf en 1932 dut également fermer en 1939. Parfois, les franciscains s’abstinrent de porter l’habit à l’extérieur du couvent tant ils étaient exposés à l’hostilité dans la rue, sensible à la propagande nazie. Même si, parfois, certains parmi les franciscains, considérèrent la discipline et l’ordre exigés par l’armée comme bénéfiques pour les jeunes religieux, les autorités poursuivirent une politique menaçante vis-à-vis des frères.

Ainsi, durant la guerre, les locaux de plusieurs couvents furent confisqués par la Wehrmacht ou la Gestapo et utilisés pour des activités médicales ou militaires. L’admission des novices fut interdite à partir de 1940, nombre d’écoles furent fermées, les pèlerinages interdits dès 1941.

Dans ce contexte, Elpidius Markötter, rétif au national-socialisme, fut conforté dans son rejet de l’idéologie nazie lorsque la Pologne fut envahie en septembre 1939. Le Garnstocker Kolleg souffrit de l’absence d’étudiants en nombre suffisant et Elpidius fut envoyé à Warendorf[12], d’abord comme sous-maître des novices, puis comme prêtre en paroisse. Lors de cette période, il assista aux exactions dont furent victimes les juifs et à la violence de l’occupation.

Le 26 mai 1940, Markötter prononça un sermon dans lequel il affirmait la primauté de la fraternité quelle que fut l’origine des hommes. Le texte circula et le 4 juin 1940, il fut arrêté par la Gestapo pour avoir contrevenu à la loi. Il fut transféré dans une prison de Münster. Lors de son procès qui se tint à Dortmund, le 1er novembre 1940 Markötter argua de sa foi chrétienne pour justifier les propos tenus à la faveur de son sermon. Pour le droit de l’occupant, il avait violé la loi en évoquant la question juive. En janvier 1941, après avoir subi des sévices, il fut déporté vers le camp de concentration de Sachsenhausen[1]. Sans parvenir à célébrer, il rédigea en latin, avec d’autres prêtres détenus, les textes de messe afin que tous puissent prier. Le 26 septembre 1941, Markötter fut transféré comme d’autres prêtres à Dachau au bloc 26 réservé aux religieux catholiques[2]. Affaibli par les conditions épouvantables de survie, il tomba malade au printemps 1942 et mourut dans les bras d’un franciscain hollandais.

Nombreux furent les martyrs franciscains, résolus à combattre au nom de la foi l’idéologie païenne mortifère des bourreaux nazis. Elpidius Markötter fut l’un d’eux, L’urne contenant ses cendres fut déposée à Warendorf.

Érik LAMBERT


[1] Cf.E. Wiesel, La Nuit, Éditions de minuit.

[2] Die Rote Kapelle, organisé par Leopold Trepper popularisé -à tort ? – par Gilles Perrault, dans son livre, L’Orchestre rouge et par le film de Jacques Rouffio. Le sacrifice de Libertas Schulze-Boysen et de son mari le 19 décembre 1942 mérite toute notre attention.

[3] Justizvollzugsanstalt à Berlin, „tribunal du peuple“ ou sévit le sinistre Roland Freisler. https://www.gdw-berlin.de/fileadmin/bilder/publikationen/gedenkstaette_ploetzensee/franzoesisch-screen.pdf

[4] Du grec, comprendre, résumer, avec, et prendre. En latin : sommaire, liste. Recueil des questions tranchées par le pouvoir ecclésiastique.

[5] Ouest de l’Allemagne. La capitale de ce Land est Düsseldorf et la ville la plus peuplée est Cologne.

[6] Province du Limboug, Sud-Est des Pays-Bas où se trouve Maastricht. Vlodrop est un petit village où se trouvait un monastère franciscain.

[7] Demeure une communauté franciscaine. La ville est située dans le même Land que Südlohn.

