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« D’ici et d’ailleurs »,

Isabelle Roustang est responsable de la pastorale des migrants sur le diocèse de Créteil. Elle est à l’origine du projet « D’ici et d’ailleurs ».

Isabelle Roustang : Au cours de ma carrière de médecin dans des permanences hospitalières d’accès aux soins de santé (PASS), dans des PMI, dans des prisons, dans une unité médico-judiciaire, je me suis rendu compte que ce dont manquaient les personnes migrantes, c’est de liens fraternels.
Lorsque j’ai pris ma retraite, j’ai gardé des contacts avec beaucoup de femmes migrantes que j’avais suivies, et j’ai pu prendre la mesure de leur terrible solitude. L’une raconte que, pour lutter contre cela, elle passait une partie de son temps dans des bus, de terminus à terminus, pour entendre bavarder les gens, les voir sur leur téléphone en contact avec d’autres, pouvoir leur dire simplement « bonjour ».
Et quand l’évêque m’a missionnée pour la pastorale diocésaine des migrants et des réfugiés — il savait que je travaillais avec eux depuis longtemps — J’ai pensé qu’il était important de faire partager à toute personne « d’ici » en ayant le désir, la joie de la rencontre avec des personnes « d’ailleurs », et de marquer le fait que nous sommes tous frères et sœurs. D’où l’idée « d’ici et d’ailleurs », consistant à constituer des tandems entre personnes « d’ici », (bien insérées dans notre société quelles que soit leurs origines, sans que cela ne nécessite de compétences particulières si ce n’est le désir de rencontres), et « d’ailleurs » (personnes migrantes récemment arrivées en France) isolées, quelle que soit leur religion ou leur situation administrative au regard de la loi française. La seule contrainte est que ces personnes soient hébergées de façon à peu près stable lors de leur insertion dans le projet.

Isabelle Roustang : Bien sûr que non ! J’ai partagé l’idée de cette aventure avec d’autres responsables des pastorales des migrants en Île de France, avec le Service jésuite des réfugiés (JRS), avec des personnes de France Terre d’Asile, des personnes « d’ici » intéressées et une « d’ailleurs », les curés et EAP du secteur, etc. Nous avons fait des annonces au cours des messes, rencontré les personnes intéressées à s’engager dans le projet. Les premiers tandems ont été constitués en mai 2023 à Créteil.

Isabelle Roustang : Le projet met en relation des « tandems » : une femme d’ici avec une femme d’ailleurs, un homme d’ici avec un homme d’ailleurs, un couple avec un couple… Je rencontre individuellement (en tant que référente du groupe de Créteil) une à une les personnes qui souhaitent participer au projet, pour insister sur le caractère non pas « technique » mais humain, fraternel, de la rencontre. Si on peut aller au-delà du purement humain (aide matérielle en cas de grand dénuement, par exemple), tant mieux, mais ce n’est pas le but premier du projet. Le besoin auquel nous tentons de répondre est surtout un besoin de liens, d’oxygène, de chaleur humaine, de culture. Les personnes « d’ailleurs » sont heureuses qu’on leur propose des échanges, une promenade en forêt, la visite d’un musée, un cinéma, ou simplement goûter ou cuisiner ensemble.

Isabelle Roustang : Non bien sûr, nous sommes là pour les accompagner, les conseiller. Dans chaque groupe local « d’ici et d’ailleurs », il y a un référent auquel on peut s’adresser en cas de problème. Et, en plus des rencontres (souvent mensuelles) de chaque tandem, à leur convenance, nous proposons des temps collectifs (6 par an environ) pour tous. Ces temps collectifs sont essentiels, permettent des liens entre tous et réservent parfois de très belles surprises : telle exilée, que sa mère (au pays) croyait morte (car sans nouvelle depuis plus d’un an), a pu la recontacter grâce au frère (du même pays) d’une autre exilée du groupe qui a pu la retrouver localement et les remettre en contact ! Vous imaginez l’émotion !
Et pour les personnes « d’ici », nous proposons des relectures d’expérience, des réunions de réflexion sur certains aspects de la rencontre, (l’interculturel, les problèmes de toute sorte à résoudre…).

Isabelle Roustang : 18 à 20 aujourd’hui, et nous ne souhaitons pas aller au-delà dans ce groupe (et c’est même trop pour avoir le temps d’accompagner chacun). Mais nous encourageons la constitution d’autres groupes, nous recherchons des personnes qui pourraient devenir référents de groupes dans le diocèse. Actuellement, un se constitue à l’Haÿ-les-Roses. Partout, on constate les mêmes demandes de temps de « respiration » de la part des personnes « d’ailleurs » : Se rencontrer, visiter quelque endroit nouveau, parler, se promener dans un endroit calme… selon les désirs de chaque tandem.

Isabelle Roustang : Bien sûr ! Elle suppose à sa base, et ce n’est pas faux, qu’il faut d’abord satisfaire des besoins essentiels comme le toit ou la nourriture. Mais elle relègue en son étroit sommet, en tout petit, le besoin de sociabilité, d’oxygène mental, de culture, comme si c’était secondaire. Or c’est bien à ces besoins fondamentaux que le projet « d’ici et d’ailleurs » essaie de répondre.

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LA RENCONTRE

J’étais allé, mendiant de porte en porte, sur le chemin du village lorsque ton chariot d’or apparut au loin pareil à un rêve splendide et j’admirais quel était ce Roi de tous les rois !
Mais les espoirs s’exaltèrent et je pensais : c’en est fini des mauvais jours, et déjà je me tenais dans l’attente d’aumônes spontanées et de richesses éparpillées partout dans la poussière.
Le chariot s’arrêta là où je me tenais. Ton regard tomba sur moi et tu descendis avec un sourire.
Je sentis que la chance de ma vie était enfin venue.
Soudain, alors, tu tendis ta main droite et dis :
« Qu’as-tu à me donner ? »
Ah ! quel jeu royal était-ce là de tendre la main au mendiant pour mendier ! J’étais confus et demeurai perplexe ; enfin, de ma besace, je tirai lentement un tout petit grain de blé et te le donnai.
Mais combien fut grande ma surprise lorsqu’à la fin du jour, vidant à terre mon sac, je trouvai un tout petit grain d’or parmi le tas des pauvres grains. Je pleurai amèrement alors et pensai : « Que n’ai-je eu le cœur de te donner mon tout ! ».

Rabindranath Tagore « L’offrande lyrique »

DEPUIS QUE JE T’AI RENCONTRÉ

Écoute, mon Dieu !
Ils m’ont dit que tu n’existais pas et comme un sot, je l’ai cru. L’autre soir, du fond d’un trou d’obus, j’ai vu ton ciel…
Du même coup, j’ai vu qu’ils m’avaient dit un mensonge.
Si j’avais pris le temps de regarder les choses que tu as faites,
j’aurais bien vu que ces gens refusaient d’appeler un chat un chat.
Je me demande, Dieu, si tu consentirais à me serrer la main…
Et pourtant, je sens que tu vas comprendre.
C’est curieux qu’il m’ait fallu venir à cette plage infernale
avant de pouvoir contempler ton visage.
Je t’aime terriblement, et ça, je veux que tu le saches.
Il va y avoir un horrible combat.
Qui sait ? Il se peut que j’arrive près de toi dès ce soir même.
Nous n’avons pas été des camarades jusqu’à ce jour
et je me demande, si tu m’attendras à la porte.
Tiens ! voilà que je pleure.
Moi, verser des larmes !
Ah ! si je t’avais connu plus tôt…
Allons, il me faut partir !
C’est drôle, depuis que je t’ai rencontré, je n’ai plus peur de mourir.

Saint François 2024

Ce dont nous nous souvenons d‘abord, c’est du parcours de François d’Assise. Cet homme du passé nous interroge encore, par sa vie radicale. Quoi de neuf que nous ne sachions déjà ? Mais se souvenir est toujours précieux pour donner sens à notre existence.