[8] On pourrait traduire par « mission d’Amour » ou « mission de charité »

[9] L’Église d’Orient prie.

[10] Der Zeitgeist, « l’air du temps »

[11] Das Abitur, équivalent allemand du BAC.

[12] https://www.klosterlandschaft-westfalen.de/de/kloster/ehemaliges-franziskanerkloster-warendorf_warendorf/ Le couvent franciscain de Wiedenbrück (Franziskanerkloster Wiedenbrück) est un couvent franciscain situé en Wesphalie orientale. Un site se trouve aussi à proximité, à Wrendorf.

[13] Cinq camps furent construits dans les années 1930. Le premier de ces Konzentrazionslager ou KZ fut Dachau, près de Munich. Ouvert après l’l’incendie du Reichstag, il était destiné aux opposants politiques. Vinrent ensuite Orianienburg-Sachsenhausen (Près de Berlin), Buchenwald, Flossenbürg, Ravensbrück (réservé aux femmes) et Mauthausen, en Autriche. En 1939, l’ensemble de ces camps comptait 25 000 détenus, essentiellement des opposants politiques.

[14] J.Bernard, Bloc des prêtres 25487 – Dachau 1941-1942 ou G.Zeller, La Barraque des prêtres, 1938-1941.

ENSEIGNANT BENEVOLE

Après avoir suivi une carrière de 36 ans comme enseignant en France et avoir exercé comme chercheur et professeur en Colombie, me voici comme professeur bénévole retraité dans une association de promotion par la culture, chez les adultes. Cette nouvelle expérience est complétée par des cours de soutien à des adolescents malades, hospitalisés et à la scolarité chaotique.

Cette nouvelle façon d’enseigner à l’hôpital ou à des adultes, a changé la pédagogie pour laquelle j’avais été formé depuis mon adolescence, et m’a enrichi de façon extraordinaire. Elle m’a permis de concevoir le service sous un angle différent. En effet, très jeune déjà, j’ai su que ma vocation était de me consacrer à la transmission et au partage de mes acquis avec les autres. Cela a commencé par une courte expérience avec les « gamines » (nom donné aux enfants qui sont abandonnés et qui traînent dans les rues de Bogotá), reçus dans un centre social des Salésiens à la campagne. Chaque enfant retrouvait, grâce aux soins donnés à l’animal dont il était responsable, sa motivation pour grandir en dehors de la violence. Là, j’ai compris ce que signifiait le manque de tendresse et d’affection chez un enfant et comment on pouvait réussir à redonner confiance à un être que l’on croyait perdu à jamais.

Cette première expérience a été poursuivie quelques années plus tard, dans le cadre du service civil obligatoire, à la fin des études secondaires. J’avais choisi l’école du soir qui était fréquentée par des adultes qui avaient le double de mon âge, ou par des adolescents sans aucune formation de base, ignorant les rudiments de l’écriture et de la lecture.

En réalité, ce sont surtout ces deux expériences de base, qui ont fait surface dans mon engagement franciscain d’aujourd’hui. Cet engagement coïncide avec le temps de la retraite et c’est une réponse à la recherche d’une spiritualité.

A la lumière de François, j’ai bien compris que mon engagement auprès des jeunes et des adultes, était un service, un service qui n’est pas à sens unique ; je donne, je me donne, mais en retour je reçois beaucoup. Le fait de voir le sourire d’une jeune élève à l’hôpital, qui vous remercie d’avoir pu assister au cours, alors qu’elle vient de faire une tentative de suicide pendant le week-end, donne du baume au cœur et envie de continuer. Le fait de savoir qu’un jeune garçon a eu son bac après plusieurs tentatives infructueuses et malgré une ambiance familiale catastrophique, vous dynamise.