En cette période pleine d’interrogations, faisons le point de nos certitudes et de nos questions. Sommes-nous au clair avec nous-mêmes: Sommes-nous en phase avec Dieu, et en harmonie avec la vie de la création toute entière!

Le premier élément qui me vient à l’esprit, c’est le cri du cœur qui nous fait prier ; « Loué- sois-tu mon Seigneur » car malgré les épreuves que nous traversons tous, en creusant un peu la surface de notre vie, nous faisons l’expérience forte de sa présence. Dieu est plus profond que le niveau dans lequel nous évoluons. Faisons donc un sondage pour mesurer la présence de Dieu et pour reconnaitre que « sa manière d’être là » est une expérience à l’origine de notre propre existence. Oui, Dieu fait partie de nous-mêmes, nous en sommes témoins et nous disons notre reconnaissance. Dieu n’est pas un étranger : il est proche et fraternel. Et cette relation est féconde, au-delà du visible. François lui-même en est témoin.

Ce chemin que nous parcourons, est vraiment un chemin de foi, qui se révèle progressivement, jusqu’à être illuminé selon l’imprévu de Dieu lui-même. Notre histoire devient ainsi une histoire sainte même si la croix est plus présente au quotidien. François d’Assise en est témoin jusqu’à sa Passion de l’Alverne.

Loué-sois-tu, Mon Seigneur, pour notre sœur la mort corporelle à qui nul ne peut échapper… »Selon notre âge, ce repère de la mort, nous préoccupe plus ou moins, pourtant l’actualité ne nous épargne pas et il semble difficile de ne pas l’avoir présente à l’esprit. Le Cantique des Créatures nous appelle à apprivoiser la mort, pour la vivre comme une composante incontournable à vivre fraternellement. C’est un repère important. Car la vie et la mort sont présentes, La vie est présente à l’au-delà du visible, et la mort, qui nous bouscule parfois, est imprévisible. Accueillons ce temps fort de la naissance et de la mort avec bienveillance. Nous sommes serviteurs de la vie et respectueux de la mort. Ce regard chrétien est une lumière sur le monde. « Si la sagesse est plus significative des anciens, le prophétisme est le privilège des jeunes » a dit le Pape François. Devenons ensemble prophètes pour notre temps, en vivant l’essentiel. En cette fête de François, c’est autour de ce signe d’ alliance que Dieu nous donne, pour traverser les épreuves du temps et vivre du bonheur en Dieu.

« Paix et Bien »

fr. Thierry
Lille 24 Septembre 2024

J.O. Echos…

De passage chez un ami, fin juillet, j’ai attrapé le « virus ». C’est ainsi que j’avais nommé sur mon agenda cet événement unique qui a mobilisé non seulement la France mais le monde sportif au-delà de nos frontières.

« On ne le sait qu’après qu’un moment inaugure » En effet j’ai pris conscience, rapidement, que ce virus m’avait atteint. Dès mon retour à la maison, les symptômes demeuraient : Je retrouvais la même attitude, installé dans un fauteuil, devant la télé, pendant des heures, sans interruption, pour suivre les J.O. planétaires, en direct.

Et c’est sans doute le direct qui nous fait passer de spectateur à acteur. Combien de fois ai-je entendu l’expression : « jamais vu » ou « historique ». Nous n’étions pas dans le récit d’une victoire, acquise par un sportif qui sort de l’ordinaire, mais j’avais l’impression d’être partie prenante de l’action engagée.

Car avec les J.O. nous n’étions plus des spectateurs ordinaires, nous sommes devenus entraineurs ! Arrivé dans le stade comme supporter comme tant d’autres, je devenais, de manière inattendue, « agents de production » par l’effet de notre présence, stimulante, pour les sportifs eux-mêmes. Le supporter acquiert un nouveau rôle en devenant acteur et partenaire.

La joie manifestée après la remise des médailles révèle l’invisible de la préparation. On ne vient pas au stade la bouche en cœur, comme s’il ne s’était rien passé avant. Le temps de la préparation, si invisible soit-il, avant la compétition, est constitutif du résultat. « Je rêvais de cette victoire depuis des années » en dit long aussi sur le désir qui habite le sportif durant l’épreuve de « longue durée » qui précède et qui éclate, en joie ou en pleurs, lors du résultat.