Avec la sensibilité franciscaine, je fais plus attention au regard porté sur les jeunes qui me sont confiés, en les considérant comme personnes à part entière : eux, qui ont été estropiés par la vie, qui ont peur d’aller à l’école, qui sont victimes d’un camarade ou d’une classe, d’inceste ou de violence, sont aussi des enfants aimés de Dieu : ils méritent un enseignement de qualité. J’étais habitué à des élèves qui faisaient des cours supplémentaires pour être les mieux classés dans les concours, je travaillais dans une ambiance très porteuse avec des élèves motivés ; à l’hôpital je fais l’expérience franciscaine de me dépouiller de tous ces acquis, pour me rendre disponible à une nouvelle misère humaine.

Le temps de pandémie que nous traversons est venu interrompre en partie, ce type de relation humaine et d’écoute privilégié. Comme dans tous les établissements, quelques élèves suivent des cours par internet, quand cela est possible, et d’autres peuvent aller à l’hôpital pour suivre quelques enseignements en présentiel. Dans ces conditions, le nombre d’élèves recevant un enseignement a diminué.

Ainsi, j’ai pu préparer deux élèves aux épreuves d’espagnol du baccalauréat grâce aux visioconférences, mais j’ai constaté que cela demandait un effort de concentration très important, chez les élèves qui parfois suivaient de traitements médicamenteux assez lourds et avaient tendance à décrocher. Mon rôle était alors d’accompagner le jeune sans chercher la performance intellectuelle. Au fond, ce qui nous est demandé c’est de redonner confiance, le goût de l’école et de la vie à ceux qui l’ont perdu. Ces valeurs ne sont-elles pas à pratiquer lorsque nous nous engageons à la suite de François ?

  Jesus

Parole et silence

Lorsque vous demandez à un avocat de vous défendre, c’est pour fonder une réputation ou les choix personnels ou publics mis en cause. Et nous voyons combien le rôle de l’avocat est important dans de nombreuses situations actuelles. L’enjeu, c’est de faire apparaitre la vérité dans une relation exprimée. Il faut associer à la parole le silence imposé ou subi, le pouvoir d’agir ou la faiblesse de celui qui accepte la parole ou l’action engagées. Toute notre vie est qualifiée par la relation vraie ou inexacte. Si la parole vraie n’est pas à la base de tout, nous vivons dans le flou, sinon dans le mensonge, et elle ne favorise pas la paix mais le conflit permanent. Certaines personnes assument un service précis dans la société pour faciliter cette communication. Dans divers domaines, ce service de la parole est précieux et indispensable pour aboutir à une vie vraie.

Nous pourrions faire l’inventaire de ces lieux producteurs de projets et de progrès. Des jeunes, des séniors, des architectes, des politiques, des éducateurs, des orthophonistes, des enseignants ont à cœur de faire émerger une pensée, pour eux-mêmes d’abord, puis pour la vie collective. Révéler, faire naître, disent les effets premiers de cette parole exprimée, puis engagée, par des êtres qui grandissent grâce à la force de la Parole. Ce souffle peut sembler du vent, mais c’est une force créative. La Bible, dès les origines, montre l’efficacité de la Parole : « Dieu dit, il créa le ciel et la terre, et ce qu’il dit exista »…

Au fur et à mesure, l’humanité, dans sa double expression féminine-masculine découvre que son Esprit est de même nature que Dieu, et elle en saisit, peu à peu la portée et le sens. Dans un lent développement, à travers l’histoire, les humains ressentent le goût de l’amour, et dans ce filet porteur qui se tisse et englobe tout, ils apprennent à dire : Merci et Pardon, je t’aime ou aide-moi à vivre de ton Esprit. Peu à peu l’humanité découvre de quelle nature elle est, et le pouvoir qui est le sien. Auteur de Bien, par sa source et son aboutissement, l’humanité est aussi auteur de mal, et fauteur de trouble. Sa vie est double et sa parole le devient aussi. C’est ainsi qu’en notre temps, dans le monde où nous vivons, la Parole peut féconder et annoncer un monde meilleur ou installer un chaos malheureux.

Dans les drames dont nous sommes témoins — et les exemples sont nombreux dans tous les domaines — il est possible de convertir ou de pervertir la vie pour le meilleur et pour le pire. Selon la situation, la Parole, traitée en vérité, devient lumière. C’est possible à partir du courage et de l’audace mis en œuvre et en mots pour lutter contre le mal. Mais elle peut être aussi source de peurs qui paralysent la vie. Les enjeux sont immenses. « Celui qui fait la Vérité vient à la lumière » et il met un peu plus de lumière autour de lui. Dieu est au bout du chemin. Ce n’est évident pour personne. C’est difficile à saisir mais des hommes et des femmes y ont pourtant laissé leur vie. Oui, on peut mourir pour avoir proclamé la Vérité. C’est d’ailleurs ce que nous avons évoqué récemment, lors de l’expérience pascale de Jésus. Pour nous, jour après jour, nous menons un combat spirituel, facilité par la communauté et soutenu par ceux qui ont conscience du risque et de la valeur spirituelle de la parole. Elle est propre à Dieu et aboutit en la Personne de Jésus qui mène à la lumière.

  Fr Thierry

ST JEAN CHAPITRE 12 LA RECONNAISSANCE SUSPENDUE (suite)

L’entrée de Jésus à Jérusalem 12, 12-19

Jean a modifié radicalement la tradition synoptique. Dans celle-ci, Jésus « monte » depuis la Galilée. Chez Jean, ce récit succède à l’onction de Béthanie. Chez les synoptiques, Jésus prépare l’événement : il envoie deux disciples pour lui amener un ânon, qu’ils trouveront selon ses indications et il avance sur cette monture en Messie de paix. Chez Jean, la foule, ayant appris que Jésus s’approche de Jérusalem, va à sa rencontre en l’acclamant et c’est alors seulement que Jésus monte sur un ânon qu’il a trouvé. Aucun parcours triomphal n’est décrit : l’évangéliste cite l’Ecriture.

Le récit obéit à une logique particulière : on décrit et ensuite on explique.

Description v. 12-13 : la foule sort à la rencontre de Jésus
v. 14 : Jésus s’assied sur un ânon
Explication v. 15 : citation de l’Ecriture
v. 16 : l’incompréhension des disciples
v. 17-18 : le motif du mouvement de la foule
v. 19 : la réaction des pharisiens.

Jésus vient de Béthanie, encore pénétré du parfum dont Marie l’a oint et de la pensée de sa mort prochaine. Il va à Jérusalem, pas en prince, sans nul souci de se faire acclamer, mais comme celui qui mène à terme le projet annoncé en 11, 7 : « Allons en Judée », là où sa mission doit s’achever. La foule l’attend avec des palmes, symbole de victoire. En Jésus, la foule voit celui que Dieu a envoyé pour délivrer Israël de son humiliation, le Messie attendu. Pour exprimer sa joie, elle entonne le ‘Hosanna’ qui accompagnait les pèlerins se rendant au Temple pour la fête des Tentes ou pour la Pâque. Ce psaume 118 célèbre la fidélité de Dieu : le psalmiste, qui parle au nom du peuple, est assiégé par « toutes les nations » et il sort victorieux de son épreuve.
En utilisant le verset 26 « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur », Jean reprend deux thèmes de son œuvre : « Celui qui vient » : 1, 15.27 ; 3, 31 ; 6, 14 ; 11, 27 ; « au nom du Père » : 5, 43 ; 10, 25 ; 17, 11.12.
Mais la foule ajoute : « le roi d’Israël ». Si Jésus accepte ce titre venant de la bouche de Nathanaël en 1, 49, ici, il le refuse à cause de son ambiguïté liée à l’aspect politique de ce titre. Ce refus, Jésus le signifie par une action symbolique, celle de s’asseoir sur un ânon (pas sur un cheval), tout en donnant le vrai sens de sa royauté.