Enfin, je découvre dans ces J.O une manifestation de communion hors frontières. Il existe pour notre humanité une soif de communion universelle et ceux qui ont eu la chance de l’expérimenter ponctuellement révèlent un besoin universel de communion présent dans toute collectivité.

Les sportifs et les politiques qui eurent le désir de remettre les jeux olympiques dans l’actualité ont révélé le “dépassement” comme un sens humain, durable et précieux. J’apprécie cette passion féconde. La petite flamme qui a traversé le temps et l’espace illumine et réchauffe les esprits et les cœurs.

Thierry Gournay
23/8/24 Lille.

Le vin réjouit le cœur de l’homme

« Bonum vinum laetificat cor hominis … » (Qo 10,19) Sapa, le vin cuit, est à l’origine de sapientia, l’homme sage étant celui qui a du goût. Ce goût de Dieu, donc, est une allégresse pour l’homme qui sait en jouir, reconnaître à Dieu toute sa saveur. Saint Thomas explique ainsi le don de sagesse, le plus grand, puisqu’il le lie à la vertu de charité qui ne passera jamais. Cette jouissance de Dieu, qui n’est pas sensible en soi, mais peut rejaillir dans le corps, ne peut être vécue qu’en accueillant le don de l’Esprit Saint, auquel nous ne faisons pas obstacle, en le lais-sant se déployer, par notre connaissance et notre agir. La foi en Dieu, l’amour de Dieu est insé-parable d’une connaissance de ce qu’Il est, de ce qu’Il révèle. Il ne peut exister aucune opposi-tion entre la science et la charité, et si l’une empiétait sur l’autre, ce ne pourrait être de leur faute, mais de celle du sujet qui ne sait trouver l’équilibre en lui-même.

Quel mari oserait dire à sa femme qu’il l’aime profondément tout en se moquant éper-dument de ce qu’elle est ou de ce qu’elle dit ? Cet amour ne serait qu’une domination objecti-vante détestable, qui ne voit dans l’autre, non pas un tout, un sujet qui se tient lui-même dans une unité fragile, mais n’en extrait qu’une partie, objet de jouissance personnelle. Comment dire ainsi aimer Dieu et ne pas se soucier de ce qu’Il est, de ce qu’Il nous a dit et continue de nous enseigner par son Église ? Telle a été depuis deux mille ans l’enjeu de toute théologie, de tout exposé de la foi, de tout enseignement : comment rendre compte de la doctrine chré-tienne sans la trahir, sans la réduire à ses idées propres. Depuis le péché originel, la tentation de l’homme est toujours celle de dominer l’autre — la femme, par Eve, symbolise le mystère auquel il est confronté — et d’en user pour son propre plaisir.

Rester fidèle à la doctrine chrétienne est une ascèse depuis cette histoire de pomme croquée, un travail humble et parfois même difficile : non seulement nous n’avons plus les faci-lités de nos premiers parents pour saisir les mystères de la foi, mais la doctrine elle-même heurte le monde : « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant vous. » (Jn 15,18) Et nous en sommes de ce monde, ne nous en excluons pas avant notre mort : que ne cherchons-nous pas à édulcorer l’enseignement du Christ, du Catéchisme, pour ne pas choquer les autres, pour ne pas nous choquer…, pour ne pas nous convertir ! Et pourtant, quelle fierté de savoir que l’Église s’est opposée à la torture ou à l’esclavage alors que la société n’y voyait aucun pro-blème, quelle fierté de reconnaître que la femme a la même dignité que l’homme, révolution-nant ainsi les mentalités antiques.

Comment s’imaginer s’en sortir avec ses propres forces ? Les dons de l’Esprit sont néces-saires pour une véritable fidélité à la doctrine, à l’enseignement que Dieu nous révèle, notam-ment le don d’intelligence qui nous fait pénétrer la richesse des mystères, celui de science qui nous aide à lire toute réalité terrestre sous le regard de Dieu, celui de sagesse qui nous fait goûter Dieu et nous permet de tout ordonner à Lui. L’invocation de l’Esprit Saint dans la prière est bien nécessaire, pour écouter avec attention, comprendre avec acuité, enseigner avec clar-té. Tel est l’exemple des saints théologiens qui nous ont précédés tout au long de l’histoire de l’Église ; l’avertissement du théologien Hans Urs von Balthasar doit nous alerter personnelle-ment : pourquoi sainteté et théologie se sont-elles tant séparées depuis le XIIIe siècle ? De grandes figures nous rappellent cependant que ce lien est toujours possible, saint Robert Bel-larmin, saint François de Sales…, et, sans vouloir aucunement précéder le jugement de l’Église, ne peut-on pas songer aussi à Benoît XVI ?

De même que Claudel nous invite à écouter la Bible à genoux, ainsi le théologien suisse nous invite à avoir la même attitude en théologie. Double exigence qui est celle du chrétien, penser et prier, alliage, équilibre de nature et de grâce, quand l’ordre transcendantal fonde l’ordre prédicamental : « Accipite et bibite, hic est enim calix sanguinis mei. »

Benoît Bottineau

Né en 1997, Benoît est séminariste en études de théologie au séminaire de Toulon.

Comment témoigner de sa foi en milieu professionnel ?

Notre cadre d’emploi ne nous permet pas toujours de témoigner ouvertement de l’Evangile. Mais de larges ouvertures sont possibles dans le comportement évangélique que nous pouvons avoir, conformément à ce que dit Jésus aux disciples : « Que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. » (Mt 5, 16)

Après quinze années de service comme inspecteur des Finances publiques où j’ai pu occuper différentes fonctions (gestionnaire de compte des grandes enreprises, contrôle fiscal, maîtrise d’ouvrage d’applications numériques), j’ai souhaité devenir professeur des écoles. Mon désir était de servir au plus près les besoins intellectuels et émotionnels de personnes dont j’allais avoir la responsabilité continue six heures par jour : des élèves d’école primaire.

Témoigner de sa foi comme inspecteur des Finances publiques pouvait se concrétiser au quotidien dans les relations de bienveillance et de transparence, non seulement à l’égard des collègues mais aussi envers les usagers du service public. La neutralité du service public ne m’autorise pas en effet à verbaliser cette foi.

En changeant de ministère, j’ai voulu me rendre plus utile aux enfants et aux familles, de manière beaucoup plus concrète. L’Ecole est souvent la première institution que les familles vont rencontrer de manière quotidienne, en particulier dans les quartiers de réseau d’éducation prioritaire. Avec une présence permanente à leurs côtés, je représente pour les élèves un exemple modélisant, à la fois pour le raisonnement, mais aussi dans le comportement. Cela m’amène à être exigeant vis-à-vis de moi-même et à me dépasser : la bienveillance est constamment requise et le respect de la parole donnée est impératif pour créer la confiance et le cadre nécessaire aux travaux de la classe dans une ambiance sereine.

Le respect des valeurs de la République et la laïcité dans la classe et dans l’école sont aussi un outil, par le cadre de neutralité qu’il pose et qui permet aux enfants de se contruire et de grandir librement par essai et erreur, à l’abri d’influences extérieures prématurées. Il est important que l’enfant puisse oser penser librement dans un cadre neutre et sécurisant.

Sur le plan philosophique, la raison est importante : elle est l’outil qui permet de s’orienter dans la vie sur les plans techniques et parfois relationnels. C’est ce que nous valorisons dans les classes. La foi permet d’avancer là où la raison se tait ou est impuissante. Sa découverte et sa compréhension peuvent se faire avec les autres et dans les familles qui sont de petites églises.

Témoin silencieux de Jésus-Christ Seigneur et Sauveur, je tente de manifester un comportement qui puisse à la fois faire grandir, aider à devenir libre de juger et de penser et susciter chez les élèves un
vrai souci des autres.