L’évangéliste cite le prophète Zacharie, mais en changeant la première partie du verset :

Jean => Sois sans crainte, fille de Sion
Zacharie => Réjouis-toi, fille de Sion

Ce « sois sans crainte » est emprunté à Sophonie 3, 14 et qui évoque la présence en Israël de Dieu, berger de son peuple. Une manière de dire que Jésus, le roi d’Israël, est aussi présence du Père au monde.

  Fr Joseph

Prière d’avril

Juillet 1942,
Ce sont des temps d’effroi, mon Dieu. Cette nuit pour la première fois, je suis restée éveillée dans le noir, les yeux brûlants, des images de souffrance humaine défilant sans arrêt devant moi. Je vais te promettre une chose, mon Dieu, oh, une broutille : je me garderai de suspendre au jour présent, comme autant de poids, les angoisses que m’inspire l’avenir ; mais cela demande un certain entraînement. Pour l’instant, à chaque jour suffit sa peine.
Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance. Une chose cependant m’apparaît de plus en plus claire : ce n’est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t’aider – et ce faisant nous nous aidons nous-mêmes. C’est tout ce qu’il nous est possible de sauver en cette époque et c’est aussi la seule chose qui compte : un peu de toi en nous, mon Dieu. Peut-être pourrons-nous aussi contribuer à te mettre au jour dans les cœurs martyrisés des autres.
Oui, mon Dieu, tu sembles assez peu capable de modifier une situation finalement indissociable de cette vie. Je ne t’en demande pas compte, c’est à toi au contraire de nous appeler à rendre des comptes, un jour. Il m’apparaît de plus en plus clairement à chaque pulsation de mon cœur que tu ne peux pas nous aider, mais que c’est à nous de t’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui t’abrite en nous.

Extrait de Etty Hillesum, Une vie bouleversée, journal. Points Seuil.

Un Livre

Ton prochain
Luigi Santucci

Ton Prochain. Luigi Santucci. Éditions conférence.
176 pages. 19 €.
En librairie ou sur le site de l’éditeur : C’est ici
Livraison gratuite.

En quatorze brefs chapitres de son petit (mais grand) livre de 152 pages, Luigi Santucci explore l’essentiel des domaines de relation où s’exprime la magnifique intention de l’amour du prochain. Elle se heurte trop souvent, dans son application active et concrète, à l’échec, imputé le plus fréquemment à l’autre, au prochain, justement. Mais que la rencontre soit fortuite, désirée, obligée par les circonstances ou les liens du sang, l’amour du prochain fait naître le bonheur de toute relation, à condition de ne pas s’en tenir à l’intention, d’accepter et d’assumer la rencontre sans réserves.

Attirant ou repoussant, ou les deux à la fois dans les paradoxes de l’âme humaine, le prochain n’est pas celui qui est proche, au sens de voisin, mais celui qui est autre, une part autre de notre humanité commune. C’est cette humanité toujours complexe que le prochain manifeste devant nous, dans laquelle Luigi Santucci nous invite à voir la nudité de l’enfant qu’il fut ou du vieillard qu’il sera, tout comme nous l’avons été, le sommes et le serons. Sa méditation est guidée par sa foi d’où il observe les occasions d’une générosité non pas recherchée, mais vécue authentiquement, autrement dit spontanément, sans calcul, tout entière dédiée à l’autre tel qu’il se présente, quel qu’il soit, au-delà de toute reconnaissance attendue. À l’instar du Samaritain, pourtant méprisé, qui ouvre un crédit illimité à l’auberge pour celui qu’il a sauvé et soigné, afin que son secours se prolonge au-delà de sa présence.

Ces quatorze chapitres délicieux de lucidité, de sincérité, de tendresse et d’humour, sont autant d’« exhortations chrétiennes », selon les termes de l’auteur qui les entoure de guillemets souriants. Parce qu’il il ne s’agit nullement de leçons de morale, même s’il fait indubitablement œuvre de moraliste (un mot qui fâche de nos jours) : il ne s’agit pas ici d’édicter des préceptes de bonne conduite, mais de prendre conscience que la sainteté, « (…) si elle signifie essentielle-ment amour et identification à Dieu, prend forme concrète, tangible, (…) dans un souci constant et actif du prochain ». L’auteur nous y invite par l’exemple. Pas le sien, bien sûr, car il s’avoue sou-vent dépassé, comme nous tous, par sa faiblesse et sa mesquinerie propres. Il nous entraîne en douceur dans sa méditation aimante, illustrée par une culture profonde, au détour d’anecdotes amusantes, émouvantes, qui comportent leur édification sans besoin de longues analyses.

Le livre se referme sur deux autres textes brefs. Le premier, Fragments d’un autoportrait, est une transcription d’un message que Luigi Santucci enregistra pour ses enfants peu avant de mourir, ode passionnément sereine à la vie et à l’amour qui sont finalement proches d’être la même chose. Et une Postface de Christophe Carraud, traducteur et éditeur du texte. Il nous fait mieux connaître l’auteur, nous documente et nous éclaire sur la signification du terme « prochain ». Il nous alerte aussi sur le peu de place que notre société française, du fait d’un certain chauvinisme culturel et d’un mépris pour la pensée chrétienne, accorde aux grands auteurs italiens contemporains comme Luigi Santucci. Ainsi, Ton Prochain est son premier livre traduit en français. Vivement… le prochain !