Jean Alvarez, fraternité Émile Romanet

L’enseignement catholique

Le 30 août 2024 marquera le jour de ma 23ème rentrée scolaire au sein de l’Éducation Nationale et de l’enseignement catholique, et, en écrivant ces lignes, je me demande combien d’années encore je vais réussir à exercer mon métier avec sérénité.

Le métier d’enseignant est un des plus beaux métiers du monde : il permet de transmettre et de recevoir, de construire avec les jeunes, de les faire grandir en leur inculquant des valeurs comme le respect et la tolérance. Ce qui m’a animée depuis le début et m’a apporté un épanouissement professionnel s’est heurté ces dernières années aux dysfonctionnements d’une société malade. Que s’est-il passé ?

Issue d’une famille modeste des Deux-Sèvres, mes sœurs et moi avons été baptisées par tradition et parce que cela représentait une étape importante dans la vie de notre famille. Cependant je n’ai jamais reçu d’éducation religieuse avant mes 11 ans. A l’entrée au collège, nos parents ont fait le choix de nous inscrire dans l’enseignement catholique. Ils voulaient nous protéger des violences que nous subissions à l’école de notre quartier et nous offrir l’accès à la réussite scolaire. J’étais consciente que cela représentait un sacrifice financier pour eux et j’ai vécu ma scolarité au collège l’Espérance comme dans une bulle de protection. Nous étions en 1989 et la vie dans notre cité des 3000 (appelée aussi la Rose-des-Vents) n’était pas de tout repos. Aujourd’hui, j’éprouve de la gratitude et de la reconnaissance à l’égard de cette institution, et particulièrement à l’égard des professeurs et des encadrants qui m’ont toujours octroyé un espace de confiance et de liberté, et cela tout en m’imposant un cadre et des règles. Si l’enseignement et l’éducation que j’y ai reçus n’ont pas fait de moi une catholique pratiquante, ils m’ont apporté la confiance et des valeurs que j’ai aujourd’hui plus de mal à transmettre à des élèves en perte de repères.

Ma carrière d’enseignante a débuté en même temps que les premières journées nationales des assises de l’enseignement catholique, en 2000, et que les politiques d’éducation prioritaire dans l’Éducation Nationale. Il soufflait un vent de réformes et les formations de l’ISFEC et de l’IUFM dont je bénéficiais me donnaient le sentiment que la « guerre privé/ public » s’estompait, et disparaissait. Nous travaillions ensemble avec mes collègues du public et du privé. Ce qui importait était d’avancer en faisant preuve de plus de considération des individus. J’ai choisi l’enseignement privé catholique pour différentes raisons et je partage les valeurs de l’humanisme chrétien. Aussi je continue de croire que nous pouvons tous ensemble construire une école ouverte aux différences, soucieuse des libertés de chacun et en faire un espace de paix, un sanctuaire. Dans tous les établissements catholiques que j’ai fréquentés, nous accueillions des élèves en difficulté ou aux profils sociaux très divers ; et les efforts pour inclure l’autre dans sa différence étaient un succès chaque fois que les moyens humains et financiers étaient déployés. Quelques années plus tard, je constate que malgré cette volonté commune de réformer l’école dans le bon sens, les difficultés demeurent.