Jean CHAVOT

Dieu est-il pour nous « le Consolateur » ? 2nde partie

Après avoir abordé la notion de « consolation » dans les textes bibliques, il s’agit, dans cette seconde partie, d’en découvrir le sens dans la spiritualité ignatienne car elle en est l’un des fondements. Une autre vision de la consolation, pour éclairer notre foi…
Ignace disait, à la fin de sa vie, qu’il ne pouvait vivre «sans consolation, c’est-à-dire sans éprouver en son âme quelque chose qui ne venait et ne pouvait venir de lui-même, mais avait sa source en Dieu seul».
C’est durant sa jeunesse (dont certains épisodes ne sont pas sans rappeler ceux de la vie du jeune François d’Assise) qu’il va faire cette expérience. Blessé en défendant la citadelle de Pampelune assiégée par les Français, il passe sa convalescence dans le château familial. Sans projet, sans envie, il trompe son ennui dans des lectures, non pas des romans de chevalerie qu’il affectionne tant, mais des ouvrages pieux, les seuls disponibles en ce lieu. Il se rêve alors réalisant, tantôt les exploits d’un chevalier au service d’une grande dame, tantôt les miracles et les hauts faits d’un nouveau saint, à l’image de Saint François et de Saint Dominique. Peu à peu, il comprend que si ses rêves de grandeur en ce monde l’enthousiasment sur le moment, ils le laissent ensuite « sec et mécontent. Mais quand il pensait aller nu-pieds à Jérusalem […], non seulement il était consolé quand il se trouvait dans de telles pensées, mais encore, après les avoir laissées, il restait content et allègre. » (Ignace de Loyola, Récit) Il prend conscience que la vraie consolation, celle qui vient de Dieu, procure une joie et une quiétude que rien ne peut éteindre, contrairement aux fausses consolations. Ainsi, s’opère en lui une conversion qui n’échappe pas à son entourage et qui le conduit à suivre le dessein de Dieu.
Pour Ignace, la consolation n’est donc pas simplement le baume que Dieu vient apposer sur nos souffrances pour nous permettre de les dépasser. Il expérimente la consolation comme un temps privilégié de rencontre avec le Seigneur ; les jésuites parlent des « visites de l’Esprit dans l’âme humaine ». De cette union au Seigneur naissent une joie et une paix profondes, inaltérables, même si les douleurs et les épreuves sont encore présentes. Ignace écrit dans les Exercices spirituels : « j’appelle consolation toute augmentation d’espérance, de foi et de charité, et toute joie intérieure qui appelle et attire l’âme aux choses célestes et au soin de son salut, la tranquillisant et la pacifiant dans son Créateur et Seigneur. » (ES n°316) A la consolation, il oppose la désolation, c’est à dire : « les ténèbres et le trouble de l’âme, l’inclination aux choses basses et terrestres, les diverses agitations et tentations qui la portent à la défiance, et la laissent sans espérance et sans amour, triste, tiède, paresseuse, et comme séparée de son Créateur et Seigneur. » (ES n°317) Certes, la désolation peut ruiner tout ce que la consolation avait établi jusque-là, mais il est intéressant de noter qu’elle ne se définit pas en elle-même, mais uniquement en tant que le contraire de la consolation. Le Christ, par sa mort et sa résurrection, a vaincu définitivement le mal, la consolation peut donc ressurgir à tout moment. C’est pourquoi Ignace conseille, au temps de la désolation, de prier, de méditer, de s’adonner à la pénitence, de conserver la patience et de croire toujours dans le secours d’un Dieu qui nous demeure attaché, quand bien même sa présence ne nous est plus sensible.
Enfin, pour Ignace, la consolation, en tant qu’elle est union à Dieu, ne se limite pas à une contemplation statique et ne doit pas conduire à un retrait du monde, bien au contraire, elle est un élan, elle porte à l’action, à la mise en œuvre de la volonté divine, pour l’amour de Dieu et le service du prochain. Guilhem Causse en parle ainsi : « La contemplation n’est pas d’abord le fait de prier ou de regarder avec émerveillement, mais une attitude de réceptivité à l’action de Dieu, attitude à vivre aussi bien dans la prière que dans le service des frères. L’action est la manière dont l’homme se joint à l’activité divine, dans la louange ou dans le service. Et notre première et fondamentale expérience de cette activité divine est ce qu’Ignace appelle la « consolation ». Ainsi la consolation est ce qui porte à et dans l’action. » (G. Causse, Consolation et action, la spiritualité jésuite pour aujourd’hui)
« Contemplatifs dans l’action », les jésuites se sont donné pour but de porter à ce monde la consolation, avec les fruits qu’elle produit : la joie et la paix. Et ce, à travers le sacrement de la réconciliation d’une part, mais aussi à travers leurs nombreuses œuvres, dans l’éducation, dans l’aide aux plus pauvres, dans l’aide aux migrants… Citons, entre autres, le Service Jésuite des Réfugiés (JRS) lancé en 1980 et présent aujourd’hui dans une cinquantaine de pays.
Qu’à leur exemple, nous puissions goûter ces visites de l’Esprit en notre cœur et découvrir la consolation spirituelle qu’Ignace a expérimentée, pour la partager à nos frères et sœurs, car « tout ce qui n’est pas donné est perdu », selon l’expression favorite de Pierre Ceyrac, jésuite qui fut longtemps engagé auprès des Indiens les plus pauvres dans l’État du Tamil Nadu.

P. Clamens-Zalay

St Jean Chapitre 12 La reconnaissance suspendue

Le chapitre 12 clôt ce que les exégètes appellent « le livre des signes ». Avec un bémol : c’est qu’il manque le signe annoncé au chapitre 3 : la destruction / reconstruction du Temple, à savoir le Corps. Et de fait, la suite des événements sera dominée d’un côté par le discours d’adieu et de l’autre côté par le récit de la Passion et de la Résurrection de Jésus.