Aujourd’hui, j’enseigne dans un établissement catholique de province et le profil des élèves (issus de catégories sociales moins élevées) et celui des professeurs (globalement moins impliqués dans la pastorale) est très différent de celui que j’ai connu en région parisienne, mais les conséquences sur notre travail qui sont liées à la transformation de notre société restent les mêmes partout. Lorsque j’évoque plus haut les dysfonctionnements d’une société malade, des élèves en perte de repères ou les difficultés que je rencontre au sein de l’enseignement catholique, je fais référence à tout ce qui rend mon quotidien plus difficile qu’il ne l’était lorsque j’ai commencé ce métier. Jusqu’à présent, je n’avais pas à faire face à autant de situations familiales compliquées et très diverses (mésententes des familles quant à l’éducation, détresse de parents dépassés, souffrances d’enfants qui n’ont ni cadre ni limites, parents omniprésents ou absents, familles dans le jugement…). Dans la solidarité de notre équipe, je vis et côtoie avec impuissance le mal être de notre corps enseignant (manque de reconnaissance et de moyens, manque de confiance, de soutien ou de cohésion dans la communauté, fossé entre les discours et les actes…) et je constate avec tristesse que les politiques actuelles vont à l’encontre du bien-être de l’école. Non, les groupes de niveaux et le regroupement d’élèves en difficulté ne fonctionnent pas. Nous l’expérimentons tous les jours, cela fonctionne pour les « bons élèves », pour « l’élite » mais pas pour ceux qui sont en difficulté. Les établissements ne devraient-ils pas éviter de « ghettoïser » les élèves ? Je me demande si les enseignants de Stanislas ressentent le même mal être que celui des professeurs de mon petit collège de province ? En effet, l’enseignement catholique est lui aussi confronté aux problèmes que connaissaient déjà les établissements publics de mon quartier il y a 35 ans.
Je me sens impuissante lorsque je me retrouve face à une classe qui concentre plusieurs élèves en grandes difficultés scolaires : des élèves TDAH, des élèves dyslexiques, des élèves aux troubles psychiatriques ou souffrants d’anxiété mais aussi des élèves dont les bases éducatives sont si différentes les unes des autres. Nous avons besoin d’encadrants et de petits effectifs mais aussi d’un climat de confiance pour réussir notre mission d’enseignants-es /éducateurs-trices.
N’est-il pas temps de dépasser les guerres politiques privé/public pour apporter à l’école les moyens financiers et humains qui sont aujourd’hui plus qu’indispensables ?

V. Cerceau, professeur d’espagnol
Le 26/04/2024

AIME-MOI, TEL QUE TU ES

Moi, dit Dieu, tel que je suis,
Je t’aime, toi, tel que tu es.
Je t’aime personnellement, car tu es unique pour moi
et je suis le seul à connaître ton nom nouveau
Je t’aime passionnément, avec ce caractère unique qu’est la jalousie divine…
jusqu’à donner ma vie pour toi
Je t’aime divinement, en toute gratuité et toute éternité…
de toujours à toujours
Et je ne changerai jamais

Je connais ta misère, les combats et les tribulations de ton âme ; la faiblesse et les infirmités de ton corps ; je sais ta lâcheté, tes péchés, tes défaillances ; je te dis quand même : « Donne-moi ton cœur : aime-moi comme tu es ».
Si tu attends d’être un ange pour te livrer à l’amour, tu ne m’aimeras jamais. Même si tu retombes souvent dans ces fautes que tu voudrais ne jamais connaître, même si tu es lâche dans la pratique de la vertu, je ne te permets pas de ne pas m’aimer.
Aime-moi comme tu es. A chaque instant et dans quelque position que tu te trouves : dans la ferveur ou dans la sécheresse, dans la fidélité ou dans l’infidélité.
Aime-moi tel que tu es. Je veux l’amour de ton cœur indigent ; si pour m’aimer tu attends d’être parfait, tu ne m’aimeras jamais. Ne pourrai-je pas faire de chaque grain de sable un séraphin tout radieux de pureté, de noblesse et d’amour ? Ne pourrai-je pas, d’un seul signe de ma volonté, faire surgir du néant des milliers de saints, mille fois plus parfaits et plus aimants que ceux que j’ai créés ? Ne suis-je pas le tout-puissant ? Et s’il me plaît de laisser pour jamais dans le néant ces êtres merveilleux et de leur préférer ton pauvre amour !
Mon enfant, laisse-moi t’aimer ; je veux ton cœur. Je compte bien te former, mais en attendant, je t’aime comme tu es. Et je souhaite que tu fasses de même ; je désire voir, du fond de ta misère, monter l’amour. J’aime en toi jusqu’à ta faiblesse. J’aime l’amour des pauvres ; je veux que, de l’indigence, s’élève continûment ce cri : « Seigneur, je t’aime ! » C’est le chant de ton cœur qui m’importe. Qu’ai-je besoin de ta science et de tes talents ? Ce ne sont pas des vertus que je te demande, et si je t’en donnais, tu es si faible que bientôt l’amour-propre s’y mêlerait ; ne t’inquiète pas de cela.
J’aurai pu te destiner à de grandes choses ; non, tu seras le serviteur inutile ; je te prendrai même le peu que tu as car je t’ai créé pour l’amour. Aime ! L’amour te fera faire tout le reste sans que tu y penses ; ne cherche qu’à remplir le moment présent de ton amour.
Aujourd’hui, je me tiens à la porte de ton cœur comme un mendiant moi, le Seigneur des seigneurs. Je frappe et j’attends, hâte-toi de m’ouvrir, n’allègue pas ta misère. Ton indigence, si tu la connaissais pleinement, tu mourrais de douleur. Cela seul qui pourrait me blesser le cœur, ce serait de douter et de manquer de confiance.
Je veux que tu penses à moi à chaque heure du jour et de la nuit ; je ne veux pas que tu poses l’action la plus insignifiante pour un motif autre que l’amour.
Quand il te faudra souffrir, je te donnerai la force ; tu m’as donné l’amour, je te donnerai d’aimer au-delà de ce que tu as pu rêver. Mais souviens-toi : « Aime-moi, tel que tu es. » N’attends pas d’être un saint pour te livrer à l’Amour, sinon tu n’aimeras jamais.