C’est aussi d’une certaine manière un discours d’adieu que Jésus prononce ici, mais adressé à la foule. La mission s’achève. Elle devrait normalement se conclure par la reconnaissance de l’Envoyé. Et c’est apparemment le tour que prennent les événements. Arrivé à Jérusalem, à la suite de la résurrection de Lazare, Jésus est accueilli triomphalement. Et pour bien marquer la portée universelle de cette intronisation, Jean nous précise que des « Grecs » étaient présents. Le rassemblement des brebis en seul troupeau et sous la conduite d’un seul Pasteur, envisagée au chapitre 10, semble sur le point d’aboutir. Pourtant, elle tourne court. L’évangéliste à la fin du chapitre explique pourquoi la reconnaissance ne pouvait aboutir : l’incroyance des juifs et des grecs.

Un fil conducteur traverse les différentes séquences, à savoir l’annonce de la mort de Jésus.


L’onction à Béthanie : 12, 1-11

L’évangéliste délimite dans le temps cette séquence : « Six jours avant la Pâque » au verset 1 et « Le lendemain » au verset 12. Nous sommes donc dans la trame de l’histoire. Le cadre est celui d’un repas, dans l’intimité d’une maison accueillante, tandis qu’au-dehors la foule et les autorités recherchent Jésus : la foule pour le voir, les autorités pour le mettre à mort. Deux femmes sont nommées : Marthe qui sert à table et Marie qui répand du parfum sur les pieds de Jésus. Cette pratique était inconnue à l’époque. On versait du parfum sur la tête en signe de bienvenu. Sur cette tablée plane la mort : d’un côté Lazare, un mort rendu à la vie et de l’autre Jésus dont on célèbre la sépulture, en parfumant son corps. On le sait par l’interprétation qu’en donne Jésus : « c’est pour le jour de ma sépulture qu’elle devait garder ce parfum. » Qu’est-ce que cela veut dire ? Tout simplement ceci : elle pensait utiliser ce parfum le jour de mon ensevelissement, et elle a fait cela maintenant. Marie a anticipé l’honneur dû à Jésus mort, comme pressentant son départ proche. Nous avons donc ici un contraste entre la vie retrouvée pour Lazare et la mort attendu pour Jésus. Un contraste qui suggère que la vie nouvelle a comme condition la Pâque de Jésus. Dans cette perspective, la senteur du parfum qui remplit la maison (v. 3) s’oppose à l’odeur du cadavre qui horrifiait Marthe (11, 39), pour manifester la plénitude de la victoire de Jésus sur la mort.

Une autre opposition existe dans cette péricope : Jésus / Judas. Opposition positive / négative du geste de Marie. Judas dit : « Pourquoi ce parfum n’a-t-il pas été vendu trois cents deniers, qu’on aurait donnés à des pauvres ? ». Cette opposition apparaît d’une autre manière au verset 4. Judas est défini : « celui qui allait le livrer ». La mort évoquée de cette façon prépare dans le texte ce que Jésus va dire pour la défense de Marie, d’autant que Jésus sait que Judas le livrera. L’opposition entre Judas et le Maître reflète celle qui oppose vie et mort.

La seconde partie de la réponse de Jésus : « Les pauvres vous les avez pour toujours avec vous » renvoie au livre du Deutéronome 15, 11 : « Il ne cessera d’y avoir des pauvres au milieu du pays » et dont le contexte est le commandement de YHWH de porter secours aux indigents. Jésus veut donc dire que ce commandement vaudra indéfiniment dans l’avenir.

Marie, dans son amour, a communié intuitivement à la Pâque de Jésus ; Lazare, qui partage le repas avec Jésus, va être persécuté comme le Maître : « Les grands prêtres résolurent alors de tuer aussi Lazare ». Cette donnée anticipe ce que Jésus dira dans son discours d’adieu : « Rappelez-vous la parole que je vous ai dite : le serviteur n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi… » (15, 20). L’hostilité des grands prêtres s’attaque non seulement à l’Envoyé de Dieu mais aussi à celui qui est le témoignage vivant de sa victoire.

Fr Joseph