Anonyme

Partage de mars

La vie, dans laquelle nous sommes aujourd’hui, peut nous inspirer cette question. Partagés que nous sommes entre des situations dramatiques personnelles ou collectives, et des faits exceptionnels, sources d’émerveillement, nous pouvons nous demander :« à quoi, cela sert de vivre ? »

Il y a plus de 100 ans, c’était la fin de la guerre 14-18, nous n’y étions pas, mais nous avons quand même pris le temps d’évoquer cette hécatombe : nous n’en sommes pas fiers et nous constatons encore que cela n’a pas servi de leçon pour l’avenir.

Aujourd’hui, je veux évoquer le document que le pape François nous a offert récemment pour nous faire remarquer que nous sommes tous « appelés par Dieu à la sainteté dans le monde actuel ». Il est bon d’entendre ce message malgré les tentations du monde, et les prétentions humaines ; l’accès à Dieu est offert à tous mais cela ne se fait pas sans Lui. Les héros du moment ont, pour nous, un visage humain, ils sont à proximité, même s’il leur arrive d’être des êtres d’exception. Dieu entre aussi par une petite porte, il entre dans la dynamique communautaire et nous accompagne dans ce long chemin de foi et d’amour.
« Personne ne se sauve tout seul » voilà une clé importante de l’incarnation et du bonheur pour tous. Nous en sommes encore loin mais n’attendons pas que Dieu fasse à notre place ce qui relève de notre énergie et de notre intelligence.

Nous en avons un exemple récemment, avec le synode qui s’est tenu à Rome pour les jeunes et avec eux. Quel témoignage de travail collectif, sous l’action de l’Esprit ! Chaque jour l’action de l’Esprit est visible dans les témoignages et les propositions, pour que l’Eglise progresse. Chacun est renvoyé à sa propre expérience de vie, sur son terrain, car le projet de Dieu est unique mais les modalités sont multiples et variées. Nous sommes, en effet, tous appelés à devenir des vivants, pas en image ni en plâtre mais en chair et en os. Nous pouvons offrir un témoignage personnel dans notre vie quotidienne.

Un repère essentiel : le bien commun, avant le repli sur soi. S’il y a de l’amour dans ce que nous vivons, la vie ordinaire deviendra extraordinaire. . Nous sommes peut-être invisibles aux yeux du monde, mais nous sommes dans le cortège de tous ceux qui veulent un temps meilleur à vivre. Dieu devient plus visible et c’est ensemble que nous manifestons sa présence et son action. L’Espérance qui nous habite est à la base de la vie nouvelle qui ressurgira autour de Pâques. Courage, debout !

Thierry Gournay Lille, le 21 2 2024